Justice en deçà des Pyrénées, injustice au-delà

Rachid Achachi.

ChroniqueAu fond, il s’agit avant tout d’ethno-démocraties non assumées et aucunement d’une vision du monde fondée sur le principe d’une justice universelle.

Le 30/11/2023 à 10h59

Contrairement à l’idée faussement répandue selon laquelle la philosophie et la démocratie seraient des sœurs jumelles, tous les grands philosophes de la Grèce antique étaient fondamentalement anti-démocratiques.

Pour Platon, c’était l’un des pires régimes politiques qui, selon lui, est un préambule à la tyrannie.

Plus tardivement, avec le courant philosophique des Lumières, deux grandes manières de penser et de développer la démocratie finiront par émerger.

La première, anglo-saxonne, s’articulera presque exclusivement autour du principe de liberté. L’égalité n’y est pensée que du point de vue du droit. Une conception qui, bien que boiteuse, finira par dominer le monde à travers une hégémonie anglo-saxonne qui se perpétue de nos jours.

L’autre, continentale, et plus particulièrement française, s’est fondée simultanément sur les principes de liberté et d’égalité à partir de la fin du XVIIIème siècle, avant de voir émerger plus tardivement un État social après la 2ème Guerre mondiale.

Mais dans un cas comme dans l’autre, l’idée d’une justice universelle est totalement absente dans les faits. Il s’agit en réalité de démocraties dont les principes et les valeurs, en théorie universels, semblent subitement s’arrêter aux frontières politiques de chacun de ces États, et plus largement aux frontières du monde occidental.

Une frontière politique et idéologique semble ainsi séparer le monde de la démocratie libérale et des droits de l’homme, autrement dit le monde de la civilisation, du monde barbare, qu’il s’agit soit de civiliser à coup de colonisation ou de bombardements, soit de génocider, comme en Amérique du Nord pour les Amérindiens et en Australie pour les tribus aborigènes.

Un universalisme formel des valeurs, qui semble avoir pour fonction de cacher ou d’euphémiser un suprémacisme racial et ontologique, celui des élites occidentales, qu’il s’agit souvent de distinguer de la base populaire, dont l’avis pèse peu dans la balance.

De manière plus contemporaine, cette duplicité narrative du discours occidental prend la forme d’un soutien inconditionnel à l’Ukraine au nom de l’humanité et des droits de l’homme, quand bien même il se trouverait des néo-nazis et des bandéristes dans les rangs des «freedom fighters». Car il s’agit là des bonnes victimes, celles qui s’intègrent pleinement dans notre vision géopolitique.

De l’autre, la Palestine, soit un peuple barbare, dont le caractère de victime ne semble pas légitime. Car comment peut-on être réellement victime de la seule démocratie au Moyen-Orient, comme on se plaît à nous le rappeler? C’est qu’au fond, ils l’ont bien cherché, n’est-ce pas? Car une démocratie ne saurait être injuste, nous dit-on.

De même, là où on ne demande pas à chaque Ukrainien s’il condamne les combattants d’Azov, de Kraken et des autres groupuscules néo-nazis, on demandera systématiquement à toute personne qui oserait rappeler que les morts à Gaza se comptent en plusieurs milliers «est-ce que vous condamnez le “Khamas”?», avec cet accent bien particulier de certains animateurs TV, ou plutôt des commissaires politiques des médias en Occident.

Ainsi, «Stand with Ukraine», d’un côté, mais «Do you condemn Hamas?», de l’autre.

Car au fond, il s’agit avant tout d’ethno-démocraties non assumées et aucunement d’une vision du monde fondée sur le principe d’une justice universelle.

Souvenez-vous de ces chroniqueurs français qui, en 2022, disaient qu’il fallait accueillir les réfugiés ukrainiens car ces derniers nous ressemblent, puisqu’ils sont blancs aux yeux bleus. Je caricature à peine.

De même, quand vous entendez «la communauté internationale», n’allez pas imaginer qu’il est question de toute l’humanité, puisqu’il s’agit en réalité du monde anglo-saxon, de l’Europe continentale et de l’Australie tout au plus. Le reste? Des Untermenschen. Des sous-hommes.

Cependant, et pour être un tant soit peu objectif, il est évident que la démocratie, aussi imparfaite soit-elle, n’est pas née dans nos contrées. Du moins, dans sa forme moderne, sachant que la démocratie tribale existe bel et bien depuis des milliers d’années. Mais ce qui est certain, c’est que chez nous, parmi toutes les affres possibles et imaginables, le pire et le plus honni demeure l’injustice. «L’hogra», comme on dit chez nous. À tel point qu’historiquement, beaucoup de grands oulémas refusaient la fonction de cadi de peur de commettre une injustice et de devoir en répondre devant Dieu.

Sommes-nous cependant capables d’inventer notre démocratie où le préalable à toute liberté et à toute égalité serait une justice effective et universelle? L’avenir nous le dira. Mais en attendant, ce qui est certain, c’est qu’il faut définitivement détricoter le fantasme d’un Occident porteur de valeurs universelles. Les Palestiniens en savent quelque chose.

