Omar Brouksy récidive. Après l’échec de son premier livre supposé nous introduire dans l’intimité du roi Mohammed VI, ce professeur à la faculté des sciences juridiques, économiques et sociales de Settat change son fusil d’épaule et réchauffe un marronnier dont il est attendu qu’il intéresse davantage les lecteurs français. «La République de Sa Majesté, France-Maroc, liaisons dangereuses», tel est le titre du livre d’Omar Brouksy, 320 pages, publié chez une maison d’édition qui ne compte aucun prix à son palmarès: Nouveau monde éditions.
L’éditeur et l’auteur ont fait le choix d’un titre incitatif et ont même poussé le racolage jusqu’à laisser entendre dans la jaquette du livre qu’il y est question des relations entre le roi du Maroc et le président Emmanuel Macron. «Les échanges de civilités entre "M6" et le nouveau président de la République Emmanuel Macron à l’été 2017 laissent espérer des rapports toujours plus étroits».
Tout le monde sait que la quatrième de couverture se compose des éléments les plus attractifs du contenu qui plaident en faveur de la publication de l’ouvrage. Elle constitue l’argument de vente dans la mesure où elle est supposée convaincre un lecteur hésitant à franchir le pas et acheter le bouquin. Et même sur la couverture du livre, la photo qui occupe le plus d’espace dans cette mosaïque d’un très mauvais goût est celle du roi Mohammed VI avec Emmanuel Macron.
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L’éditeur fait donc la publicité dans le dos du livre de révélations sur les relations entre Mohammed VI et Emmanuel Macron. On parcourt le livre pour en apprendre davantage sur les liens entre les deux chefs d’Etat. Se connaissaient-ils? Se sont-ils déjà rencontrés? Quels sont les hommes influents qui ont permis des rencontres antérieures? Quels sont les sujets d’intérêt commun? Eh bien, Omar Brouksy ne nous dira pas un seul mot sur toutes ces questions.
Pour voir le président français nommé pour la première fois, il faut attendre le tout dernier chapitre du livre intitulé «Macron: bienvenue dans la ''famille''» où l’auteur décrit l’arrivée du président français, le 14 juin 2017, à l’aéroport de Rabat-Salé. Il nous apprend que le «président français est accueilli par la famille royale au complet». Il accorde de l’intérêt à la «djellaba rouge vif» du roi et cite les noms des membres de la famille royale qui ont accueilli le couple Macron. On se frotte les yeux, on cherche autre chose que ce que des dizaines de milliers d’image avaient déjà donné à voir. Rien.
Plus loin, Omar Brouksy se donne la peine de transcrire de larges extraits de la conférence de presse que Macron a donnée à Rabat. Conférence de presse que tous ceux qui s’intéressent au sujet ont pu voir et visionner. Et c’est tout! Quelle déception pour tout lecteur qui voulait apprendre ne serait-ce qu’une anecdote inconnue, un détail sur la relation entre le roi et le président français. Quelle publicité mensongère dans la quatrième de couverture du livre! Et ce n’est là que la moindre des promesses non tenues par ce livre qui n’a pas les moyens de ses ambitions.
L’ellipse, l’approximation et le mensonge comme mode opératoireLe problème auquel sont confrontés les auteurs de livres à charge contre le Maroc, c’est qu’ils doivent noircir le trait. Omar Brouksy y va de toute son énergie, mais dans son parti pris, il oublie qu’un auteur qui se respecte vérifie ses informations et ne donne pas à lire des choses inexactes quand bien même il serait haineux et prompt à ne parler que des trains qui n’arrivent pas à l’heure. Exemple: l’auteur martèle plus d’une fois dans le livre que la SNI représente 7% du PIB du Maroc. En cela, il s’aligne ou reprend la phrase d’un autre obligé de Moulay Hicham, Reda Benchemsi, qui avait affirmé dans une émission diffusée sur France3 que la SNI représente 6.5% du PIB, alors qu’il suffit de s’informer un minimum pour savoir que la holding royale contribue à hauteur de 1.5% du PIB au Maroc. Grossir, amplifier et hypertrophier peut frapper les esprits, mais ne résiste pas à l’épreuve de la vérification et de la vérité.
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Dans le chapitre consacré à Zakaria Moumni, l’auteur cite abondamment des extraits du livre de l’ancien champion de combats de rue et de sa femme. Il reproduit fidèlement la version hurluberlue de Moumni: «A un moment, Mounir Majidi sort du château et me dit sur un ton menaçant: "Si tu étais au Maroc, on t’aurait fait la peau"». Mais à aucun moment, Omar Brouksy, qui s’est beaucoup prévalu de l’indépendance de la justice française, ne dit que cette même justice a condamné à trois reprises Zakaria Moumni dans les procès que lui a intentés le secrétaire particulier du roi Mohammed VI. Il est très improbable qu’un auteur, supposé être informé de l’objet de son livre, ne soit pas au courant des condamnations successives de Zakaria Moumni par la justice française. Pourtant, il n’en dit pas un seul mot.
Brouksy ne dit pas non plus que le parquet de Paris a classé sans suite la plainte de Moumni contre le patron du contre-espionnage marocain. Ces ellipses relèvent non seulement de la mauvaise foi et d'un parti pris criant, mais participent également à décrédibiliser le livre d’un auteur qui va multiplier les informations tendancieuses, ne craignant pas d’user du mensonge quand cela donne du piquant au livre.
