«55», un film à voir

Tahar Ben Jelloun.

Tahar Ben Jelloun.

ChroniqueLe film d’Abdelhaï Laraki retrace les mois durant lesquels la ville de Fès manifeste contre les Français. Une jeune militante, Amina, est devenue martyre et symbole pour acquérir l’indépendance et le retour d’un roi très aimé par son peuple, tellement aimé que toute la population avait réussi à voir son portrait sur la pleine lune. Moi aussi, enfant à Fès, j’étais monté sur la terrasse de la maison et j’ai vu, oui, vu le visage de Mohammed V dans la lune.

Le 22/01/2024 à 11h00

L’art, et en particulier le cinématographe, a une fonction pédagogique importante. Ainsi, grâce au film «55», d’Abdelhaï Laraki, en référence à l’année 1955, au cours da laquelle le peuple marocain se révolta contre l’occupation française et contre la déposition et l’exil imposé au roi Mohammed V et toute sa famille (le 20 août 1953), les jeunes générations d’aujourd’hui pourront connaître ce pan essentiel de l’histoire récente du Maroc.

Le film se passe à Fès, plus précisément dans la médina. Le petit Kamal (excellent Ayman Driwi), onze ans, vit sur les terrasses et parvient à traverser la ville de bout en bout en passant d’une terrasse à une autre (cela m’a rappelé un très bon film «The Swimmer», réalisé par Sydney Pollak en 1968, et où Burt Lancaster, en tenue de bain, traverse un quartier huppé du Connecticut en se baignant dans les piscines des uns et des autres).

Le film de Laraki retrace les mois durant lesquels la ville de Fès manifeste contre les Français. Une jeune militante, Amina, est tuée par des soldats français. Elle est devenue martyre et symbole pour acquérir l’indépendance et le retour d’un roi très aimé par son peuple, tellement aimé que toute la population avait réussi à voir son portrait sur la pleine lune. Moi aussi, enfant à Fès, j’étais monté sur la terrasse de la maison et j’ai vu, oui, vu le visage de Mohammed V dans la lune.

Le film se concentre sur un groupe de jeunes nationalistes révoltés par le comportement violent des sous-officiers français, incapables de comprendre la volonté de tout un peuple de recouvrer son indépendance et célébrer son roi. Un horrible militaire, appelé Bou Akkaz (il boîte), sévit dans les ruelles de la médina et sème la terreur.

Le petit Kamal, fil conducteur du récit, se joint à la jolie militante Zohra (Mounia Lamkimel) pour la suivre, la guider parfois, la protéger et la surveiller quand elle retrouve l’homme qu’elle aime.

Le film est d’une belle facture, une mise en scène rigoureuse et des images de bonne qualité.

Il m’a plu de revoir des bouts des films égyptiens qu’on voyait à l’époque, comme celui où la sublime Asmahan chante. Le crieur public qui vante les qualités des films programmés au cinéma. Le film est autant un récit de la lutte pour l’indépendance que le témoignage d’une société fassie traditionnelle qui souffre du fait que plus rien n’est à sa place. Lors d’un déjeuner où toute la famille est réunie, le père annonce qu’il va falloir émigrer à Casablanca, car, à Fès, tous les commerces ont fermé boutique à cause des manifestations et de la lutte contre l’occupation.

Abdelhaï Laraki a réussi un beau film que la jeunesse d’aujourd’hui devrait aller voir, car c’est un passé récent, mais qui n’est pas dans toutes les mémoires. Ce n’est pas un film lourdement pédagogique. C’est un spectacle digne des films d’action et de réflexion. Les personnages sont crédibles. Et Fès, l’ancienne Fès, est filmée d’une manière magnifique, restituant non seulement les décors des vieilles maisons, mais donnant aussi à voir des vies de famille dans une ville qui se croyait au-dessus des combats pour la liberté. Un des militants dit à une famille qui a peur: «La peur, c’est pire que la mort».

Il est évident que la lutte pour le retour du roi s’étendait dans tout le pays, mais Fès et sa médina, Fès et ses intellectuels ont été les initiateurs de ce combat. Une scène où des militants sont entrés se réfugier dans l’Université Al Qaraouiyine, poursuivis par des soldats qui ne respectaient ni ce haut lieu de la culture ni les jeunes étudiants, montre l’aspect révoltant et violent de la riposte de la France au nationalisme marocain.

Ce n’était pas aussi tragique que la guerre d’Algérie, mais le protectorat français au Maroc a connu ses moments de brutalité et de répression. Elles ont réveillé les consciences marocaines qui se sont rebellées et finirent par faire céder les politiques français.

«55» est un film à voir et à méditer. La résistance marocaine est ainsi restituée en images et l’unité du peuple démontrée. Pas de différence entre tous les citoyens qui manifestèrent avec force contre le dahir berbère que le colonialisme avait voulu imposer au Maroc. Ce dahir prévoyait une juridiction particulière pour la population amazighe. La réplique du peuple marocain a été sans ambiguïté contre cette volonté de créer division et désordre au sein d’une population unie, luttant pour le retour du roi et de sa famille, ce qui impliquait l’indépendance du Maroc.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 22/01/2024 à 11h00