Le besoin d’un discours à forte charge culturelle et politique comme celui prononcé par le Roi Mohammed VI à l’occasion de la rentrée parlementaire se faisait sentir fortement à plusieurs égards.
Traitant du Maroc, nombre d’historiens nationaux et étrangers rencontraient des difficultés à expliquer la «spécificité» de sa longue histoire dans l’espace islamo-méditerranéen. Le maintien de son indépendance après la perte de l’Andalousie, la victoire de la bataille de «Oued El Makhazine» qui a mis fin aux croisades de l’Occident dans le monde musulman, la stoïcité face à l’épreuve de ses populations soumises pratiquement à un blocus au nord et à l’est du pays durant quatre siècles (1578-1912), leur acharnement jamais pris à défaut à défendre les frontières… étaient sujets à questionnements. Une explication uniquement socio-économique (cf. marxisme et, à sa suite, les Annales) de ce comportement s’avérant insuffisante, en l’absence de richesses naturelles ou manufacturières en abondance des territoires, il aurait fallu chercher une partie des ressorts de ce peuple ailleurs, du côté des idées (religieuses, nationales, politiques), voire de la psychologie collective et des passions. En d’autres termes de cet ensemble qui fait son identité, son «âme».
Dans le tumulte de 2011, les rédacteurs de la Constitution avaient accompli une partie du chemin en définissant les composantes et affluents ayant forgé, nourri et enrichi l’unité de notre nation. Le discours royal du 13 octobre a apporté un plus en donnant un contenu à l’identité marocaine à travers trois de ses dimensions: le religieux et spirituel, la Monarchie couplée à un patriotisme viscéral des populations, ainsi qu’une culture inclusive et solidaire ancrée dans la société. Ces qualités, dans leur globalité et leur interpénétration, expliquent en grande partie la résilience et l’optimisme du peuple marocain qui lui ont permis de surmonter avec succès, durant sa longue histoire, nombre d’épreuves.
Les peuples qui ont su valoriser les aspects positifs de leur identité en les utilisant pour construire un projet de société s’inscrivant, certes, dans la modernité, mais une modernité sans violences, ont le mieux avancé sans déséquilibres et/ou frustrations. C’est le cœur de la deuxième partie du discours royal, d’après notre lecture. Cette identité, «construite» tout au long de l’Histoire au prix de lourds sacrifices, ne serait-il pas «contreproductif» de la brader, voire la casser, et suivre une «modernité» plus adaptée à des sociétés ayant eu un parcours différent? Sans rejeter la modernité, dans le sens d’une dynamique de bonification de la société, n’est-il pas plus raisonnable d’épouser une approche certes dynamique mais adaptée à l’intérêt (cf. E. Kant) de notre société et à son niveau de développement actuel?
Les valeurs éthiques, politiques et sociétales qui composent l’identité marocaine peuvent très bien constituer un début de réponse et former la charpente d’une société ouverte, tolérante, socialement inclusive et solidaire avec un État fort, souverain, arbitre sans reproches des équilibres et acteur avec le secteur privé du développement.
La clarification apportée par le discours royal sur l’identité permet aussi une lecture et un traitement pluriel de nombre d’institutions et de lois qui forment l’ossature de la société. Il ne sera plus possible après ce discours, toujours d’après notre lecture, de lire la famille, fondement d’une société équilibrée, à travers le seul prisme religieux et spirituel, mais il faudra y ajouter d’autres prismes: social, économique… Cette famille, pour être protégée et s’épanouir, n’a pas besoin que de textes de lois rigoristes, elle a besoin d’une protection sociale, de s’inscrire dans une dynamique économique de progrès. Aussi, l’approche de cette institution ne peut être que globale (cf. les trois dimensions de l’identité) avec pour objectif de faire avancer la société vers une modernité assumée et apaisée.
Pour compléter le projet de société, restait les déclinaisons politiques sous forme d’orientations et de plans d’action. Les recommandations données à l’exécutif en matière de protection sociale et de gouvernance des réformes par le discours royal sont venues pour boucler la boucle, si l’expression est permise.
Avoir une identité aux contours clairement définis avec un projet de société s’inscrivant dans sa cohérence, est-ce important et à quoi cela peut-il servir? C’est d’une utilité certaine pour obtenir l’adhésion, la participation, des principaux concernés, à savoir les citoyens. Bref, tirer le meilleur des réformes et avancer vite en tant que nation.
Est-ce la fin du débat sur l’identité et le projet de société? Le discours royal a opéré un saut qualitatif en élargissant le spectre des sources de l’identité à d’autres dimensions jusqu’à présent minorées, le politique et le sociétal, tout en gardant bien sûr la dimension religieuse. Aux chercheurs en sciences sociales, aux philosophes s’intéressant à l’identité des peuples et aux politiques de faire le meilleur usage de cette ouverture dans l’histoire des idées au Maroc.