Déjà sous le feu des critiques pour mauvaise gestion de nombreux dossiers (pouvoir d’achat, marchés publics, emploi…) et de méthodes qui laissent pantois, notamment en matière de nomination de proches de son chef à des postes clés (ONEE, Autoroutes du Maroc…), le gouvernement Akhannouch aurait pu se passer d’une polémique qui, loin de s’éteindre, prend au fil des jours un air de scandale.
La récente décision du ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement préscolaire et des Sports, Mohamed Saâd Berrada –un confiseur dont la seule légitimité au poste est sa grande proximité vis-à-vis d’Aziz Akhannouch– de limoger 16 directeurs régionaux en une seule fois suscite une vague de controverses et d’interrogations sur les véritables motivations qui se cachent derrière cette mesure soudaine.
Le ministère justifie cette action par la volonté de renforcer la gouvernance et d’améliorer les performances après la publication de rapports d’évaluation des performances et des capacités des concernés à mettre en œuvre les réformes tracées dans l’Éducation nationale, notamment en matière de classes pilotes. Face à l’agitation provoquée par ces révocations que la tutelle aurait bien voulu passer sous silence, le ministère de l’Éducation nationale a rapidement publié, mercredi 12 mars 2025, un communiqué justifiant qu’il s’agissait d’une «vaste réforme» ayant abouti à la mutation de 7 directeurs provinciaux et à «la fin de mission» de 16 autres. Comme pour compenser, la tutelle a annoncé séance tenante le lancement de concours pour occuper 27 postes de directeur provincial, dont 11 étaient déjà vacants. Le tout est enjolivé par des soucis de «renforcement de la gouvernance et des capacités de gestion et d’encadrement pédagogique au sein des directions provinciales» et le respect des règles de transparence. Ce qui reste à prouver.

En attendant, les arguments avancés sont pour le moins fragiles. Cette décision intervient à peine quatre mois après la nomination du ministre, passé du monde de la confiserie à l’un des secteurs les plus sensibles et stratégiques du pays à la faveur d’une cooptation appuyée du chef du gouvernement. Une période loin de suffire pour établir une quelconque évaluation, que le gouvernement s’est par ailleurs gardé d’annoncer, et encore moins pour trancher dans le vif et décider des fins de mission aussi rapidement.
Les copains d’abord
Parmi les directeurs régionaux concernés par cette décision figurent notamment ceux de Ouarzazate, Errachidia, Laâyoune, Youssoufia, Dakhla, Khénifra, Boulemane, Khouribga, Sidi Slimane, Azilal, M’diq, Fahs Anjra (Tanger), Safi et Nador. Contactées par Le360, des sources internes au ministère suggèrent que cette vague de limogeages sera suivie d’autres et pourrait s’étendre à d’autres directions.
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Véritable séisme en raison de son ampleur sans précédent dans l’Éducation nationale, cette mesure suscite de nombreuses interrogations quant à ses véritables motivations. Mohamed Ajouad, ex-directeur provincial de Khouribga, a été l’une des voix les plus critiques à l’égard de cette décision. Peu après avoir reçu son avis de révocation, il a exprimé son étonnement sur sa page Facebook. «Nous n’avons jamais reçu la visite d’une quelconque commission d’inspection, et les évaluations de performance ont classé notre direction de Khouribga parmi les meilleures du pays. Comment expliquer mon limogeage aussi rapidement? Il y a sûrement d’autres raisons qu’il faudrait chercher», a-t-il écrit.
Un sentiment partagé par Mohamed Benalia, directeur provincial de Nador, et Mohamed El Bachir Ettoubali, directeur régional de Laâyoune, dont la révocation a surpris de nombreux acteurs locaux.
Ce qui a particulièrement alimenté la polémique, c’est justement que certains des directeurs révoqués jouissent d’une réputation d’intégrité et de compétence, actée par leurs performances à l’échelle nationale. Ainsi, la révocation de Mohamed El Bachir Ettoubali, directeur régional de Laâyoune, a été particulièrement controversée, certains estimant qu’elle pourrait être liée à ses critiques envers le RNI du chef du gouvernement.
Un événement survenu à Nador est venu renforcer ces doutes. En effet, à peine le directeur régional de l’éducation de Nador, Mohamed Benalia, avait-il été limogé que son remplaçant, Salah El Aboudi, était désigné pour occuper le poste jusqu’à la fin de l’année scolaire 2024-2025. Ceci, alors que la tutelle annonçait à peine l’ouverture de concours pour ce poste. Cette nomination a provoqué un tollé non seulement en raison de sa rapidité exceptionnelle, mais aussi parce que le nouveau directeur est également… le coordinateur régional du Rassemblement national des indépendants. La désignation express d’El Aboudi, un jour seulement après l’éviction de Benalia, a suscité des interrogations sur la transparence de cette décision et sur son éventuelle instrumentalisation à des fins partisanes.
