Dans l’histoire contemporaine du Maroc, nombre de réformes porteuses de modernité ont été initiées par l’État. N’ayant pas connu de révolution industrielle ni d’ouvertures commerciales significatives durant trois siècles (du 16ème au 19ème), la société marocaine a été profondément labourée par le conservatisme. Cet héritage historique a été source d’un acquis majeur: une nation à l’identité établie. Et aussi d’un inconvénient: une société rétive aux réformes, surtout sociales.
Le relatif contrôle exercé par les pouvoirs publics, comme dans toutes les démocraties, sur les principales instances de perpétuation de l’ordre social (systèmes scolaire, juridique, religieux et culturel), et l’appui de la plupart des composantes de la société civile et des médias n’ont souvent pas suffi à convaincre la population de l’intérêt de nombre de mutations sociales ni à dissuader récemment une large partie de cette même population à céder aux sirènes d’un conservatisme religieux venu de l’Orient.
La création du Parti authenticité et modernité (PAM) s’inscrit parmi les tentatives entreprises par une partie des élites politiques de la société et de hauts fonctionnaires pour aider l’État à la fois à faire avancer certaines réformes sociales, considérées comme allant dans le sens des aspirations du Maroc à la modernité et une démocratisation assumée, et à faire reculer les conservatismes.
«Fort» de la posture de l’historien et de l’analyste qui n’est pas dans le feu de l’action, et à la veille de son congrès, que l’on nous permette de livrer un premier bilan de l’expérience PAM et de proposer quelques pistes pour l’avenir.
Le fait que le PAM ait été créé pour contrer une vague montante (conservatrice en l’occurrence), et que cela s’est fait dans un laps de temps court, a indubitablement impacté ses programmes et la cohésion de son personnel politique. Commençons par le programme. Bien qu’à première vue, le PAM s’est voulu porteur d’un discours politique nouveau, empreint de modernisme, et qu’il ait mis l’accent sur la nécessité de promouvoir des secteurs importants comme l’enseignement et la santé, d’introduire plus d’équité fiscale et de revoir la gouvernance, il est demeuré, surtout chez la plupart des observateurs politiques, comme un parti créé pour croiser le fer avec les islamistes en prenant le contrepied de leurs propositions dans les domaines de la famille, de la justice et de l’enseignement. Les institutions super structurelles de la société en somme. De même, le mélange voulu entre élites issues de l’extrême gauche sans emprise sur la société, voire sur les réalités, et notables territoriaux sans formation idéologique a montré rapidement ses limites. Le discours moderniste produit par les premiers a été mal relayé dans la société par les seconds qui n’en voyaient pas la pertinence. L’échec aux législatives de 2011 a considérablement stoppé le parti dans son élan. S’en sont suivies deux législatures d’une opposition pas toujours très argumentée ni cohérente, qui a épuisé plus d’un secrétaire général. Depuis sa création en 2008, le parti compte à son actif six ex-secrétaires généraux, l’actuel étant le septième.
Lors de l’attribution des portefeuilles dans l’actuel gouvernement, l’image du PAM parti intéressé par les superstructures, est revenue en force: justice, culture, communication, gouvernance (réforme de l’administration), enseignement supérieur, compétences… diverses transitions ont été le lot d’une formation dont on s’attend qu’elle ait un «apport qualitatif».
Pour les portefeuilles économiques, il faudra attendre. Seule exception: l’habitat, sujet lourd qui mérite une chronique à part.
Était-ce un bon choix pour un parti qui affiche des ambitions de leadership, si ce n’est pas pour 2026, au plus tard pour 2030, comme vient de le déclarer un des ex-secrétaires généraux sur le retour? Il faudrait plus d’un «apport qualitatif» pour jouer les premiers rôles et ne pas être acculé aux positions de supplétifs de majorités qu’on ne conduit pas.
Le projet politique du PAM, parti du centre moderniste, n’est pas inintéressant, loin s’en faut. Encore faut-il qu’il ait une lecture plus correcte de la modernité et qu’il s’attelle à sa construction. Il a sa place entre une droite dominée par un Rassemblement national des indépendants (RNI) libéral et proche des milieux d’affaires, ne souhaitant pas trop s’engager sur les sujets sociétaux qui «fâchent», un Parti de l’Istiqlal conservateur «timide», un Parti de la justice et du développement conservateur «orthodoxe» et une gauche balbutiante qui n’a pas encore digéré son passage au gouvernement et ses revirements idéologiques douteux.
Pour gagner en crédibilité, le PAM devrait revoir son offre politique dans le sens d’un couplage entre réformes de société et modernisation économique. Il est difficile d’envisager des avancées dans les superstructures sans que les fondements économiques de la société ne soient construits sur une rationalité moderne. Lors de ses premières années d’activité, des idées intéressantes ont été avancées par les cadres du parti sur la priorité à donner à l’industrialisation, à la réforme de la fiscalité, à une meilleure gouvernance économique, à la nécessité de mettre «l’économie au service de la société». Ces thèmes pertinents ont été dilués par une communication quelque peu confuse et des polémiques contre-productives.
Aussi faudrait-il qu’il complète son offre programmatique en lui donnant un caractère systémique (économique, social et culturel), marqué par la cohérence, qu’il mette à niveau ses dirigeants et qu’il utilise ses élus comme force de frappe pour disséminer ses idées dans la société.
À défaut, il rejoindra les rangs des partis qui ont déjà commencé à contacter, à travers le pays, les notables souhaitant se présenter dans les prochaines législatives, pour assurer la survie de leur groupe parlementaire actuel et gagner un éventuel strapontin dans un futur gouvernement. La modernité mériterait un engagement plus prononcé.