Face à l’incapacité de l’ancien modèle économique à générer de forts taux de croissance et à l’apparition d’inégalités sociales criardes et menaçantes, le Roi Mohammed VI a demandé l’élaboration d’un nouveau à même de corriger les disfonctionnements apparus et de mettre le pays sur les rails d’une croissance inclusive. La mission de décliner et enrichir la vision royale, en ayant recours à une large concertation, a été confiée à une commission spéciale pour un Nouveau modèle de développement (NMD).
Parmi les recommandations fortes de cette commission figure une extension du rôle l’Etat. De développeur, chargé d’équiper le pays en infrastructures, l’Etat, sans sombrer, dans le dirigisme, a assumé aussi les missions de régulateur: «pour assurer le fonctionnement correct d’un système complexe», fonction dévolue auparavant au marché; réducteur d’inégalités à travers la mise en place de la protection sociale; et enfin, tout en restant développeur, il est appelé à soutenir activement la croissance économique.
Dans quelle mesure le gouvernement durant sa première année d’activité et surtout dans le PLF 2023, censé être son premier véritable test de politique économique, a-t-il correctement mis en musique les nouvelles missions de l’Etat, dans leur pluralité, en leur donnant un caractère systémique, seul générateur de croissance? Sachant que dans la nouvelle approche, seule l’utilisation synchronique des trois leviers: régulation, répartition et soutien à la croissance est porteuse de résultats satisfaisants.
Lors de sa présentation du PLF, le gouvernement a focalisé sur le volet social, pour marquer sa volonté d’améliorer le vécu des plus précaires. Les énormes déficits accumulés depuis des lustres et exacerbés par une crise mondiale et une sécheresse interne impitoyables justifient ses choix.
A-t-il poussé le bouchon jusqu’à «culbuter» l’architecture classique du budget général de l’Etat en revoyant la part des grands agrégats en faveur des secteurs sociaux?
La lecture du PLF 2023 autorise des nuances. Il y a eu certes un léger rééquilibrage en faveur des budgets sociaux, mais sans toutefois que cela n’impacte la croissance des autres budgets de fonctionnement et d’investissement. L’investissement public s’en sort même très bien avec une hausse spectaculaire, lui permettant d’atteindre la somme tout à fait respectable et louable de 300 milliards de dirhams (30 milliards de dollars américains).
Le qualificatif de social est généralement adossé à un budget à fort engagement financier pour le secteur et qui a exigé l’arbitrage entre différentes rubriques, avec baisse de l’un en faveur de l’autre. Or, on ne constate pas de sacrifices particuliers des postes «non sociaux».
Cette donne légitime l’interrogation suivante: le gouvernement pouvait-il véritablement faire mieux pour le social cette année?
Afin de ne pas courir le risque d’émettre des jugements hâtifs, ayons recours aux indicateurs internationaux dans le domaine pour nous aider à élaborer des réponses.
Il a suffi de 6,5 milliards sur un budget de 600 milliards pour porter le budget de l’enseignement aux standards internationaux. Avec ses 69,5 milliards de dirhams, soit 11,6 % du budget général de l’Etat (BGE) et 5,2% du PIB, le budget de l’enseignement se situe dans les normes internationales: 5% du PIB.
On mesure l’effort accompli et on prend acte au passage du diagnostic de certains spécialistes du domaine qui ne craignent pas le courroux de la puissante corporation de l’enseignement: l’amélioration des performances de ce secteur est essentiellement tributaire d’une meilleure gouvernance des ressources humaines.
Le véritable retard se situe au niveau de la protection sociale et du système de santé. Si la protection sociale est en train d’accomplir des pas de géant, grâce aux instructions royales, le système de santé est malheureusement à la traîne. Avec 28,12 milliards de DH, soit 4,69% du BGE, la contribution de l’Etat est loin, très loin, de la norme OMS qui la situe à 12%. Soit 72 milliards dans le budget actuel.
Le gap est de 44 milliards cette année, sans tenir compte des retards accumulés. Autre indicateur qui confirme le retard: la dépense de santé par habitant.
En cumulant les dépenses du secteur public et privé, méthode sujette à contestation, nous nous maintenons dans des tranches basses par rapport au voisinage. Tout cela, avec cette lancinante question: une fois acquise la couverture médicale assurant aux Marocains les moyens pour se soigner, où vont-t-ils trouver l’offre de soins?
Face à ces énormes besoins, le gouvernement, rétif aux arbitrages, dispose-t-il de marges de manœuvre pour dégager d’autres ressources, permettant d’accélérer la cadence des réformes?
C’est établi, le refus du gouvernement d’aborder frontalement la problématique fiscale le prive d’un manque à gagner pour l’Etat de plusieurs dizaines de milliards de dirhams. La pression fiscale est trop basse: 25% du PIB, même après inclusion des coûts des dépenses fiscales (dérogations agriculture et export notamment). Il y aurait, en retenant l’approche du FMI, 8 points de PIB à récupérer en élargissant l’assiette et en combattant la fraude soit 100 milliards de dirhams. Pourquoi hésiter, alors? Un souci de ménager des bases électorales? Quelques craintes nourries par la capacité de nuisance de certaines corporations?
Allons-nous laisser convaincre que ceux qui crient le plus obtiennent davantage? Notre certitude demeure inébranlable, l’accélération de la mise en place de la protection sociale et la mise à niveau du système de santé ne peut être que bénéfique pour le pays en termes de stabilité politique et sociale.
Revenons à l’approche holistique de l’intervention de l’Etat dans l’économique et le social. Les ressources peuvent également être dégagées indirectement à travers une utilisation raisonnée des mécanismes de régulation qui bannissent les ententes: source de surprofits, en ouvrant plusieurs secteurs à la concurrence, en éliminant les barrières à l’entrée fictives.
Bref, en mettant en place un environnement des affaires attractif pour l’investissement. C’est bien cette attractivité enrichie par de la transparence et de véritables politiques sectorielles qui va accroître la rentabilité de l’investissement public, nous parlons de 30 milliards de dollars, et inciter le secteur privé, encouragé par les politiques de soutien, à plus de dynamisme. L’ensemble sera porteur de la croissance économique.
N’est-il donc pas temps aussi, alors que la place financière de Casablanca recule à cause de contraintes internationales, d’entamer une redynamisation de la Bourse de Casablanca? L’introduction de nombre de sociétés étatiques dont le caractère stratégique est sujet à questionnement s’impose. Qu’y a-t-il de stratégique dans les services voyageurs et fret de l’ONCF? Une introduction partielle en Bourse permettrait à cet organisme de mobiliser plus de moyens et de multiplier les réalisations. Parlons aussi de l’Office Chérifien des Phosphates dont l’introduction en bourse, à un niveau minime, constituerait un message fort de confiance dans le capital national, de transparence de gestion et de quête accrue de croissance.
L’Etat marocain dans notre acception, ne doit pas limiter son intervention dans ce domaine à la mise à la Bourse des «bijoux de famille». La nouvelle Agence nationale de gestion stratégique des participations de l’Etat peut voir rapidement ses compétences élargies à la création, l’accompagnement et l’introduction en bourse d’entreprises. Donnant à un capital privé, en manque d’inspirations, un coup de pouce.
La mise de l’économie marocaine sur les sentiers d’une forte croissance se fera en mettant à profit la vision royale dans sa plénitude, ce qui n’interdit aucunement au gouvernement, cela a été sollicité expressément par le Souverain dans un de ses discours, de faire preuve davantage de créativité.
Réclamons, aussi, moins de timidité et plus d’audace dans l’action.