Les rares curieux que la gestion de la chose publique en Algérie intéresse ne le savent que trop: les dirigeants algériens sont des poids lourds en matière de décisions épidermiques, prises et annoncées tambour battant, mais bien souvent annulées ou sans effet aucun. La dernière en date, concernant le transbordement des marchandises destinées au marché algérien et transitant par les ports marocains -comprenez principalement le port Tanger Med, en apporte une nouvelle et bien pitoyable démonstration.
Le 10 janvier dernier, un courrier de l’Association professionnelle algérienne des banques et des établissements financiers (ABEF) annonçait ainsi qu’il a été «décidé de refuser toute opération de domiciliation pour les contrats de transport qui prévoient le transbordement/transit par les ports marocains». Une mesure actée le jour même de la tenue de la réunion du Haut conseil de sécurité algérien, en présence du président Abdelmadjid Tebboune et du chef d’état-major de l’armée, le général Saïd Chengriha. Pas besoin d’être un expert en supply chain pour comprendre que Tanger Med, premier port de transbordement de conteneurs en Méditerranée, est ciblé par cette nouvelle directive de l’ABEF. Le succès de ce bijou infrastructurel voulu, construit et développé sous le règne du roi Mohammed VI, et classé dans le top 5 des ports les plus performants au monde, attise la jalousie et la haine des gérontes qui dirigent l’Algérie.
Lire aussi : Comment l’Algérie tente, vainement, de freiner le succès phénoménal du port Tanger Med
Mais alors que les fournisseurs et compagnies maritimes commençaient à peine à s’habituer à une mesure pour le moins ubuesque et définitivement anti-économique pour un pays important le plus gros de ses besoins domestiques, le pouvoir algérien marque un énième rétropédalage. Hier lundi 29 janvier, la même ABEF annonçait autoriser de nouveau le transbordement par les ports marocains pour les «denrées périssables, en particulier les viandes».
La mesure se veut un «additif» à celle du 10 janvier et se limite, théoriquement, aux produits dont l’embarquement à bord est antérieur à cette date. Le caractère foncièrement contradictoire des deux décisions n’en est que plus flagrant. Autrement, comment peut-on interdire aux bateaux transitant par le Maroc l’accès aux ports algériens… pour l’autoriser à nouveau, moins de trois semaines plus tard? Coutumier des coups de sang et des mesures intempestives, le régime algérien brille là encore par l’étendue de son incompétence, le caractère incorrigible de son impéritie, ainsi que son absence endémique d’anticipation.
La raison de ce rétropédalage est à chercher dans les coûts exorbitants du fret maritime à destination de l’Algérie, les opérateurs étant de facto forcés à un second déroutement via les places méditerranéennes, notamment espagnoles. Résultat, l’Algérie voit le coût du fret maritime à sa destination augmenter considérablement, d’autant que le géant portuaire marocain est devenu la porte d’entrée vers la Méditerranée, depuis que les navires évitent la mer Rouge. S’y ajoutent les surcoûts généralisés de positionnement: les armateurs facturent le moindre déroutement, surtout lorsqu’il est commandité.
Lire aussi : Tanger Med: plus de 8,6 millions de conteneurs traités en 2023, en avance de 4 ans par rapport aux objectifs
Autre facteur aggravant: l’allongement des délais logistiques à l’import. À l’approche du mois de ramadan, l’Algérie, où les citoyens manquent de tout, peut-elle se permettre une pénurie de fruits, de légumes, de légumineuses et de viandes? Rien n’est moins sûr. Les donneurs d’ordres de l’ABEF ont vite fait de comprendre l’absurdité de leur démarche, doublement pénalisante pour leur économie et leurs propres ports. Mais au prix, là encore, de se ridiculiser davantage.
L’impact voulu sur Tanger Med s’est avéré quant à lui proche de zéro. Il faut rappeler qu’en 2023, le port marocain a traité plus de 8,6 millions de conteneurs équivalent vingt pieds (EVP), en croissance de 13,4% par rapport à 2022. Une performance remarquable, qui équivaut à 95% de la capacité nominale du port, et qui a été réussie en avance de 4 ans par rapport aux objectifs initiaux.
Les performances de Tanger Med au cours des dernières années lui ont permis de se classer comme le 4ème port le plus performant parmi plus de 340 ports à conteneurs dans le monde, selon l’édition 2022 de l’indice mondial de performance des ports à conteneurs (CPPI), publié par la Banque mondiale et S&P Global Market Intelligence. Le port marocain a ainsi devancé de grands ports mondiaux, tels que ceux de Yokohama au Japon (15ème), d’Algésiras en Espagne (16ème mondial et premier en Europe), de Singapour (18ème), ou encore de Busan en Corée du Sud (22ème).