L’explication de la crise que traverse actuellement le Sénégal et des émeutes qui ont ensanglanté le pays par le rejet d’un président tentant de se maintenir au pouvoir à travers un 3ème mandat, et qui, pour y parvenir, aurait fait disqualifier son opposant par une justice aux ordres, n’est pas satisfaisante.
Une telle présentation, à la fois superficielle et idéologique, fait en effet l’impasse sur le mal profond qui mine le Sénégal. Longtemps exception en Afrique, ce pays voit en effet aujourd’hui son système politique arriver à la fin d’un cycle, à travers l’essoufflement de l’État supra-ethnique patiemment constitué par ses dirigeants depuis la décennie 1960. C’est sa remise en cause par une partie de l’opposition qui explique le déclenchement des émeutes de ces dernières semaines.
Dès l’indépendance, conscients de la fragilité du pays en raison de ses vingt ethnies, les dirigeants sénégalais avaient cherché à mettre l’État à l’abri des rivalités ethniques, tout en reconnaissant l’existence de six langues. Or, de fait, ce fut l’une d’entre elles, le wolof, qui, en raison du nombre de ses locuteurs (40% de la population), prit le dessus. Durant des décennies, on a ainsi pu parler de «wolofisation» du Sénégal, mouvement qui connut une accélération après le départ du président Senghor en 1980. D’ethnie sérère, ce dernier avait la particularité dans ce pays quasi totalement musulman d’être catholique.
En plus de la langue, l’hégémonie wolof se traduisit dans le domaine musical, dans les médias et dans le monde politique. Ainsi, lors du premier tour des élections présidentielles de 2000, sur les 8 candidats en lice, sept étaient Wolof.
Dans ces conditions, se posa immanquablement le problème de l’existence des autres composantes ethno-linguistiques du Sénégal. Ce fut alors, et insensiblement, que les villes postulées être le creuset des brassages ethniques constituèrent tout au contraire la base des revendications identitaires. À travers des radios et des associations communautaires, les affirmations culturelles des ethnies minoritaires s’exprimèrent face à l’exclusivisme du wolof. Puis, cette revendication se transforma naturellement en quête du pouvoir.
Cette évolution fut un moment cachée par le rejet du président Abdoulaye Wade qui coalisa contre sa personne toutes les oppositions politiques et ethniques. C’est d’ailleurs ce qui permit l’ascension du Peul Macky Sall, qui remporta les présidentielles de 2012.
Macky Sall fut réélu au premier tour des élections présidentielles de 2019 avec plus de 58% des voix, allant donc au-delà de sa base ethnique, celle des Alpular -ceux qui parlent le pulaar, le Peul-, et de celle de sa femme qui est d’ethnie sérère. Sans oublier qu’il a bénéficié du soutien de la puissante confrérie des Mourides.
Or, depuis cette élection, une partie de son opposition joue très clairement la carte ethnique pour tenter de l’affaiblir en vue du prochain scrutin de 2024. C’est ainsi que le président est accusé de favoriser les Peul en leur donnant trop d’emplois publics. La presse d’opposition et les réseaux sociaux décortiquent ainsi systématiquement les nominations en publiant les origines ethniques des bénéficiaires, afin de tenter de montrer que les Foutankais -les originaires du Fouta, lire les Peul et ceux qui leur sont associés- bénéficient de passe-droits.
Candidat pour les élections présidentielles de 2024, Ousmane Sonko joue actuellement ses dernières cartes. Il a en effet perdu le soutien d’une grande partie de l’opinion sénégalaise en commettant une faute politique majeure quand, au mois de février 2022, il déposa plainte contre son propre pays devant la CPI. Il ne craignit alors pas d’accuser l’État sénégalais de discrimination et de génocide (!!!).
Cette plainte, aussi insolite qu’irrecevable, fut très naturellement invalidée par la CPI, mais Ousmane Soko continua à souffler sur les braises de l’ethnisme en déclarant que le président Macky Sall considère les Diola, la principale ethnie de Casamance «comme des paresseux qui passent leur temps à boire de la bière de riz»…
En allumant ces incendies ethniques, Ousmane Soko et ses partisans jouent les pyromanes tout en accélérant la fin de l’exception politique sénégalaise. Prions pour que cela ne se termine pas par une tragédie.