Soudan: genèse de la guerre civile

Bernard Lugan.

Bernard Lugan.

ChroniqueEn 2018, Omar Hassan el-Béchir signa un accord secret avec la Russie en vue de l’établissement d’une base militaire à Port-Soudan, sur la mer Rouge. À partir de ce moment, les États-Unis entamèrent la subversion de son régime. Ainsi, en 2019, alors qu’il s’apprêtait à fêter ses trois décennies de pouvoir et à briguer un nouveau mandat présidentiel en 2020, la contestation se transforma en révolution.

Le 21/11/2023 à 11h00

Au-delà du conflit entre deux généraux, l’actuelle guerre civile soudanaise oppose les Nubiens vivant le long du Nil, qui constituent la colonne vertébrale du pays et qui contrôlent l’armée, aux Bédouins arabes des steppes et des déserts de l’Ouest. Une dichotomie encore renforcée par les affiliations confrériques.

Au pouvoir lors de l’indépendance de 1956, Abdallah Khalil du parti Al Oumma, s’aligna sur les États-Unis afin de contrer l’Égypte du colonel Nasser. En 1958, une junte militaire dirigée par le maréchal Ibrahim Abboud le renversa. Puis en octobre 1964, un deuxième coup d’État mit au pouvoir le général Gaafar al-Nimeiry soutenu par l’islamiste Hassan Tourabi qui, en échange, lui demanda d’imposer la Charia.

Le 6 avril 1985, un nouveau coup d’État militaire mené cette fois par le ministre de la Défense, le général Swar al-Dahab, renversa le général Gaafar al-Nimeiry. Des élections furent organisées remportées par le parti Al Oumma et, le 6 mai 1986, le pouvoir fut remis à un gouvernement civil dirigé par Sadek el-Mahdi.

Le 30 juin 1989, Sadek el-Mahdi fut renversé par le général Omar Hassan el-Béchir. Un Conseil révolutionnaire pour le salut national fut alors formé qui supprima toutes les libertés et suspendit les institutions démocratiques. Hassan el-Tourabi fut l’idéologue du régime. Le Soudan devint ensuite un État paria et, en 1991, l’Union européenne suspendit sa coopération puis, en 1993, Washington l’inscrivit sur la liste des États terroristes.

Durant les trente années de pouvoir d’Omar Hassan el-Béchir, le Soudan dût accepter la sécession de ses provinces du sud devenues le Soudan du Sud, et, à partir de 2003, fut contraint de mener la guerre dans ses provinces de l’ouest, au Darfour. Selon l’ONU, le conflit, qui aurait fait 300.000 morts et provoqué plusieurs millions de déplacés, valut à Omar Hassan el-Béchir des poursuites de la Cour pénale internationale pour «génocide»et «crimes de guerre».

En 2010-2011, une vague de contestations secoua le Soudan dans le contexte du «Printemps arabe». Mohamed Hamdane Daglo, dit «Hemedti», fondateur des FSR (Forces de soutien rapide), un groupe paramilitaire composé de janjawid, la réprima. Les FSR prirent ensuite un rang essentiel au sein de l’appareil sécuritaire, à telle enseigne qu’Omar Hassan el-Béchir en fit sa garde rapprochée. En échange de leur fidélité, il laissa ses membres prendre notamment le contrôle des mines d’or du pays.

En 2018, Omar Hassan el-Béchir signa un accord secret avec la Russie en vue de l’établissement d’une base militaire à Port-Soudan, sur la mer Rouge. À partir de ce moment, les États-Unis entamèrent la subversion de son régime. Ainsi, en 2019, alors qu’il s’apprêtait à fêter ses trois décennies de pouvoir et à briguer un nouveau mandat présidentiel en 2020, la contestation se transforma en révolution.

Au mois d’août 2019, l’armée, qui ne voulait pas affronter directement la foule, accepta le départ d’Omar Hassan el-Béchir. Mais tout en demeurant maîtresse du jeu, à travers la création d’un Conseil de Souveraineté, présidé par le général Abdel Fattah al-Burhane, et d’un gouvernement de transition, composé pour moitié de militaires et de civils et présidé par Abdallah Hamdok. Cet accord de partage du pouvoir entre un Conseil militaire dit de transition et l’Alliance pour la liberté et le changement, une myriade disparate et hétéroclite de formations politiques et d’ONG, n’était qu’une artificielle construction.

Comme en Égypte dans les années 2010, l’armée laissa ensuite pourrir la situation tout en poussant la composante civile du gouvernement à la faute. Cela lui fut d’autant plus facile que le pays était en faillite depuis que l’indépendance du Soudan du Sud en 2011 l’avait privé d’environ 75% de ses recettes pétrolières.

Dans la nuit du 24 au 25 octobre 2021, jugeant le moment favorable, le général Abdel Fattah al-Burhane prit un pouvoir qu’il exerçait déjà largement à travers le Conseil de Souveraineté. À la suite de ce coup d’État, de fortes manifestations de protestation secouèrent Khartoum et les FSR jouèrent alors une fois de plus un rôle essentiel dans leur féroce répression.

Puis, le 15 avril 2023 éclata la guerre civile entre le numéro deux du régime, Mohamed Hamdane Daglo, dit «Hemedti», chef des FSR, et l’armée régulière fidèle au général Abdel Fattah al-Burhane, au pouvoir depuis le coup d’État d’octobre 2021.

La cause immédiate du conflit soudanais était que l’armée avait décidé d’intégrer les FSR en son sein, ce que le chef de ces dernières refusait, voulant tout au contraire s’affranchir de l’institution militaire. Résultat, le général al-Burhane décréta la dissolution des FSR, désormais considérées comme rebelles.

Comme le Soudan a des frontières avec deux pays extrêmement fragiles et instables que sont le Tchad et la Libye, la crainte d’une déstabilisation régionale inquiète désormais ses voisins. Une déstabilisation qui pourrait réveiller plusieurs conflits dormants, dont ceux du Tchad.

Par Bernard Lugan
Le 21/11/2023 à 11h00