Il est connu pour ne pas avoir sa langue dans la poche quand il s’agit de défendre les libertés et la dignité humaine. La rédaction de ce média qu'est Le360, où il tient une chronique hebdomadaire, le sait déjà pertinemment. Mais cette fois-ci, c’est dans les colonnes de l'hebdomadaire français Le Point, qu’il en fait de nouveau la démonstration.
Dans une tribune publiée hier, lundi 9 septembre, dans cet hebdomadaire, Tahar Ben Jelloun demande que Hajar Raïssouni soit libérée. Agée de 28 ans, elle avait été arrêtée le 31 août dernier, et se trouve actuellement devant la Justice pour «avortement illégal», «débauche» et «relations sexuelles hors mariage». Elle risque jusqu'à deux ans de prison. «Que Hajar Raissouni soit libérée et que le ridicule de cette situation soit effacé», écrit Tahar Ben Jelloun.
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Ce que le lauréat du Prix Goncourt demande aussi, c’est l’abrogation de lois qui ont fait que Hajar Raissouni se soit retrouvée aujourd’hui derrière les barreaux. Il cite ainsi nommément les articles 490 et 491 du Code pénal sanctionnant les relations sexuelles hors mariage, mais aussi l’article de loi condamnant tout avortement décidé quand la vie de la mère n’est pas en danger. «Que ces trois articles totalement anachroniques soient abrogés et que les yeux et les consciences s'ouvrent sur la réalité, complexe, diverse, vivante d'un pays qui aspire à la liberté et à l'émergence de l'individu, cet être unique et singulier, c'est-à-dire responsable», plaide l’écrivain.
Ceux contre lesquels s’insurge Tahar Ben Jelloun en premier lieu, sont ceux-là mêmes qui, derrière le masque épais d’une certaine vertu, et sous couvert de ces mêmes articles de loi, permettent et favorisent ce genre de situations.
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«Ô vous, censeurs, protecteurs de la vertu, savants du rien, hypocrites assermentés, violeurs de la pudeur et de l'intégrité physique et morale des femmes, crieurs sur la place publique, ouvrez les yeux, ouvrez grands les yeux et regardez bien la société à laquelle vous appartenez, observez ce qui s'y passe quotidiennement de manière clandestine, cachée, ou parfois de façon ouverte. Pas la peine de feindre la honte, de crier, de hurler. C'est la vie, c'est le Maroc», s’indigne l’auteur de cette tribune.
Pour Tahar Ben Jelloun, ces pourfendeurs d'une société «hygiénique», absolument propre où rien ne dépasse, où «certains adultes pervers abusent des enfants alors que personne ne dit rien, ô crieurs de la pudeur» ignorent «que la prostitution commence chez des mineurs, que tout le monde le sait et on ferme sa gueule». «Savez-vous que la pédosexualité est fréquente et de temps en temps, on attrape un salaud (souvent étranger, comme si les Marocains étaient vaccinés contre cette maladie, ce vice)».
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A ces «observateurs vicieux», Tahar Ben Jelloun demande de laisser des hommes et des femmes adultes et consentants s'aimer si tel est leur désir. «Occupez-vous de votre propre santé physique et morale, faites le bien et foutez la paix aux autres. Personne ne vous a mandatés pour aller faire le bien dans le sens de la vertu. Laissez la vertu en paix, elle n'a pas besoin d'être protégée ni vengée», tranche-t-il.
A la vertu d’apparence et à cette hypocrisie voulant que vous pouvez tout faire à condition d'observer une bonne discrétion, il y a, explique Ben Jelloun, «d'autres femmes, à la vertu moins sévère, moins visible, [qui] s'habillent à la mode occidentale, fument, boivent et disent ne rendre compte à personne. Ces femmes, libres, courageuses, souvent seules, se battent tous les jours pour que vous ne les preniez pas pour des putes. Elles vivent avec vaillance et dignité et vous les regardez comme des pestiférées. Elles travaillent et tracent leur route malgré toutes les régressions, toutes les menaces et l'approche de l'obscurantisme».
Mais il y a aussi des victimes: des «femmes violées se font avorter clandestinement dans des conditions dangereuses». Elles seraient entre 600 et 800 par jour. A ces femmes-là, le Parlement en l’occurrence, et à dominante islamiste, préfère tourner le dos. Résultat, le Maroc, sa modernité et sa tolérance, sont pris en otage. Jusqu’à quand? Une colère salutaire.