Que ceux qui doutent encore, ou s’attendent à une riposte, soient rassurés. Le Maroc ne réagira pas à la dernière provocation algérienne en date: la décision prise par le pouvoir en place d’imposer des visas d’entrée aux ressortissants marocains. La mesure, adoptée le 26 septembre dernier, a été annoncée tambour battant par le ministère algérien des Affaires étrangères. Motif invoqué: le Royaume du Maroc, profitant du régime d’exemption de visas, se serait livré «à diverses actions attentatoires à la stabilité de l’Algérie et à sa sécurité nationale, avec l’organisation, à grande échelle, de réseaux de crime organisé, de trafic de drogue et d’êtres humains, de contrebande, d’immigration clandestine et d’actes d’espionnage, ainsi que le déploiement d’agents de renseignements sionistes, détenteurs de passeports marocains, pour accéder librement au territoire national».
Le tout a été allègrement relayé par les médias officiels et porte-voix officieux du régime, qui ont fait leurs choux gras de ces «espions sionistes porteurs de passeports marocains» se bousculant dans les aéroports algériens.
«La réciprocité n’est pas à l’ordre du jour»
Il faut être aveugle pour s’y tromper: au-delà de maintenir la tension avec le Royaume, l’objectif de la manœuvre est de forcer une réaction marocaine et de provoquer la réciprocité, pratique diplomatique courante en pareilles circonstances. Mais il n’en sera rien, comme l’affirme une source gouvernementale contactée par Le360. «La réciprocité n’est pas à l’ordre du jour. Le Maroc est dans une démarche d’ouverture consistant à supprimer les visas et non pas à les imposer», nous confie-t-elle, laconique mais on ne peut plus catégorique.
Par «supprimer les visas», notre interlocuteur fait sans doute allusion à l’accord d’exemption de visas signé le 27 septembre dernier entre le ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, et son homologue du Kazakhstan, Murat Nurtleu, à l’issue de leurs entretiens en marge de la 79ème Assemblée générale des Nations unies à New York. Encore récemment, le 28 août, le Maroc et l’Azerbaïdjan activaient la même exemption. Deux pays au demeurant d’une incomparable richesse culturelle et civilisationnelle et qui valent le détour et le séjour, à plus d’un titre.
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Pour l’Algérie, et à y voir de plus près, l’indifférence marocaine n’a rien de surprenant. Faisant sienne la phrase du diplomate français Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord (communément appelé Talleyrand), considérant que «tout ce qui est excessif est insignifiant», la diplomatie marocaine a fait le choix d’ignorer les outrances d’Alger. Ce n’est pas faute d’occasions: depuis cinq ans, le régime voisin multiplie les attaques et les mesures hostiles contre le Royaume.
Vérification faite, la seule exception à cette règle aura été un bref communiqué du ministère des Affaires étrangères quant à la décision unilatérale algérienne de rompre définitivement ses relations diplomatiques avec le Maroc. Nous sommes le mardi 24 août 2021, quand le ministre des Affaires étrangères algérien, Ramtane Lamamra, parle en conférence de presse d’«actes hostiles de Rabat perpétrés depuis longtemps et jusqu’à maintenant» pour justifier un divorce consommé depuis belle lurette. Les autorités marocaines s’étaient alors limitées à prendre note de la décision, la déplorant et en rejetant les justifications, tout en affirmant que le Maroc «restera un partenaire crédible et loyal pour le peuple algérien et continuera d’agir, avec sagesse et responsabilité, pour le développement de relations inter-maghrébines saines et fructueuses». En cinq ans, ce fut là l’unique réaction de Rabat aux gesticulations d’Alger.
