Le chef d’Etat-major de l’armée algérienne, Saïd Chengriha, a effectué cette semaine une visite officielle à Paris. Il a rencontré son homologue français, le général Thierry Burkhard, après avoir été reçu par le président Macron et son ministre des Armées, Sébastien Lecornu. Dans un communiqué lapidaire, le ministère de la Défense algérien a indiqué que ces rendez-vous ont servi à «définir les perspectives et les voies permettant de consolider la coopération dans les deux domaines militaire et sécuritaire». Quant aux médias français, ils se sont bornés à donner l’information sans autres détails ni commentaires.
Une visite hautement symbolique. Elle est la première depuis 17 ans pour un chef d’Etat-major de l’ANP. Ces deux responsables se sont déjà entretenus lors de la visite en Algérie du chef d’Etat français, les 25-27 août dernier. Deux grandes questions avaient été alors évoquées: celle de la situation sécuritaire au Sahel et celle de l’accentuation de la coopération entre les deux armées. Ce déplacement s’inscrirait également dans le cadre de la préparation de la visite d’Etat du président algérien, Abdelmadjid Tebboune, prévue dans quatre mois, en mai prochain. C’est d’ailleurs dans cette même ligne qu’il faut noter la visite de la secrétaire générale du Quai d’Orsay, Anne-Marie Descôtes, cette même semaine, le jeudi 25 janvier, à la tête d’une délégation d’une vingtaine de hauts fonctionnaires.
Le cadre de cet agenda est la réunion de la 9ème session des Consultations politiques algéro-françaises. A l’ordre du jour, notamment les points suivants: redynamisation des mécanismes de coopération bilatérale prévus par la déclaration d’Alger d’octobre 2022, partenariat renouvelé et conclusions de la 6ème session du Comité intergouvernemental de Haut niveau. Il a également été précisé la prochaine tenue du Comité mixte économique. Enfin, il a été question du «voisinage immédiat» (Sahara, Sahel, Libye, ...).
Il faut le dire tout net: la visibilité donnée à cette visite ne peut que nourrir bien des interrogations. Jusqu’à plus ample informé, ce n’est pas une pratique diplomatique courante que de mettre en scène –aussi politiquement en tout cas– un chef de l’armée algérienne. Alors? Paris lui accorde pratiquement un blanc-seing, à titre personnel, alors que le général Chengriha est mis en cause depuis des années pour sa responsabilité dans des crimes et des exactions se rapportant aux droits de l’Homme et à des trafics de toutes sortes…
La question des achats d’armes est évidemment l’un des grands dossiers à l’ordre du jour. Le budget militaire d’Alger est d’ordinaire de l’ordre de 11 milliards de dollars par an; il va plus que doubler en 2023 avec un chiffre de 23 milliards de dollars! Pour quoi faire? Et qui menace à ce point-là ce pays? Paris y voit en tout cas une nouvelle opportunité à saisir pour avoir une part de ce marché. Depuis l’indépendance, le gros de l’armement de l’ANP est en effet assuré par Moscou. Alger se propose désormais de se tourner vers l’Hexagone et ce pour plusieurs raisons.
La première a trait aux conclusions actuelles du conflit Ukraine-Russie avec l’illustration des insuffisances de l’armement russe dans divers domaines. La deuxième regarde la consolidation du «nouveau deal» entre les deux pays: se rapprocher de la France, n’est-ce pas donner des gages d’un moindre alignement sur la Russie et tenter de minorer la nature et la dimension d’un axe Alger-Moscou? Une problématique d’autant plus pesante qu’une trentaine de parlementaires de la Chambre des représentants américaine ont saisi dernièrement le président Biden pour lui demander d’appliquer «immédiatement» des sanctions contre Alger au motif que les achats d’armement à la Russie tombent sous le coup de la loi CAATSA (Countering America’s Adversaries Through Sanctions Act) signée par le président Trump le 2 août 2017 et toujours en vigueur. Sont visés depuis l’Iran, la Corée du Nord mais aussi la Russie... La Turquie a été ajoutée en décembre 2020. Pour les élus américains qui ont porté cette demande, l’Algérie doit être incriminée et sanctionnée pour le fait de continuer d’acheter des armes à Moscou.
Un autre paramètre intéresse, quant à lui, la complexité de la situation régionale. Au Sahel, Paris a dû plier bagages en étant contrainte de retirer sa force Barkane –le dernier contingent doit se retirer dans un mois, à la demande de Bamako. Ailleurs, dans l’Afrique francophone, le tableau n’est pas plus reluisant d’autant que se développe un fort sentiment anti-français dans les populations. Mais que peut faire Alger qui a une politique propre dans cette région qui n’a pas vraiment convergé avec celle de Paris: tant s’en faut? L’implantation russe dans cette région avec l’armée «privée» Wagner dirigée par un proche de Poutine, Yevgeny Prigozhin, se consolide. Paris escompte quoi de la part d’Alger dans cette affaire compte tenu des liens de ce pays avec la Russie? Les généraux ne soutiennent-ils pas Moscou à propos du conflit avec l’Ukraine?
Le Maroc suit toutes ces évolutions. Avec intérêt. Et vigilance. Ce qu’il note c’est bien un nouvel axe Paris-Alger. Une réarticulation en marche qui va s’accentuer avec la prochaine visite du président Tebboune à Paris en mai. D’ici là, quoi de nouveau? Dans l’agenda de l’Elysée, il est prévu une visite officielle d’Etat au Maroc lors de ce premier trimestre 2023? Aura-t-elle lieu, compte tenu de surcroît du vote hostile des eurodéputés du parti de Macron, de la résolution du Parlement européen du jeudi 19 janvier? Et quand l’on voit encore les ambiguïtés frileuses de Paris sur la question du Sahara marocain, il y a de quoi rester dubitatif. Enfin, le jeudi 26 janvier, la porte-parole du Quai d’Orsay a déclaré que «la France n’est pas en crise avec le Maroc», n’est-ce pas l’aveu d’une situation problématique entre les deux pays? Alors? L’on attend de Paris de la clarté, de la cohérence à la fois dans sa politique et dans son discours officiel.