Discrètement, mais sûrement, le nouveau visage du partenariat entre le Maroc et les États-Unis sous l’administration Trump prend forme. Et il sera résolument de nature économique. Passant sous les radars, les initiatives balisant le terrain se suivent. La nouvelle métrie, ce sont les droits de douane nouvellement annoncés mercredi 2 avril par l’administration Trump, établis à 10% s’agissant du Maroc avec une entrée en vigueur ce samedi 5 avril. Un taux plancher qui ménage à bien des égards le Maroc. Nous sommes loin des 34% imposés à la Chine, 20% à l’Union européenne et, plus près de chez nous, des 30% édictés à l’Algérie et 28% à la Tunisie. Ces «droits réciproques» correspondent qui plus est à des taxes ad valorem qui s’additionneront aux droits de douane déjà existants. Ainsi, pour la Chine, les 34% précités s’ajoutent aux 20% mis en place depuis l’investiture de Donald Trump, pour un total de 54%. Ce cumul est de 25% pour l’UE (20%+5%), de 33% pour la Tunisie (28%+5%) et 35% pour l’Algérie (30%+5%).
Lié aux États-Unis par un Accord de libre-échange, le Maroc figure parmi les pays les moins pénalisés donc, les 10% annoncés étant plutôt nets. La Jordanie, seul autre pays arabe lié par un ALE avec les États-Unis, a été quant à elle taxée à hauteur de 20%. Bien qu’entraînant une onde de choc qui nécessitera nombre d’ajustements pour les opérateurs marocains, comme expliqué dans une analyse dédiée établie par Le360, la mesure conforte une dynamique définitivement favorable au Maroc.
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Le ton a été donné dès le lendemain de la prise de fonction du président américain, avec la nomination le 7 mars dernier d’un proche businessman à la tête de l’ambassade des États-Unis à Rabat. Avec un ton confinant à l’intime, Donald Trump n’a pas manqué de s’en féliciter: «Je suis heureux d’annoncer que Duke Buchan III exercera les fonctions d’ambassadeur des États-Unis auprès du Royaume du Maroc. Duke jouera un rôle central alors que nous renforçons la paix, la liberté et la prospérité pour nos deux pays. Félicitations à Duke et à sa merveilleuse famille!»
Plus qu’un CV, le parcours de Duke Buchan III est un véritable programme économique. Diplômé en économie de l’Université de Caroline du Nord à Chapel Hill et titulaire d’un MBA de la Harvard Business School, il fut d’abord banquier à Wall Street, avant de créer le fonds d’investissement Hunter Global Investors et de se lancer dans la promotion immobilière. Ses forces: l’art de conclure des deals et de trouver les financements nécessaires à différents types de projets. Figurant parmi les happy few à faire partie du cercle proche de Donald Trump, au cœur du pouvoir, il a notamment brillé en levant des dizaines de millions de dollars pour les campagnes républicaines. Depuis 2022, le diplomate occupe justement le poste stratégique de président du comité des finances (Finance chair) du Parti républicain.
Duke Buchan III ne vient pas seul au Maroc. Comme pour confirmer l’orientation «Business first» de l’administration américaine vis-à-vis du Maroc, et c’est là une véritable première, une mission commerciale de grande envergure est attendue au Maroc dès le mois de mai prochain. L’annonce en a été faite le dimanche 23 mars dernier par Youssef Lamrani, ambassadeur du Maroc à Washington.
Des représentants de plus de 15 États américains, accompagnés de ceux de plusieurs agences fédérales, y prendront part avec, en ligne de mire, le développement des investissements et du secteur agroalimentaire. Ce déplacement met en évidence les efforts croissants des deux pays pour renforcer leurs relations commerciales et d’investissement, et reflète leur engagement mutuel à approfondir les échanges dans des secteurs clés, favorisant ainsi la coopération bilatérale, a commenté l’ambassadeur du Royaume à Washington.
Diplomatie économique
De nombreux ministres et responsables marocains, à la tête de départements économiques stratégiques, ont récemment fait le voyage aux États-Unis. Le mercredi 5 mars, Amina Benkhadra, directrice générale de l’Office national des hydrocarbures et des mines (ONHYM), a présenté à Washington les avancées du projet Gazoduc Afrique-Atlantique (GAA), à l’occasion d’un événement organisé par le think tank américain Atlantic Council. Du 10 au 14 mars, Leila Benali, ministre de la Transition énergétique et du Développement durable, se trouvait à Houston, au Texas, pour exposer la stratégie énergétique du Royaume à des figures influentes des secteurs public et privé américains.
Quelques jours plus tard, le 17 mars, Amal El Fallah Seghrouchni, ministre déléguée chargée de la Transition numérique, a eu, à Washington, des entretiens avec Leila Elmergawi, directrice de la stratégie et de la politique mondiale en matière d’Intelligence artificielle au sein du Département d’État américain. L’occasion de présenter la stratégie Maroc Digital 2030, ainsi que les principaux chantiers et projets en cours dans le domaine de l’Intelligence artificielle, incluant la recherche et l’innovation.
