A la sortie du Covid, la souveraineté sanitaire était perçue d’abord à travers la capacité à produire localement des vaccins adaptés en cas d’épidémie. Il ne fallait plus être tributaire de fournisseurs étrangers et de leurs «agendas». Aujourd’hui, la notion de «souveraineté sanitaire» s’est agrandie pour embrasser à la fois le système de santé, l’industrie du médicament, le dispositif médical et le volet recherche. C’est à la construction de cette nouvelle souveraineté que l’Etat marocain devrait s’atteler s’il souhaite se donner les moyens d’assurer la santé de sa population en toute indépendance. Car une bonne politique de santé aujourd’hui, en plus de son action structurante d’inclusion sociale et de production de développement économique, joue un rôle de prévention de menaces sécuritaires que peuvent générer les épidémies.
Le Maroc accuse des retards importants en matière de santé. Que ce soit en offre de soins, en production d’intrants de médicaments, en disponibilité de dispositifs médicaux ou en recherche. Les indices sont connus et éloquents, inutile de les rappeler. Résultat d’une politique où la santé, tout en ayant été présente dans les discours politiques, n’a pas bénéficié de la priorité dans les financements publics. On aurait pu s’attendre de la part du gouvernement à un effort significatif pour le secteur dans le budget 2023. Mais, fait surprenant, cela n’a pas été le cas. Malgré l’attention portée en haut lieu à ce secteur et le lancement de l’Etat social.
Avec un budget de 28 milliards de dirhams pour 2023 (celui de 2022 était de 24 milliards de dirhams), nous sommes encore très loin des normes internationales, qui recommandent une dépense de santé publique à hauteur de 10% du PIB, soit 133 milliards de dirhams pour le Maroc en 2023. Le ministère de la Santé préfère, on le comprend, mettre en avant un autre indice: la Dépense courante de santé (DCS), qui ajoute à la dépense publique (25% du total des dépenses de santé, 2% du PIB) celle des organismes d’assurance (22%) et surtout celle des ménages (51%), qui supportent la plus grosse partie des dépenses au détriment de leurs revenus (la norme OMS se situe entre 20 et 25%), pour arriver à une DCS de 8%.
Pourquoi cette parcimonie alors que le budget offrait de la marge? Le budget de l’investissement, rappelons-le, est de 300 milliards de dirhams. Des sources proches du dossier avancent l’existence d’un déficit grave en ressources humaines (31.000 médecins et 65.000 infirmières) qui rend tout investissement dans les équipements problématiques. Des hôpitaux ne disposent pas de médecins dans plusieurs spécialités et de personnel en nombre suffisant. Et ceux qui y travaillent ne sont pas des émules de Stakhanov, ils ne se tuent pas à la tâche.
La productivité est basse par rapport au secteur privé. La solution est connue et inévitable dans cette conjoncture où la demande augmente rapidement: rapatrier le personnel qui a migré vers le privé par une revalorisation des salaires et un système de motivation. Privé qui, lui, la nature ayant horreur du vide, draine l’essentiel du budget consacré à la couverture médicale (90%) et affiche des résultats insolents. Allons-nous confier l’ensemble de la santé au privé, avec les risques que cela peut entraîner? La question mérite d’être posée. A l’évidence, au-delà des contraintes financières, il y a dans ce secteur aussi un problème de gouvernance.
L’inauguration récente d’une unité de production de médicaments génériques par le Chef du Gouvernement, concomitamment à une visite du ministre de l’Investissement en Inde, a ressuscité le débat sur la volonté de notre pays de ne plus se contenter d’unités de conditionnement de médicaments et de production de quelques génériques. Nous demeurons trop dépendants des importations de princeps (principes actifs) au prix fort. Y a-t-il une solution? Au vu des attaches qui lient les principales unités de production locales aux laboratoires étrangers et de la «position» limite «dominante» de quatre d’entre elles, il apparaît que la solution ne viendrait pas du privé.
Le public pourrait intervenir à travers un fonds d’investissement pour la création, avec des investisseurs privés intéressés éventuellement, d’un écosystème de production de princeps. D’après certaines sources concordantes, cela coûterait 3 milliards de dirhams. L’ensemble de nos importations de médicaments avoisinent les 10 milliards de dirhams (2021). Avons-nous besoin de souligner le caractère stratégique de cette décision et son impact bénéfique sur notre souveraineté sanitaire? Nous sommes loin d’ignorer la complexité de ce marché et la puissance de ses acteurs mondiaux. Toutefois c’est un investissement qui offre à la fois un intérêt économique et de souveraineté.
Nous aurons l’occasion de revenir sur le secteur des dispositifs médicaux. Quant à la recherche, nous accusons un énorme retard, elle mériterait une attention particulière.
Le secteur de la santé, important économiquement et stratégiquement, connaît, à l’instar d’autres secteurs d’activité, un dérèglement inquiétant de l’offre publique. Inutile de rappeler que quand il s’agit de secteurs qui connaissent des problèmes d’offre, la marge de manœuvre de l’exécutif est plus grande. Aussi, nous n’aurons de cesse d’interpeller notre exécutif pour l’amélioration de la gouvernance. Sachant que nous partageons les mêmes grandes ambitions pour notre pays.