Par Rachid Achachi
Le 30/11/2023 à 10h59

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La justice est belle et bien une belle maxime⚖️D’un côté c’est un droit et de l’autre un crime⚖️A l’un on donne la mort à l’autre on octroi une prime⚖️On évoque le droit à la réponse même avec une majorité infime⚖️D’une communauté internationale dispersée et illégitime⚖️Une lutte contre le terrorisme et l'antisémitisme qui rime⚖️Avec un nième génocide qu’on veut ultime⚖️Une comédie d'abrutis qui ne justifie ni n'exprime⚖️Que leur peur, leur délire et leur déprime⚖️Car viendra le jour où justice sera rendue à Urshalim

Utiliser la démocratie comme prétexte⚖️Pour justifier tous leurs faits et gestes⚖️C’est une ignominie claire et manifeste⚖️Une maladie qui se propage telle la peste⚖️Elle détruit le monde et cruellement l’infeste⚖️En y ajoutant la liberté trompeuse il devient funeste⚖️Avec l’égalité mensongère il s’effrite et empeste⚖️Un grain de justice amer ne peut rien sans conteste⚖️Pour redorer son blason et lui donner un peu de zeste⚖️Aussi simple sois je, aussi modeste⚖️Je me soulève, je me dresse et je proteste⚖️

Suite La prestation de serment de la princesse Leonor devant le Cortes au-delà du retentissement mondial de la cérémonie confère à l’Espagne la solidité de ses institutions et la cohésion de sa population. Nous ne convoitons pas juste la technologie ; nous désirons bâtir un espace où il fait bon de vivre et de s’épanouir et la démocratie y concourt et qu’importe si elle est née ailleurs et qu’on veut nous exclure de ses bienfaits.

Suite Les français définissent la démocratie comme le moyen de se débarrasser d’un mauvais président. Le problème depuis une quinzaine d’années ils les collectionnent. Le parlement ne joue aucun rôle dans la vie politique une fois le président élu. Il n’y a aucun moyen de contrôler son action. Le parlement français ne s’est animé que depuis l’arrivée de la NUPES. D’où le haro sur leurs élus, limite si on ne les lynche pas. Reste que les français ont la notion de justice et d’égalité bien enracinée dans la tête. Ils se sont toujours soulevés au nom des idéaux de la Révolution de 1789. Cela fait partie de leur identité presque de leur ADN.

Les principes vaut mieux qu’ils existent que pas du tout ; sinon vous avez des monstres : Assad et les deux salopards qui s’étripent au Soudan. La démocratie n’est pas une chose abstraite, elle évolue, s’affaiblit peut être biaisée mais définition qu’en avait fait Churchill reste valide : un mauvais système mais le moins mauvais de tous les systèmes. Plus les débats que les élections qui définissent le mieux la démocratie. En G.B où le système est élitiste et même aristocratique- sans compter exclusif( les Irlandais étaient exclus des élections et même de tout droit) le parlement joue son rôle. Même pendant la guerre Churchill devait venir pour défendre ses décisions. A suivre

quand l'hôpital se fout de l'infirmerie ... Aider les palestiniens ce n'est pas faire autant de blabla narcissique derrière son PC ..mais agir avec des actes concrets Alors dites nous , membres du club des 'bien pensant' quelles sont les aides apportées depuis des années aux palestiniens par les pays dit "frères" ? à part les prières les manifs et les drapeaux brulés ?.. qui les aide pour manger, boire, se chauffer, remplir ses réservoirs d'essence et s'éclairer ,ceux des démocraties ou ceux des théocraties ?

Toutes ces valeurs dont se targuent l'occident, ont un domaine de validité defini par l'espace et par le temps. Si vous n'êtes pas au bon moment et au bon endroit, circulez il n'y a rien à voir.

Vous vous interrogez sur les valeurs occidentales tant vantées et arborées, en vous appuyant par ad hominem sur le contraste criant entre l’Ukraine et la Palestine. Un argument si évident que nul ne peut nier. J’ajoute que, plus généralement, votre analyse fournit des explications au constat du billet de M. Laroui dont je reformulerais le titre « Mais qu’est-il arrivé aux pays occidentaux? » au point que les immigrants ne croient pas en leur idéal, ni à leur universalisme sélectif, restrictif, disjonctif, et réducteur. D’où le conseil : « Ô vous qui avez cru ! Ne prenez pas Mon ennemi et le vôtre pour alliés, » Sourate الممتحنة L’éprouvée. Bonne journée!

« Car au fond, il s’agit avant tout d’ethno-démocraties non assumées et aucunement d’une vision du monde fondée sur le principe d’une justice universelle ». Les médias français où les principes d’un journalisme objectif est à des années lumières trouvent paradoxal que la conférence sur le climat soit organisé par un pays producteur d’énergies fossiles. Allez leur dire : 1/ mais qui a inventé des machines et toute sorte de matériel fonctionnant aux dites énergies ? 2/ Etes vous prêts, vous les occidentaux, à renoncer à vos modes de consommation pour arrêter les énormes dégâts que vous causez à l’environnement et partant aux populations du Sud ? M. Achachi, l'observateur pertinent que vous êtes, vous connaissez la réponse.

Même à l'intérieur des frontières tous les gens ne sont pas traités de la même manière. Certains sont des demi citoyens qu'on a le droit de critiquer, de caricaturer outrageusement, puis des citoyens ordinaires plus ou moins bien traités et enfin des citoyens premium avec lesquels il faudrait être très attentif dans le traitement pour ne pas les froisser.

Article intéressant porteur de mille questions à se poser sur les fondements et le développement des ethno-democraties qui règnent sur la "pensée universelle"

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