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Car il y a plus grave. Dans son livre, Omar Brouksy s’est acharné contre Abdellatif Hammouchi, parton du pôle DGST/ DGSN. Il a longuement parlé de la renonciation de François Hollande à accorder la légion d’honneur à Abdellatif Hammouchi. Il cite des hésitations et des dates pour conclure au fait que l’ancien président français a reconsidéré la nomination de Hammouchi au rang de chevalier de la Légion d’honneur. Plusieurs pages sont consacrées à ce sujet. Plusieurs commentateurs parlent de «dilemme» duquel sort triomphante «l’éthique» de Hollande. Mais dans les faits, François Hollande a nommé par décret le 6 janvier 2016 Abdellatif Hammouchi officier de la Légion d’honneur. Comment «l’un des observateurs les mieux informés», comme le décrit son éditeur, peut-il composer autant de pages sur la base d’une intox?
Autre mensonge, Omar Brouksy affirme qu’Abdellatif Hammouchi serait interpelé par la police française s’il mettait les pieds sur le sol français. Or Hammouchi se rend souvent en France, y compris pour rencontrer de hauts responsables, comme Emmanuel Macron avec qui il s’est entretenu à l’Elysée une semaine après sa visite au Maroc, le 14 juin 2017.
Galerie de portraits et remplissageQu’y a-t-il d’autre dans le livre de Brouksy? Une galerie de portraits, allant de Jamel Debbouze à Bernard-Henri Lévy (BHL), en passant par Rachida Dati et Dominique Strauss-Kahn (DSK), le tout dans un style aux antipodes du genre dont se proclame l’auteur: l’investigation. On croirait lire un magazine spécialisé sur l’immobilier de prestige et les demeures de luxe, tellement Omar Brouksy est fasciné par les riads de Jamel Debbouze, BHL ou DSK. Plusieurs pages sont consacrées à ce sujet. Concernant le riad de BHL à Marrakech, Omar Brouksy reprend une description de l’écrivain Jean-Paul Enthoven: «Un palais de la médina au décor envoûtant et délicieusement nécrosé. Dédales de galeries. Entrelacs de jardins andalous. Miroitement de lumières sur des bassins ornés. Il y flottait toujours des relents de cannelle et d’oranges amères». L’auteur grossit le trait par rapport aux descriptions luxueuses de ces demeures, comme s’il cherchait sciemment à faire comprendre aux lecteurs français que les «amis du Maroc» mènent une vie digne des mille et une nuits au Royaume. A défaut de faits avérés, le professeur de Settat nourrit les fantasmes.
En matière de faits, Brouksy fait ce qu’il sait mieux faire: une compilation d’articles déjà publiés. Un ramassis de données disponibles. Les titres des chapitres sont en trompe-l’œil. Un chapitre est consacré à l’hôtel la Mamounia à Marrakech. L’auteur nous explique que cet établissement «renvoie aux liens approfondis entre la monarchie marocaine et une partie de l’élite politico-médiatique française». Lesquels? Des noms? Des dates? Des précisions au sujet de dossiers traités dans le décor boisé, à la lumière tamisée de la Mamounia? Rien. Au mieux, on apprend que Maurice Ravel, Winston Churchill, Charlie Chaplin, Orson Wells et Edith Piaf ont séjourné à la Mamounia. C’est vrai, mais l’auteur aurait pu faire l’épargne de cet effort, puisque les brochures qui sont distribuées dans le palace détaillent largement la liste des personnalités prestigieuses qui y ont séjourné.
Est-ce que le livre sort de l’ombre des «amis du Maroc» que l’on ne connaissait pas? Pas du tout, ceux dont parle le livre sont ceux-là mêmes qui proclament ouvertement leurs attachement et admiration pour le Royaume. Pas besoin d’un mégaphone, puisqu’ils disent très haut l’amitié et l’affection qu’ils ont pour le pays et son roi. C’est à se demander si l’auteur s’est livré à un pensum consistant à collecter et recopier des extraits parus ici et là pour aboutir à un remplissage laborieux comme le prouvent les nombreuses redites et redondances dans le livre.
A ce sujet, le chapitre sur DSK est lamentable. Il s’agit d’une compilation de choses toutes connues sur l’ancien patron du FMI. Et le pire, c’est que dans son effort à collecter et rafistoler, Brouksy ne possède même pas les vertus de la cohérence. Résultat: un livre décousu d’un amateur qui quitte trop souvent l’objet de son livre (France-Maroc, liaisons dangereuses) pour bifurquer, papillonner et souvent faire un hors-sujet.
Exemple: dans un chapitre racoleur, «Un ménage à trois: Paris-Rabat-Alger», qui s’étend sur 35 pages, il n’y est question que des relations de l’Algérie avec la France. Le Maroc est juste un appât pour parler de choses connues dans l’histoire des deux pays. Pareil dans le chapitre consacré à la crise du Mali où l’auteur se donne la peine de compiler de larges extraits publiés dans les journaux concernant l’opération Serval.
Participe de la même optique le long chapitre consacré à la transcription des enregistrements qui ont conduit à l’interpellation du tandem Eric Laurent/Catherine Graciet dans l’affaire du chantage au roi. De nombreux journalistes français ont eu accès à ces enregistrements et en ont reproduit les extraits qui produisent du sens. Dans son entreprise de remplissage, Omar Brouksy recopie ce qui a été publié et ce qui ne l’a pas été. Il le fait en s’émerveillant comme s’il avait accès à un document inédit. Mais le pire, c’est qu’alors même que les paroles du tandem Laurent/Graciet ne laissent aucun doute sur le caractère vénal de leur entreprise, Brouksy ne les condamne pas. Son parti pris contre le Maroc le rend tellement aveugle qu’il ne voit rien d’autre. Pas même le contenu d’un livre qui ne nous apprend rien.