À la plage comme au stade

Zineb Ibnouzahir.

ChroniqueSur un même bout de sable, c’est toute la diversité du Maroc qui s’expose. Et pour peu qu’on soit ouvert d’esprit, on aperçoit la beauté de la chose.

Le 16/07/2023 à 10h58

L’été venu, la plage est l’endroit idéal pour observer de près les Marocains dans leurs interactions sociales, familiales et conjugales. Cette société pudique, qui vit à l’abri des regards la majeure partie de l’année, se dévoile tout à coup aux yeux des autres, le temps d’une sortie à la plage.

Plus de cloisons derrière lesquelles se cacher du mauvais œil, de la jalousie, des gens, plus de barrières pour séparer les riches des moins nantis, les hommes des femmes. Tout ce petit monde qui se croise, sans pour autant se fréquenter, se côtoie quelques heures durant et chacun y va assurément de ses constats et de ses conclusions.

Sur un même bout de sable, c’est toute la diversité du Maroc qui s’expose. Et pour peu qu’on soit ouvert d’esprit, on aperçoit la beauté de la chose. Ici une femme intégralement voilée se protège du soleil sous son parasol, pendant que son mari initie ses enfants aux rudiments de la natation.

Là, ce père de famille prépare une chouaya de sardines pendant que sa femme fait trempette en bikini avec sa fille, à côté d’un groupe de vieilles femmes qui se roulent dans les vagues, en gandouras, et rient à gorge déployée.

Un peu plus loin, un groupe d’hommes jouent aux cartes à grands cris et éclats de rire, tout en buvant du vin, à l’abri des rochers et des regards. De temps en temps, ils jettent un œil à leurs progénitures qui, elles, jouent sous la supervision d’une voisine de parasol. Entre voisins, on s’entraide.

Il y a aussi ces groupes de jeunes ados qui viennent ici pour se défouler. Ils courent, plongent, nagent, crient, rient, chahutent et chantent à tue-tête les chansons de leur club de foot préféré… Une clameur à peine recouverte par les chansons de raï que se passe en boucle un sexagénaire, la clope au bec, le regard planté dans l’horizon et la main caressant la longue chevelure de sa femme.

Au bord de l’eau, les enfants jouent ensemble, aveugles aux différences. Cachés dans les rochers qui surplombent la mer, dans les recoins des dunes ou sous les voûtes des portes de villas cossues, des couples se glissent des mots doux à l’oreille, chuchotent, gloussent silencieusement, se frôlent la main en coulissant des regards inquiets autour d’eux… Il y a ces autres couples qui, faute de pouvoir se tenir par la main ou s’embrasser, se tirent les cheveux, se tordent le bras, se poussent dans l’eau, se font des croche-pattes… La tension est palpable, entre l’ardeur d’un amour naissant ou renaissant qu’on aimerait crier à la face du monde et l’interdiction de s’aimer en public qui emmure ces grands sentiments dans le silence.

Chaque nouvel arrivant est scruté du coin de l’œil, jaugé, jugé. Puis les minutes s’écoulent, et on s’habitue les uns aux autres, on s’accepte et toute cette diversité devient somme toute normale. Un joyeux tableau bariolé de différences qui s’anime au son de langues différentes. Ça chante, ça danse, ça rit, ça ripaille, ça cuisine, ça partage, ça grouille, ça vit…

Bien loin des plages privées où l’on s’enferme dans un triste entre-soi, une journée à la plage publique, et ce sont toutes les barrières qui s’érigent entre nous tout au long de l’année qui, tout à coup, s’effondrent. Et c’est ce Maroc qu’on aime, malgré ses imperfections, qui se rappelle à notre souvenir, un pays où l’on nous a appris à être riches de nos différences. C’est dans ces moments-là, à la plage comme au stade, que l’on se retrouve, que l’on se mêle les uns aux autres, que l’on se redécouvre et qu’on prend la mesure de notre exception marocaine.

Par Zineb Ibnouzahir
Le 16/07/2023 à 10h58