Autant dire que des deux côtés de l’Atlantique, le temps est à la recherche de nouvelles opportunités de coopération dans des secteurs porteurs et à haute valeur ajoutée. Sur ce terrain, l’Accord de libre-échange Maroc-États-Unis est aujourd’hui appelé à se renforcer et à s’élargir à de nouveaux secteurs et domaines. L’accord, qui fête cette année son 20ème anniversaire, reste le seul du genre conclu entre les États-Unis et un pays africain.
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Les échanges entre les deux pays sont en constante progression. En 2024, les importations marocaines de biens américains ont atteint 5,3 milliards de dollars, en hausse de 37,3% par rapport à l’année précédente, plaçant ainsi le Royaume comme le 46ème marché pour les entreprises américaines. Sur la même période, les exportations marocaines vers les États-Unis ont connu un bond significatif de 12,3%, à un total de 1,9 milliard de dollars. Le fait est que «seulement 3% des exportations marocaines prennent la destination des États-Unis», constate l’économiste Abdelghani Youmni.
Une chose est certaine: contrairement à ce que certaines rumeurs avaient suggéré, l’ALE n’est aucunement remis en cause. La logique de révision des accords de libre-échange prônée par l’administration Trump ne vise que les pays avec lesquels Washington accuse une balance commerciale déficitaire. Pour le cas du Maroc, c’est l’inverse. «Nous avons des contacts réguliers avec les responsables américains, mais à aucun moment, l’idée d’une révision de l’ALE n’a été évoquée», nous assurait une source diplomatique au fait du dossier.
Au vu des pourparlers en cours, c’est plutôt le développement des échanges entre les deux pays qui est sur la table des discussions. Idem pour le partenariat en matière militaire, comme sur le registre politique. Fraîchement doté de ses premiers hélicoptères Apache AH-64 E de fabrication américaine, le Maroc s’apprête à en accueillir six autres. Et le projet d’acquisition du système de défense aérienne Patriot est en gestation. Cet équipement viendrait étoffer un arsenal marocain essentiellement «made in USA», axé sur l’efficacité, l’évolutivité et le contenu technologique. Accueillant le plus grand exercice militaire d’Afrique, conjointement avec les États-Unis (African Lion), le Maroc est au demeurant le premier partenaire des États-Unis, hors OTAN, en matière de défense.
La Minurso jugée caduque
Politiquement, l’administration américaine aura simplement à reprendre là où elle s’était arrêtée à la fin du premier mandat du président Trump. On s’en souvient, c’est le même Donald Trump qui signait, le 10 décembre 2020, une proclamation reconnaissant la souveraineté marocaine sur le Sahara atlantique.
«Le Maroc a reconnu les États-Unis en 1777. Il convient donc de reconnaître sa souveraineté sur le Sahara occidental», expliquait alors le chef d’État de la plus grande puissance mondiale.
Depuis, un consulat digital a été inauguré à Dakhla. Reste à ouvrir une représentation diplomatique proprement dite. Dans un rapport publié en février dernier, l’influente Fondation Carnegie pour la paix internationale indiquait que ce n’est qu’une question de temps. «Alors que Trump entame son second mandat, son administration pourrait aborder la question du Sahara occidental de plusieurs manières et faire avancer la politique qu’il avait mise en place en 2020. La mesure la plus évidente que l’administration Trump pourrait prendre pour mettre en œuvre la reconnaissance par les États-Unis de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental serait d’ouvrir un consulat physique dans le territoire», lit-on.
Expert senior au sein de la Heritage Foundation, bras idéologique de Donald Trump, Eugene Kontorovich va plus loin. Dans une tribune publiée le mercredi 12 février, dans les colonnes du prestigieux Wall Street Journal, il appelait à une réaction de l’administration américaine contre la Minurso, la mission onusienne au Sahara devenue «caduque» après la reconnaissance américaine de la souveraineté du Maroc sur le Sahara. La méthode: mettre un terme à la contribution des États-Unis au financement de cette mission et opposer un veto au renouvellement de son mandat par le Conseil de sécurité de l’ONU.
Dans un article publié le 19 mars sur le Washington Examiner, Michael Rubin, chercheur spécialisé dans les affaires du Moyen-Orient au sein de l’American Entreprise Institute, un think tank néoconservateur, ne disait pas autre chose. Pour lui, il est urgent de mettre un terme définitif à la Minurso. Ce n’est pas la première fois que cet ancien officiel du Pentagone, qui prend fait et cause pour le Maroc dans son conflit avec l’Algérie et son proxy le Polisario émet cette idée. La différence, c’est que celle-ci fait désormais son chemin.
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