L’édition 2025 du rapport Morocco Radar publiée par la Konrad Adenauer Stiftung s’impose comme un document stratégique d’une grande portée sur le dossier du Sahara. La Fondation, acteur de poids du paysage politique allemand et proche du principal parti de la coalition au pouvoir, l’Union chrétienne-démocrate (CDU), ne se contente pas d’un suivi analytique. Elle donne une lecture à la précision chirurgicale de la résolution 2797 adoptée le 31 octobre 2025, présentée comme un tournant décisif. KAS fait d’autant plus partie des think tanks européens qui influencent directement les orientations des gouvernements, notamment en matière diplomatique. Lorsque l’institution affirme que la résolution 2797 constitue une rupture historique, elle fournit en réalité une grille de lecture qui va structurer la manière dont chancelleries, institutions européennes et acteurs économiques aborderont la question du Sahara dans les prochains mois. L’importance du rapport tient donc autant à la précision de ses analyses qu’à l’autorité politique et intellectuelle de son émetteur.
La première force de ce texte est la mise en lumière des acquis obtenus par le Maroc. «Pour la première fois depuis que le dossier a été soumis au système des Nations unies, le Conseil de sécurité a explicitement désigné l’initiative d’autonomie du Maroc comme seule base de négociations, la mentionnant six fois dans un texte d’une page qui remplace la résolution de quarante-trois paragraphes de l’année précédente», peut-on y lire. Cette compression radicale du texte traduit une volonté internationale de simplification et de clarification qui profite clairement au Maroc. «Le préambule affirme qu’une véritable autonomie sous souveraineté marocaine représente la solution la plus viable, tandis que les paragraphes opérationnels écartent toute référence au référendum et chargent le Secrétaire général et son Envoyé personnel de faciliter les négociations exclusivement dans ce cadre», souligne le texte, qui rappelle également que le projet américain initial décrivait déjà l’autonomie comme «le seul cadre» de négociation, ce qui signifie que la tendance diplomatique lourde allait, dès le départ, dans la direction souhaitée par Rabat. Le Maroc apparaît dans ce contexte comme l’acteur principal de la gestion de l’après, celui ayant su le mieux anticiper les mutations du jeu diplomatique, capitaliser sur ses progrès et transformer une dynamique favorable en résultat institutionnel à l’ONU.
Le rapport détaille également la profondeur de l’avantage acquis. Le mandat d’un an accordé à la MINURSO, accompagné d’un examen stratégique au bout de six mois, construit une pression temporelle sur les autres parties, pression dont le Maroc peut se saisir. La Fondation interprète aussi la reconnaissance de la souveraineté dans le préambule comme le signal politique le plus direct envoyé par le Conseil de sécurité depuis des décennies. Elle explique que cette nouvelle architecture permet au Maroc de passer d’une phase argumentative à une phase opérationnelle. Le Royaume doit désormais mettre à jour et détailler son initiative de 2007 pour la convertir en texte de négociation solidement institutionnalisé. Un travail auquel le roi Mohammed VI a déjà appelé et qui est actuellement en cours d’exécution. Aux yeux de KAS, cette opportunité ouvre une séquence diplomatique nouvelle où Rabat détient l’initiative et où son offre devient la définition même de la solution. «Le Maroc doit donc affirmer, diplomatiquement et sans ambiguïté, que la seule discussion légitime ne porte plus sur le principe, mais sur les modalités de mise en œuvre de son propre plan», lit-on.
Le rapport souligne ensuite les bénéfices attendus. Le premier n’est autre que la consolidation de la reconnaissance juridique internationale de la souveraineté marocaine à travers la mise en œuvre du cadre d’autonomie. «Une fois que l’autonomie sous souveraineté sera devenue la base acceptée du règlement, la question de la souveraineté elle-même passera du registre de la contestation à celui de l’application. La Cour européenne de justice et d’autres instances internationales devront aligner leurs approches sur le cadre défini par le Conseil de sécurité, ce qui permettra de résoudre efficacement les différends juridiques de longue date concernant les accords commerciaux, l’exploitation des ressources et le statut territorial», souligne le document.
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Le second point bénéfique est économique: sécurisation des investissements, développement accéléré des infrastructures comme le port de Dakhla, rôle stratégique du gazoduc Nigeria-Maroc et intégration de la façade atlantique dans les routes énergétiques et commerciales africaines. La combinaison d’une reconnaissance politique et d’une visibilité économique transforme le Sahara d’enjeu géopolitique en moteur de croissance.
