Né le 28 mai 1954 à Souilly, en France, Driss Benhima est ce qu’on appelle une tête bien faite. Diplômé de deux prestigieuses écoles d’ingénieurs françaises (l’École Polytechnique et l’École des Mines), c’est à l’OCP qu’il fait ses premières armes, d’abord à Safi, puis sur le site de Sidi Daoui, à Khouribga. Nous sommes à la fin des années 70, et le téléphone n’était pas encore un équipement généralisé au Maroc, y compris dans les grandes structures. «La communication entre la direction générale et la mine se limitait alors à deux télex par jour. Les ingénieurs sur le terrain pouvaient prendre des décisions et gérer les problèmes de façon quasi indépendante. Aujourd’hui, avec le développement de l’informatique et des moyens de communication, le pouvoir décisionnel s’est davantage déplacé vers la direction générale, et je pense que cela freine l’innovation dans les entreprises».
Au cours de ses douze années passées au sein de l’OCP, Driss Benhima affirme avoir été frappé par la disponibilité et la rigueur dont faisaient preuve les agents du groupe phosphatier, «des collaborateurs qui aimaient véritablement leur travail». Il va retrouver, poursuit-il, les mêmes valeurs chez ceux de l’Office national de l’électricité (ONE), dont il devient le directeur général de 1994 à 2001.
Les années ONE, le raccordement des provinces du Sud et le PERG
Non sans fierté, il évoque les efforts entrepris par l’ONE pour relier les provinces du Sud au réseau électrique national. «On avait le choix entre deux options: construire une nouvelle centrale thermique à Laâyoune, ou raccorder la ville au réseau national. J’ai alors décidé d’installer une liaison directe au réseau national», note Driss Benhima.
Il évoque à cet égard le cas de la ville de Tarfaya, qui n’était pas alors intégrée dans le schéma initial, car trop éloignée du tracé de la ligne principale. «J’avais reçu Brika Zerouali (ancien député et figure emblématique des notables de la tribu Izerguiyine Tekna, NDLR), qui a insisté pour l’inclusion de Tarfaya dans le réseau. Je lui ai expliqué que ce n’était pas le câble qui posait problème, car son prix était abordable, mais plutôt le transformateur, qui coûtait très cher. Il m’a répondu qu’il ne sortirait pas de mon bureau avant de trouver une solution. C’est grâce à lui que Tarfaya a été raccordée au réseau électrique national», se rappelle Benhima. Idem pour Es-Smara. C’est Mohamed Cheikh Biadillah (qui deviendra plus tard député et secrétaire général du Parti authenticité et modernité) qui est parvenu à convaincre Driss Benhima, lors d’une visite dans la commune rurale de Sidi Ahmed Laâroussi, de lancer le projet de raccordement de la ville au réseau électrique national.
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En plus des provinces du Sud, Benhima s’était également donné pour mission d’«illuminer» le monde rural, dont le taux d’électrification ne dépassait guère les 14% en 1994 (contre 75% en Tunisie et en Algérie). Fort de l’appui du ministre de tutelle de l’époque, Abdellatif El Guerraoui, il va s’inspirer des modèles tunisien et espagnol pour concevoir une solution intelligente à travers le Plan d’électrification rurale généralisé (PERG). L’investissement nécessaire, de l’ordre d’un milliard de dirhams par an, est le fruit d’un montage financier comprenant un apport de l’ONE (à hauteur de 55%), une participation des communes rurales (20%) et la contribution des ménages bénéficiaires (25%).
Taux d’électrification du monde rural: de 14% à 55%
Au début de son déploiement, le PERG a fait face à nombre de détracteurs, qui doutaient principalement de la capacité des habitants des zones concernées à honorer leur facture d’électricité. «Le directeur du développement de l’ONE, Ali Fassi Fihri, qui était également directeur du Centre de développement des énergies renouvelables (il deviendra plus tard directeur de l’Office national de l’eau potable, puis de l’ONEE), a mené une étude sur les coûts de la non-électrification. Celle-ci a montré que le coût de l’énergie électrique dans les domaines de l’éclairage et de l’électronique domestique variait de 90 à 130 dirhams par mois, selon les régions. Ce montant correspondait aux achats de bougies, de pétrole lampant, de recharges de batteries et de piles électriques», explique Driss Benhima.