Le gouvernement du Mondial 2030
Et pour cause, véritables notabilités locales, les directeurs provinciaux sont également de grands «influenceurs» qui pèsent dans les échiquiers politiques locaux et constituent des réservoirs électoraux pouvant faire ou défaire bien des candidatures. Pour le RNI comme pour Aziz Akhannouch, les élections législatives de 2026, celles du gouvernement du Mondial 2030 donc, commencent aujourd’hui. D’aucuns voient en ce jeu de chaises musicales dans l’enseignement une manière de baliser le terrain.
Au-delà des objections professionnelles, des milieux syndicaux et politiques s’interrogent ainsi sur le bien-fondé et la transparence de ces révocations. Abdellah Aghmimt, secrétaire général de l’Union marocaine de l’enseignement, s’est interrogé sur la méthodologie utilisée pour évaluer les performances des responsables régionaux en si peu de temps. Il souligne que la courte période passée par le ministre à la tête du département ne permet pas une évaluation rigoureuse et impartiale de leur travail. Aghmimt a estimé que cette mesure «interpelle d’autant plus que le ministre lui-même avait récemment loué l’expérience des classes pilotes, alors que les directeurs limogés sont accusés d’avoir échoué à les mettre en œuvre».
Pour le responsable syndical, il ne fait aucun doute que la finalité est «d’installer des personnes loyales afin de servir les agendas politiques et électoraux de leurs bienfaiteurs». Il remarque au passage qu’aucun des directeurs provinciaux affiliés au parti du ministre Berrada et, partant, du chef du gouvernement (le Rassemblement national des indépendants) n’a été concerné par ces décisions, malgré des dysfonctionnements constatés dans leur gestion.
Les réactions ne se sont pas limitées au monde éducatif et syndical, mais ont également gagné la sphère politique. Le Parti du progrès et du socialisme (PPS) a adressé une demande d’explication au ministre de l’Éducation nationale, l’exhortant à clarifier les véritables motifs de ces limogeages.
Au micro de Le360, Nabil Bendallah n’y va pas par le dos de la cuillère. Pour lui, cette opération, parmi bien d’autres, est le signe d’une campagne électorale avant l’heure. «Pour ces gens-là, tous les moyens sont bons pour s’assurer la première place aux prochaines élections. Et le pire est à craindre pour la période qui nous sépare du scrutin de 2026. Le ministre comme celui qui le téléguide oublient qu’ils sont en train de détruire l’école publique au Maroc, une façon par ailleurs de continuer d’engraisser le privé. C’est là où il y a les bonnes affaires et les opportunités de se faire encore plus d’argent, n’est-ce pas? Tout le discours sur l’évaluation et la performance, c’est du pipeau», s’insurge le patron du seul parti politique au Maroc, en plus du PJD, à faire encore partie de l’opposition.
D’ailleurs, dans sa question écrite adressée au ministre Berrada, le président du groupe parlementaire du PPS, Rachid Hammouni, a également réclamé la tenue d’une réunion de la commission de l’Éducation au Parlement afin d’interroger le ministre sur «cette initiative sans précédent», craignant qu’elle ne s’inscrive dans une démarche de reconfiguration administrative dictée par des considérations partisanes plutôt que par le principe de compétence et de mérite.
Après moi, le déluge
Quelles que soient les considérations politiques à l’œuvre, cela signifie que l’indépendance du secteur de l’Éducation nationale est désormais menacée par les luttes partisanes. Un secteur au demeurant sinistré et qui ne répond aucunement à ses missions de former les jeunes générations et d’en faire de bons citoyens. Mais cela, le gouvernement Akhannouch refuse de le voir et de l’entendre. Au contraire, il semble visiblement s’en réjouir et l’exploiter à de petits et bien personnels desseins.
Cette attitude agace même au sein de la coalition gouvernementale qui vacille actuellement. Les langues se délient subitement. Mercredi dernier, le bureau politique du parti Authenticité et modernité (PAM-Majorité) a mené une charge contre le gouvernement Akhannouch, dénonçant «la hausse des prix et les difficultés économiques auxquelles font face de larges pans de la société». Les reproches du parti de la majorité ont également visé le plan d’action du gouvernement pour relancer l’emploi d’ici 2030, doté de 15 milliards de dirhams, et détaillé dans une circulaire du chef du gouvernement publiée en février dernier.
Des critiques qui font écho à celles déjà formulées par l’autre pilier de la majorité, l’Istiqlal, à l’égard du gouvernement. Son secrétaire général, Nizar Baraka, avait déjà ouvert le feu, le 11 janvier à Casablanca, contre les mauvais résultats de l’exécutif Akhannouch. Mais pour ce dernier, la logique quelque peu autiste de business as usual qu’il pratique a un grand mérite: elle est insensible. Et tant pis si le peu de réalisations obtenues dans l’Éducation nationale s’écroule comme un château de cartes. Le plus important, l’objectif suprême, c’est de rempiler pour un second mandat à la tête du gouvernement.
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