Lever les ambiguïtés
Le document n’occulte toutefois pas les zones d’ombre, en particulier celles liées aux ambiguïtés du langage onusien. La première concerne les déclarations de Staffan de Mistura. L’Envoyé spécial au Sahara affirme que la résolution fixe un cadre qui ne préjuge pas du résultat, alors même que le texte affirme explicitement qu’une autonomie sous souveraineté marocaine constitue la solution la plus réaliste. Sous couvert de ne pas bousculer les autres parties, cette contradiction crée un flou interprétatif que le rapport considère comme «potentiellement dangereux». Elle permettrait à certains acteurs de prétendre que toutes les options restent ouvertes, alors que le Conseil de sécurité n’en a retenu qu’une seul: l’autonomie.
La deuxième zone d’ombre concerne l’expression «véritable autonomie». Le Conseil utilise un terme fort, mais sans jamais le définir. Cette absence de définition était nécessaire, mais elle ouvre un espace de contestation. Les adversaires du Maroc pourront affirmer que son initiative, même actualisée, n’est pas «véritable», au sens qu’eux-mêmes donneront arbitrairement à ce terme. Cette faille sémantique est décrite par le rapport comme une «vulnérabilité structurelle» que Rabat doit combler en transformant «sa proposition en référence internationale».
Le rapport explique comment l’Algérie et le Polisario pourraient exploiter ces imprécisions pour paralyser le processus. Leur première stratégie consisterait à se saisir de la déclaration équilibriste de De Mistura pour tenter de réintroduire une fausse parité entre les propositions. Ils pourraient arguer que si l’Envoyé spécial refuse de «préjuger des résultats», alors aucune solution ne peut être considérée comme prédéterminée, ce qui leur donnerait prétexte pour relancer les débats sur des options enterrées par la résolution. Leur deuxième levier résiderait dans l’usage polémique du terme «véritable» pour contester toute version marocaine de l’autonomie jugée presque fatalement insuffisante. «Les adversaires feront inévitablement valoir que le plan du Maroc n’est pas suffisamment authentique», lit-on encore. Ils exigeraient des concessions supplémentaires pour rallonger le processus, sachant que la surenchère est souvent une méthode pour geler les négociations. Une troisième tactique consisterait à tenter de déplacer le débat vers des mesures préalables, des pré-conditions ou des pistes de négociation parallèles, afin d’élargir le cadre strict de la résolution 2797. Un brouillage procédural permettrait de ralentir la dynamique nouvelle, voire de réinstaller un statu quo favorable à l’Algérie.
L’Algérie dans l’impasse
Cependant, et c’est un point central du rapport, l’Algérie et le Polisario n’ont plus réellement le choix. «L’Algérie et le Polisario se retrouvent dans une impasse stratégique sans précédent», lit-on. L’initiative américaine de Steve Witkoff, conseiller du président américain Donald Trump, qui promet un accord en soixante jours, même si ce délai est irréaliste, change l’équation géopolitique. Ce n’est plus un processus technique onusien, mais une démarche diplomatique américaine à implications bilatérales directes. «L’Algérie ne peut pas simplement rejeter l’initiative comme elle l’a fait auparavant ni se permettre d’aliéner une administration qui contrôle des partenariats économiques essentiels, la coopération en matière de sécurité et le soutien des institutions financières internationales», souligne le document.
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Le rapport rappelle que l’administration américaine cherche des avancées concrètes et que le refus de s’engager aurait un coût géopolitique élevé. Quant au Polisario, sa marge de manœuvre est encore plus réduite, notamment en raison de la menace d’une désignation par les États-Unis comme entité terroriste. Sa survie politique dépend de l’Algérie, qui elle-même est poussée à participer. Le Polisario pourrait donc tenter de brouiller les objectifs, mais il ne peut pas se soustraire au processus.
Le rapport s’attarde longuement sur ce à quoi le Maroc doit désormais s’atteler. La priorité consiste à transformer son projet d’autonomie actualisé en norme internationale. L’objectif est de lever toute ambiguïté en faisant de cette nouvelle version la définition opérationnelle de ce que l’ONU entend par «véritable autonomie». Cela implique d’intégrer les réformes constitutionnelles de 2011, le cadre de régionalisation avancée et des garanties institutionnelles détaillées. Le Maroc doit aussi maintenir la pression diplomatique pour empêcher toute tentative de re-politisation ou de déplacement du débat hors du cadre de la résolution 2797. Enfin, il doit présenter son plan non seulement comme une solution géopolitique mais comme un modèle de gouvernance régionale crédible, attractif pour les populations locales et compatible avec les standards internationaux.
En articulant une vision claire, détaillée et institutionnellement solide, le Maroc pourra consolider sa victoire, transformer le tournant politique en tournant juridique et faire évoluer le dossier d’un terrain conflictuel vers une exécution progressive d’une solution que la communauté internationale considère désormais comme la plus viable. «L’objectif stratégique doit être de faire du plan d’autonomie marocain actualisé la définition opérationnelle de l’autonomie véritable».











