L’Algérie, le Mali et la Russie

Bernard Lugan.

ChroniqueDans la région du Sahel, les intérêts de l’Algérie s’opposent à ceux du Mali, mais télescopent également ceux de la Russie. C’est ainsi que, troisième acteur régional, Moscou soutient militairement la junte au pouvoir à Bamako, mais tout en fournissant à l’Algérie la quasi-totalité de son armement.

Le 15/04/2025 à 10h58

Depuis 2024, la tension est vive entre le Mali et l’Algérie. Elle l’est d’autant plus que les deux pays partagent une frontière de 1.329 kilomètres, et que les Touareg vivent dans leurs deux territoires. Or, Bamako reproche à Alger ses liens avec les séparatistes touareg. Dans ce contexte explosif, une accélération de la tension s’est produite au tout début du mois d’avril, quand les Forces armées maliennes ont annoncé que l’un de leurs drones militaires, fourni par la Turquie, avait été abattu dans la nuit du 31 mars à proximité de Tinzaouaten, c’est-à-dire quasiment sur la frontière avec l’Algérie.

Et comme les Touareg ne disposent pas de l’armement capable d’abattre ce type de drone, qui plus est de nuit, il est donc quasiment certain que ce fut l’armée algérienne qui fut à la manœuvre. Alger a d’ailleurs annoncé que l’appareil avait été intercepté et abattu à deux kilomètres à l’intérieur du territoire algérien.

Il faut bien avoir à l’esprit que Tinzaouaten, ville frontière divisée entre le Mali et l’Algérie, sert de refuge aux groupes armés touareg qui bénéficient de la protection algérienne. Pour mémoire, c’est à Tinzaouaten que, entre le 25 et le 27 juillet 2024, les Touareg, renseignés par l’armée algérienne, ont infligé une sanglante et humiliante défaite aux mercenaires russes qui épaulent l’armée malienne. Après trois jours de combats acharnés, ces derniers avaient alors laissé plusieurs dizaines de morts sur le terrain. Toujours pour mémoire, c’est encore à Tinzaouaten que les différentes factions de la Coordination des mouvements de l’Azawad se sont réorganisées, avec l’appui d’Alger, et que, le 2 mai 2024, elles créèrent le Cadre stratégique permanent pour la défense du peuple de l’Azawad (CSP-DPA).

Puis, le 1er décembre 2024, encore une fois à Tinzaouten, plusieurs groupes touareg s’étaient réunis pour créer une nouvelle coalition militaire destinée à combattre l’armée malienne. Or, profitant de cette concentration de rebelles, l’armée malienne procéda à des frappes de drones qui éliminèrent plusieurs cadres rebelles touareg. Tinzaouaten est donc un lieu hautement stratégique que l’armée algérienne a désormais mis sous surveillance, afin que ses protégés touareg soient à l’abri des frappes des drones maliens.

«Au Mali, les choix politiques de la Russie s’opposent donc aux priorités sécuritaires algériennes. Or, l’Algérie est le principal partenaire de Moscou au Maghreb.»

Un simple regard sur une carte suffit à comprendre pourquoi l’Algérie s’intéresse au Mali. Les Touareg algériens appartiennent en effet à trois confédérations, dont une seule, celle du Hoggar, a son territoire entièrement en Algérie. Tel n’est pas le cas des Kel Adrar (les Iforas), qui débordent de l’actuelle Algérie pour s’étendre sur tout le nord de l’actuel Mali, ni des Kel Ajjer, dont une partie du territoire est situé en Libye. L’Algérie surveille donc attentivement tout ce qui se passe dans la zone, car les foyers d’instabilité qui l’agitent menacent directement sa sécurité. Voilà pourquoi l’Algérie s’implique dans la région depuis la première guerre touareg des années 1964-1965.

Au mois de janvier 1991, lors de la deuxième guerre touareg du Mali, ce fut l’Algérie qui organisa les négociations qui permirent la signature de l’Accord de Tamanrasset. Le 23 mai 2006, quand éclata la troisième guerre touareg du Mali, ce fut une fois encore l’Algérie qui permit la signature des Accords d’Alger, signés le 4 juillet 2006. Après le déclenchement de la cinquième guerre touareg en 2011, l’Algérie fut une nouvelle fois à la manœuvre en faisant signer, le 15 mai 2015, l’Accord de paix et de réconciliation d’Alger.

Après le départ des forces françaises de Barkhane, la junte malienne, aidée par les miliciens russes de Wagner puis de l’Africa Corps, a déclaré renoncer à l’Accord de paix d’Alger qui, selon elle, faisait la part trop belle aux rebelles touareg. Depuis le coup d’État de 2021, le Mali développe en effet une politique nationaliste qui passe par la reprise de contrôle de la totalité de son territoire, ce qui a pour conséquence la liquidation de la rébellion des Touareg vue comme un inacceptable séparatisme.

La question est encore compliquée par le fait que, dans la région, si les intérêts de l’Algérie s’opposent à ceux du Mali, ils télescopent également ceux de la Russie. C’est ainsi que, troisième acteur régional, Moscou soutient militairement la junte au pouvoir à Bamako, mais tout en fournissant à l’Algérie la quasi-totalité de son armement. Au Mali, les choix politiques de la Russie s’opposent donc aux priorités sécuritaires algériennes. Or, l’Algérie est le principal partenaire de Moscou au Maghreb.

Par Bernard Lugan
Le 15/04/2025 à 10h58

Bienvenue dans l’espace commentaire

Nous souhaitons un espace de débat, d’échange et de dialogue. Afin d'améliorer la qualité des échanges sous nos articles, ainsi que votre expérience de contribution, nous vous invitons à consulter nos règles d’utilisation.

Lire notre charte

VOS RÉACTIONS

0/800