A-t-on menti à Kaïs Saïed en lui faisant croire que dans l’avion présidentiel algérien qui a atterri à l’aéroport de Tunis-Carthage, vendredi dernier, 26 août 2022, se trouvait le chef d’Etat du Burundi, la délégation algérienne et, accessoirement, celle du Polisario?
En tout cas, jusqu’à l'arrivée sur le tarmac du chef du Polisario, le commentateur en direct de la télévision publique tunisienne ne parlait que de la délégation algérienne, sans mentionner l'identité de la personnalité qui la présidait.
Si effectivement dans l’avion officiel algérien, se trouvait le ministre algérien du Commerce, une délégation du Burundi, c’est finalement le passager Brahim Ghali qui a retenu l’attention. La suite, on la connaît.
Il faut simplement préciser qu’il est aujourd’hui établi que ce sont le Premier ministre du Japon, Fumio Kishida, et le président tunisien, Kaïs Saïed, qui ont signé les invitations adressées aux participants du 8e forum africano-nippon (Ticad 8). De plus, un document de la mission japonaise auprès de l’Union africaine, daté du 19 août 2022, vient confirmer que le Polisario n’a pas été invité à cette manifestation à Tunis, puisque le Japon ne le reconnaît pas, et a toujours refusé de l’inviter à ce qui est «son» forum.
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Il est donc clair que, contrairement à ce qu’affirme la diplomatie tunisienne, l’Union africaine n’est pas à l'origine de la présence des séparatistes du Polisario à Tunis. Ce n’est pas non plus le prétendu «poids de l’Algérie» qui est en cause, et qui aurait motivé cette décision, par la suite faussement attribuée à l’organisation panafricaine. En effet Kaïs Saïed n’est pas si idiot, et sait déjà pertinemment que l’Algérie ne représente rien au sein de l’Union africaine, comme le démontre le raz-de-marée qui a contré, le 15 juillet dernier, les velléités d’Alger d’abriter coûte que coûte la nouvelle Agence africaine du médicament. Cette déroute de l’Algérie, qui n’a récolté que 8 voix (dont la sienne, celle du Polisario et… celle de la Tunisie) contre 47 voix pour le Rwanda, est à la fois symptomatique de son isolement total dans le continent, et de la faible influence de ce pays dans l'organisation panafricaine.
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D’ailleurs, quand bien même l’on concéderait que c’est l’UA qui a invité Brahim Ghali à la Ticad 8, pourquoi donc, dans ce cas, Kaïs Saïed s’est-il personnellement déplacé à l’aéroport de Tunis-Carthage pour accueillir aussi «chaleureusement» le chef du Polisario, alors que le président tunisien sait déjà bien qu’un tel geste inamical à l’égard du Royaume du Maroc allait inévitablement déclencher une tempête diplomatique inédite entre Tunis et Rabat?
Surtout qu’en tant que chef d’Etat qui se doit d’être averti, il est impensable que Kaïs Saïed ignore les péripéties des précédentes réunions de la Ticad, où le Polisario a toujours été déclaré indésirable. Il n’est pas, non plus, sans savoir qu'au cours de toutes les précédentes rencontres du forum africano-nippon, le Maroc n’a jamais accepté de siéger une seule seconde avec les séparatistes du Polisario, quand ceux-ci réussissaient à y entrer par effraction.
Autant dire que c’est de toute évidence là la preuve d'une connivence au plus haut sommet des régimes algérien et tunisien qui a conduit à l’accueil théâtral qui a pu être réservé au chef des séparatistes à Tunis.
Mais la réaction pleine de fermeté du Maroc, qui a claqué la porte de la Ticad 8, en l'accompagnant de la décision forte du rappel immédiat de l’ambassadeur marocain à Tunis pour consultations, a eu ce mérite de secouer l’Union africaine, qui se retrouve aujourd’hui dans l’obligation de clarifier définitivement les règles de la participation de ses membres aux prochaines rencontres de partenariats (Japon, Chine, Union européenne etc.). L’UE et le Japon, qui ne reconnaissent pas le Polisario, doivent eux aussi emboîter le pas à la Chine, qui n’accepte, dans son forum avec l’Afrique, que les Etats souverains reconnus par l’ONU.
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Kaïs Saïed, généralement présenté comme le plus grand juriste constitutionnaliste de son pays, n’est certainement pas sans ignorer que le pouvoir tunisien a failli, un jour de mars 1980, être balayé par un complot conjointement ourdi par l’Algérie et la Libye. Suite à cet épisode, que l’histoire a retenu sous le nom de «l’affaire de Gafsa», au cours duquel un commando militaire a tenté de renverser le régime de Habib Bourguiba, feu le roi Hassan II avait clairement affirmé que le Maroc était prêt à intervenir, militairement s’il le faut, pour soutenir le peuple tunisien. «Le Maroc a déjà pris ses dispositions pour être aux côtés du peuple tunisien, au cas où la Tunisie était attaquée», avait alors déclaré le souverain défunt.
Mais il faut se résoudre à croire que l’allégeance de Kaïs Saïed à la junte algérienne est telle qu’il est prêt à tordre le cou à la diplomatie observée par son pays depuis 66 ans et à se placer dans le giron d’un camp perdant.