Et d’ajouter: «Les statistiques de l’ONE ont relevé une moyenne de consommation rurale de 50 dirhams par mois durant les trois premières années. Un foyer branché au PERG a donc les moyens de payer l’abonnement et de rembourser sa participation de 2.500 dirhams, étalée sur 7 ans, soit 40 dirhams par mois, qui s’ajoutait à sa consommation mensuelle d’environ 50 dirhams».
Finalement, grâce au PERG, le taux d’électrification du monde rural est passé à 55% quand Driss Benhima quitte la direction de l’ONE, en 2001. Plus tard, sur instructions royales, le budget dudit Plan a évolué de 1 à 1,5 milliard de dirhams par an, ce qui a permis d’accélérer le rythme d’électrification, dont le taux dépasse aujourd’hui les 99%.
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Entretemps, Benhima avait été nommé, en août 1997, ministre des Transports, de la Marine marchande, du Tourisme, de l’Énergie et des Mines, au sein du gouvernement Filali III. Un gouvernement transitoire, composé de ministres technocrates dont la mission consistait à préparer un certain nombre de dossiers pour le gouvernement d’alternance qui sera, lui, nommé en avril 1998. «En ce qui me concerne, j’ai travaillé sur le dossier de la fermeture des mines de Jerada. Nous avons signé un accord avec les syndicats des employés trois semaines avant la nomination du gouvernement El Youssoufi», note-t-il.
Après cette courte parenthèse gouvernementale, il est nommé en mars 2004 à la tête de l’Agence pour la promotion et le développement économique et social des préfectures et provinces du Nord (APDN). Driss Benhima va lancer les premières études multidimensionnelles, qui s’avèreront ensuite d’une grande utilité dans la lutte contre la culture du cannabis.
Ces études ont en effet permis de constater la différence entre, d’un côté, l’agriculture vivrière répandue dans les montagnes du Rif, où les agriculteurs sont propriétaires de terrains de 1 à 2 hectares et, de l’autre, une agriculture développée dans d’autres zones, notamment dans les régions à Larache et Taounate. Là, les terrains sont loués par des individus résidant à Tétouan ou à Nador, alors que les agriculteurs sont de simples employés payés 150 dirhams par jour, contre 120 dirhams pour les autres cultures, note Benhima. «On a dit aux autorités que si on interdisait la culture du cannabis à Larache et Taounate, il n’y aura aucun problème d’ordre social», ajoute-t-il.
Larache et Taounate, «provinces sans cannabis»
Se basant sur ces données, les autorités ont alors permis de déclarer les régions de Larache et Taounate «provinces sans cannabis». «Ce programme a connu un franc succès. La superficie consacrée à la culture du cannabis dans le pays a fortement diminué, passant de 120 hectares en 2003-2004 à seulement 47 hectares aujourd’hui», se félicite notre interlocuteur.
Malgré ces avancées, le Maroc aurait-il pris du retard en matière de règlementation du cannabis à usage médical et industriel? Driss Benhima répond par la négative, rappelant que l’usage médical du cannabis ne s’est véritablement développé que ces dernières années, et que les positions de l’ONU à l’égard de cette culture n’ont commencé à évoluer que depuis une petite décennie.
Fervent opposant à la dépénalisation de la consommation du cannabis, Benhima se montre toutefois ouvert à l’idée d’introduire des changements dans la législation. «Qu’est-ce qui est meilleur? Un usage illégal, anarchique et clandestin, et tous les problèmes qui vont avec, ou bien une légalisation strictement encadrée?», s’interroge-t-il «Je peux comprendre qu’un cadre légal soit bien meilleur qu’un usage clandestin du cannabis. Mais c’est une question qui relève d’un choix de société».