Quand il n’y en a plus, il y en a encore. C’est décidément la devise nationale actuellement en vigueur en Algérie qui aligne, les uns après les autres, les ennemis sur la scène internationale. En froid avec ses alliés traditionnels, la Russie et la Chine pour commencer, en crise profonde avec l’ensemble de son entourage, détesté par son tuteur français, le régime d’Alger semble prospecter d’autres adversaires à narguer. Cette fois, il cherche des poux à la lointaine Turquie. Le pays d’Erdogan bénéficiait jusqu’ici des généreuses largesses du régime, sur fond de véritables trésors de renseignements qu’Ankara détient contre son voisin. Un avantage stratégique, parmi d’autres, qui semble agacer une partie du pouvoir algérien. Comment expliquer autrement la démonstration puérile de son proxy, le Polisario, qui déroule –façon de parler– le tapis rouge à des indépendantistes kurdes de Syrie ouvertement hostiles à Ankara?
La scène se passe à Tindouf, un territoire algérien qui héberge le front séparatiste. Elle a été diffusée tout récemment par Sterk TV, une chaine de télévision kurde émettant depuis la Norvège. On peut y voir des séparatistes du Polisario main dans la main avec des combattants du Rojava, une «entité fédérale» kurde autoproclamée en 2016 dans le Nord-est de la Syrie. Cette zone est administrée par une coalition menée par le YPG, formation kurde et bête noire d’Ankara. Après la chute du régime de Bachar el-Assad, le gouvernement turc s’en inquiète.
C’est là qu’opère la magie algérienne qui offre un libre passage sur son territoire à des représentants de l’ennemi juré de la Turquie, drapeaux du Rojava et de la pseudo-Rasd à l’appui. Le commentaire de la chaine kurde ne laisse aucune ambiguïté: «Une photo de solidarité avec le Rojava du Sahara occidental! Contre les attaques des jihadistes turcs sur le gouvernement autonome démocratique du nord et de l’est de la Syrie!».
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C’est peu dire que l’effet a fait mouche. Il s’agit non seulement d’une provocation quant à l’intégrité territoriale de la Syrie, mais aussi s’agissant de la sécurité nationale de la Turquie. S’ajoute le fait que le Rojava s’appuie grandement sur le PKK, un parti indépendantiste et une guérilla kurde cataloguée comme organisation terroriste par les États-Unis et l’Union européenne, entre autres.
Le régime d’Alger botte en touche
Sentant un vent de colère arriver depuis la Turquie, le jusqu’ici ambassadeur d’Algérie à Ankara –il est dégagé ailleurs– et hâbleur Amar Belani, mis au placard après des années de service comme le plus marocophobe des diplomates algériens, s’est jeté la tête la première pour disculper son pays. Dans un communiqué, il dément «certaines allégations relayées par certains médias concernant une prétendue invitation en Algérie d’une délégation kurde». «Ces allégations sont fantaisistes et totalement infondées», écrit-il. Mais encore? «Je tiens à réitérer que les relations solides et stratégiques qui lient mon pays à la Turquie ne peuvent souffrir d’aucune confusion ni d’aucune ambiguïté hostile», ajoute-t-il, soulignant, et c’est là une première, que son gouvernement ne s’ingère pas dans les affaires internes des États et qu’il «condamne fermement le terrorisme sous toutes ses formes et manifestations, où qu’il se trouve».
Assez pour convaincre? Rien n’est moins sûr. Les militants du Rojava n’auraient aucunement pu accéder au territoire algérien, et encore moins se rendre à Tindouf, sans l’aval ne serait-ce que d’un clan au pouvoir en Algérie. Certains défenseurs du régime voudraient que les éléments en question se soient rendus dans les camps avec des passeports européens avant de se dévoiler une fois sur place. C’est sous-estimer la véritable chape de plomb qu’impose l’armée algérienne sur ce territoire où strictement rien ne lui échappe.
Un chef d’État contre un sous-officier
La vérité est à chercher ailleurs, notamment dans l’agacement que ressentiraient des généraux algériens quant à la mainmise de la Turquie sur le pays, et surtout son marché. Le levier turc de cette véritable domination a un nom: Guermit Bounouira, ancien secrétaire particulier, et surtout «boîte noire» de feu le tout-puissant général Ahmed Gaïd Salah.
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Ayant fui en Turquie après la mort de ce dernier, cet adjudant-chef a été arrêté et remis, sur intervention du président Abdelmadjid Tebboune, aux autorités algériennes en août 2020. C’est unique: le chef de l’État s’est lui-même mobilisé pour l’arrestation d’un sous-officier. Les services turcs ont, entre temps, eu tout le temps, sur plusieurs mois, d’obtenir toutes les informations stratégiques de la part de Guermit Bounouira sur «l’énigme algérienne». Ils ont rendu à l’Algérie une «boîte noire» après avoir pris possession de son contenu.
En accédant à la demande de son homologue algérien, le président turc Recep Tayyip Erdogan a aussi eu tout à gagner, parce qu’en acceptant cette extradition, il a pertinemment su la monnayer. D’abord, en neutralisant toute opposition, vivement marquée, de la part de l’Algérie à la présence de l’armée turque en Lybie. Ensuite, en ouvrant la voie aux entreprises turques pour qu’elles s’emparent des juteux marchés publics algériens. Sans parler de la nostalgie qu’entretient Recep Tayyip Erdogan pour les anciennes colonies de l’empire ottoman, qui a administré, de 1512 à 1830, les principales villes du littoral algérien. Une véritable domination que certains en Algérie voudraient aujourd’hui casser. Avec les moyens rudimentaires dont ils disposent. Faire agiter des fanions kurdes en plein désert en fait partie. C’est aussi ridicule que dangereux. Et une chose est sûre: Ankara ne laissera pas passer.