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Cette réaction était d’ailleurs en harmonie avec le message royal adressé à l’Algérie, trois semaines plus tôt, dans le Discours du Trône, dans lequel le Souverain avait renouvelé son appel aux autorités de ce pays à «œuvrer de concert et sans conditions à l’établissement de relations bilatérales fondées sur la confiance, le dialogue et le bon voisinage», tout en rassurant ses hauts responsables sur le fait que leur pays n’aura jamais à craindre de malveillance de la part du Maroc, qui n’est nullement un danger ou une menace, comparant les deux pays voisins à «deux pays jumeaux qui se complètent», et considérant que «la sécurité et la stabilité de l’Algérie, et la quiétude de son peuple sont organiquement liées à la sécurité et à la stabilité du Maroc».
Retenue et indifférence
Avant comme après cette mesure, la retenue et l’indifférence ont systématiquement prévalu face à l’escalade algérienne. Le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, a eu beau monter sur ses grands chevaux le 4 novembre 2021 et menacer le Maroc de représailles suite à la mort «mystérieuse» de trois supposés camionneurs algériens dans la zone tampon du Sahara, aux confins de la pointe méridionale du Sahara atlantique et de la ligne septentrionale de la Mauritanie. Le Maroc est resté stoïque. La menace présidentielle à la suite de cet acte qui ne devait pas «rester impuni» est surtout restée lettre morte.
Mercredi 22 septembre 2021, l’Algérie annonçait la fermeture «immédiate» de son espace aérien à tous les avions civils et militaires marocains, ainsi qu’aux appareils immatriculés au Maroc. C’était à l’issue d’une réunion du Haut Conseil de sécurité, présidée par Abdelmadjid Tebboune, et ce, «compte tenu de la poursuite des provocations et des pratiques hostiles de la part du Maroc». Pour la teneur de ces «pratiques hostiles», prière de repasser. Et là encore, la démarche est invariable: aucune réaction officielle marocaine.
Haine et agressivité gratuites
Il en sera de même lorsque, le 31 octobre 2021, et après plusieurs mois de menaces de représailles contre le Maroc, l’Algérie a coupé les vannes du gazoduc Maghreb-Europe qui acheminait annuellement, depuis 1996, quelque 10 milliards de mètres cubes de gaz naturel depuis l’Algérie vers l’Espagne et le Portugal en passant par le Maroc. Trop occupé à mettre en place des alternatives et à développer ses propres ressources, le Royaume n’a pas jugé utile de commenter.
On passera sur des mesures de faible intensité, exhalant la haine et l’agressivité gratuites, comme la décision prise par Alger, en mars 2024, d’ouvrir ce qu’il appelle le bureau de représentation du Rif en Algérie, exhibant pour cette occasion théâtrale une poignée de traîtres, dont l’effectif se compte sur les doigts d’une seule main, ainsi que l’orchestration de marches combinant des mercenaires originaires du Rif et des éléments du Polisario.
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Prises sous le coup de l’émotion, de la colère et de l’irrationalité, les décisions du régime algérien restent sans réponse de la part du Maroc, lequel reste fidèle à son habitude de ne pas s’engager dans des querelles insignifiantes. La provocation de l’instauration des visas subira le même sort: les oubliettes.
«La série de décisions épidermiques du régime d’Alger, Rabat les ignore. Non par peur, mais parce qu’un État raisonnable et responsable ne répond pas à des décisions puériles, illogiques et irrationnelles», commente cet analyste et fin connaisseur du voisin. Ceci, d’autant plus que la dernière décision n’a aucune incidence sur le Maroc, les carottes étant cuites. «Quand on sait que l’Algérie a fermé les frontières terrestres avec le Maroc depuis 1994, fermé son ciel à tous les avions immatriculés au Maroc, interdit jusqu’aux navires transitant par le Maroc d’accoster dans les ports algériens, imposer un visa à des citoyens marocains qui n’ont nullement l’intention de faire de l’Algérie leur destination de prédilection relève de l’absurde», ajoute notre interlocuteur.
