Quel crédit prêter aux propos de Luigi di Maio, ministre des Affaires étrangères de la République d’Italie, quand il qualifie les relations entre le Royaume du Maroc et son pays de stratégiques? Quel sens donner au mot stratégique? Crucial, important ou tout simplement amical? L’histoire récente de la diplomatie italienne a montré que ce pays n’a, depuis 1945, qu’un seul et unique allié stratégique, voire mentor: les Etats-Unis d’Amérique, et qu’il n’a pas hésité à entrer en conflit avec ses voisins et alliés européens les plus proches quand ses intérêts économiques étaient en jeu. Ses escarmouches avec la France ne se comptent plus. Ses divergences avec l’Allemagne sont de taille: l’Italie s’oppose à ce que ce pays occupe un siège permanent au Conseil de sécurité, lui reproche d’avoir favorisé ses intérêts dans l’élargissement de l’UE à l’Est et de freiner les ambitions italiennes dans les Balkans. Bref, l’Italie n’est pas l’enfant de chœur pacifiste de l’Europe. Elle veille sur ses intérêts partout dans le monde. Elle se classe sixième dans le monde en nombre d’ambassades (137) et dispute la première place aux Etats-Unis en nombre de consulats.
Face à une diplomatie italienne peu portée sur les considérations idéologiques et stratégiques, c’est un fait, quelles sont les voies à avantager par la diplomatie marocaine pour remplir sa part de contrat dans l’amélioration de nos rapports?
L’image du Maroc chez les élites politiques italiennes et auprès de l’opinion publique de ce pays demeure en grande partie caricaturale. Nos avancées politiques, économiques, sociétales et culturelles sont largement méconnues. Chasse gardée des Français, auxquels s’ajoutent maintenant les Espagnols, exportateur de vendeurs de tapis ambulants, les fameux «vu cumpra», voilà ce qui est retenu. Le Maroc puissance régionale, gardien de la paix en Méditerranée occidentale et au Sahel, producteur d’automobile et de pièces d’avions, redoutable dans sa lutte contre le Covid-19, ça c’est moins bien connu. Barrière de langue? C’est un facteur, il y en a d’autres.
Maintenant que notre diplomatie est partiellement libérée de son principal souci dans ce pays: la défense de notre intégrité territoriale. En effet, après la reconnaissance de notre souveraineté sur le Sahara par les Etats-Unis et les positions consécutives de l’Allemagne et de l’Espagne, tenant aussi compte de la position de la France, il nous semble fort improbable que l’Italie sorte du lot. Elle, notre diplomatie, devrait déployer un surcroît d’effort sur trois autres fronts: la diplomatie des territoires, une gestion plus dynamique de la communauté marocaine en Italie et une présence culturelle plus conséquente.
Un des points forts de l’économie italienne est son nombre impressionnant de PME, organisées en clusters (appelés chez eux districts), capables de créer, innover et fournir un produit comme s’il sortait d’une seule usine. Cette capacité à fédérer les efforts est le fruit d’un long apprentissage où ont été impliqués: les administrations territoriales, les centres de formation et les unités de production. La décentralisation, régionalisation, a été chez les Italiens un moteur de développement. Aussi pour nouer des relations de qualité avec les entreprises italiennes, améliorer encore plus le volume de nos échanges commerciaux, il est préférable de s’adresser aux régions. Leurs interfaces au Maroc sont nos régions. Lesquelles sont appelées à aller chercher l’expertise italienne pour valoriser leurs produits locaux et la mise en réseau de leurs TPE et PME. Nos régions armées de leurs Plans de développement régional (PDR) trouveront chez les régions italiennes une expérience unique et très utile.
La communauté marocaine en Italie (600.000 personnes) a une spécificité, elle est composée en partie d’entrepreneurs (72.000). C’est une caractéristique qui offre un intérêt certain. Un entrepreneur, quelle que soit la taille de son entreprise, ne réfléchit pas comme un ouvrier. Il peut dégager un dynamisme et une volonté qui mis en réseau peuvent être très utiles pour la qualité de la présence marocaine dans ce pays, financièrement et culturellement. L’image du Maroc peut en bénéficier.
Les amis du Maroc et de l’Italie ont toujours appelé de leurs vœux une intensification des relations culturelles entre ces deux pays. Actuellement, l’ambassade d’Italie au Maroc multiplie les activités, au grand bonheur des intéressés. Le Maroc devrait en faire de même en Italie, où notre déficit en termes d’image est important. Une offre de qualité incluant la musique andalouse (Moyen Age européen), nos différentes danses sous la conduite de véritables chorégraphes, nos artistes plasticiens et nos cinéastes, contribuera à mieux nous faire connaître.
Le nombre d’étudiants marocains en Italie est anormalement bas: 3000. La qualité des universités, l’apprentissage rapide de la langue devraient encourager plus de demandes. L’Italie est plus proche de nous que l’Ukraine.
Le géographe marocain Al Idrissi est allé au Moyen Age en Sicile, il fut encouragé par le Roi local à confectionner des cartes et planisphères. Son œuvre est considérée comme majeure dans son domaine pour cette période. Le climat italien sied-il au génie marocain? Il y a d’autres exemples.
Notre diplomatie est appelée à faire preuve davantage de pragmatisme afin de s’adapter aux spécificités de chaque pays. Il y va de notre intérêt.