La véritable cible: les Algériens
À première vue, la mesure pourrait laisser croire que les Marocains se bousculaient pour passer des vacances dans les villes algériennes. À croire que Ouarghla est plus belle que Marrakech, Oran plus propre que Rabat, Alger plus attrayante que Tanger, Annaba comptant plus d’hôtels et de distractions qu’Agadir. C’est évidemment archifaux. Alors que le Maroc a accueilli 14,5 millions de touristes en 2023 et que 15,5 millions y sont attendus d’ici fin 2024 -nous sommes déjà à 11,8 millions à fin août-, les Marocains abandonneraient-ils Istanbul, Rio De Janeiro, Praia ou encore Bakou et Astana (toutes sans visas) pour les charmes de la kasbah d’Alger? Allons! L’Algérie n’attire même pas 3.000 touristes étrangers par an. «Deux choses sont infinies: l’Univers et la bêtise humaine. Mais, en ce qui concerne l’Univers, je n’en ai pas encore acquis la certitude absolue», avait dit Albert Einstein. À méditer.
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Une question se pose alors: qui est le véritable destinataire de la décision algérienne relative à l’obligation de visas pour les Marocains? Manifestement, la mesure cible d’abord et surtout les Algériens. Comptant susciter une réciprocité marocaine, ses instigateurs espéraient que le Maroc allait agir de même et filtrer le nombre d’Algériens, nombreux, à passer par Tunis, Madrid ou Paris pour se rendre dans le Royaume. De quoi rappeler que l’objectif premier derrière la fermeture des frontières terrestres était d’empêcher les Algériens de se rendre à Saïdia et Nador.
Rien n’y a fait. La diaspora algérienne qui en a les moyens déferle sur le Maroc pour ses vacances d’été. Et les stars algériennes, ou d’origine algérienne, les plus en vue dans le monde, de Riyad Mahrez à DJ Snake, en passant par Khaled ou encore Reda Taliani, se font une joie d’immortaliser leurs moments au Maroc sur les réseaux sociaux. Cette diaspora alimente et entretient des liens de fraternité et de bon voisinage avec les Marocains. Tout comme elle devient ambassadrice de la vraie image du Maroc, un pays ouvert, où le visiteur étranger, quel qu’il soit, est le bienvenu. L’Algérien est, lui, un frère.
Une mesure cache-misère
«Empêcher les Algériens de se rendre au Maroc, c’est éviter que la propagande quotidienne et mensongère diffusée par les médias publics algériens à propos du Royaume ne soit démasquée. C’est aussi un moyen d’éluder les comparaisons entre le Maroc et l’Algérie, très défavorables au régime d’Alger. Nous sommes qui plus est à la veille de grands rendez-vous sportifs, comme la Coupe d’Afrique 2025 ou encore le Mondial 2030. Imaginez la tête d’un Algérien face au développement en cours au Maroc, lui qui a été biberonné à la misère supposée du Royaume! Pour le régime, c’est l’enfer», explique notre analyste.
Les autres cibles de cette décision sont les Marocains binationaux qui travaillent en Europe ou en Amérique du Nord, envoyés par leurs entreprises en Algérie en raison de l’exemption de visa et de leur maîtrise des codes du pays. Évidemment, une fois sur place, ils voient l’état de dégradation du pays et le chaos administratif qui y règne. Ils constatent la vétusté des infrastructures, la piètre qualité des services et des hôtels, la rareté de lieux de loisirs et jusqu’à l’inexistence d’une adresse pour manger convenablement. Ce miroir de vérité lui étant insupportable, le régime d’Alger a préféré le briser.
C’est, in fine, uniquement le problème du pouvoir algérien. Le Maroc, lui, poursuit sa progression et, loin de fuir ses difficultés, s’évertue à en sortir, sans jamais s’inventer d’ennemis imaginaires. «L’État marocain fait le distinguo entre le régime et le peuple algérien. Il essaie de préserver le présent et de ne pas insulter l’avenir», résume notre source gouvernementale. S’il y a besoin de lunettes pour voir le Maroc tel qu’il est, ce sont vraiment celles-là.