Beauté instantanée, danger permanent: plongée dans l’univers de la médecine esthétique non invasive au Maroc

Un professionnel de santé tenant plusieurs flacons de toxine botulique, couramment utilisée en médecine esthétique pour réduire les rides. (Photo d'illustration)

Traitements miracles, résultats immédiats, peu ou pas de convalescence: la médecine esthétique non invasive séduit de plus en plus de Marocains, jeunes et moins jeunes. Derrière cette promesse d’éternelle jeunesse, un marché en pleine expansion, alimenté par les réseaux sociaux, mais aussi un terrain miné par les dérives et les pratiques illégales. Entre discours marketing et réalité médicale, analyse d’un phénomène de société aux multiples facettes.

Le 07/04/2025 à 10h00

Le visage est lisse, le teint lumineux, les rides discrètes, les traits reposés: le tout sans passer par le bistouri. La médecine esthétique non invasive promet de redonner fraîcheur et jeunesse en un clin d’œil. De plus en plus plébiscitée au Maroc, notamment par les jeunes adultes, cette pratique s’impose comme l’alternative «douce» à la chirurgie esthétique. Mais derrière son apparente légèreté, elle soulève de nombreuses questions médicales, sociales et éthiques.

La médecine esthétique regroupe un ensemble de techniques non-invasives ou peu invasives visant à améliorer l’apparence physique sans intervention chirurgicale lourde. À Casablanca, Akditalife détaille son offre: «Contrairement à la chirurgie esthétique, qui implique des incisions et une période de convalescence, la médecine esthétique repose sur des traitements plus doux», explique Hajar Rochdi, cheffe de service médecine esthétique. «Les interventions les plus demandées aujourd’hui portent sur la revitalisation de la peau, avec des traitements tels que les stimulateurs de collagène, ainsi que les soins anti-âge comme le lifting non chirurgical et le traitement des taches pigmentaires», ajoute-t-elle.

Parmi les techniques en vogue, on trouve aussi la médecine régénérative, avec le PRP (plasma riche en plaquettes) et le PRF (fibrine riche en plaquettes), issus du sang du patient pour stimuler la régénération cellulaire. Autres stars du moment: les injections préventives pour les jeunes, la radiofréquence pour raffermir la peau, ou encore les injections lipolytiques pour traiter le double menton sans liposuccion.

Une tendance sociale lourde de sens

Selon Hajar Rochdi «tous les profils, aujourd’hui, se tournent vers la médecine esthétique.» De plus en plus d’adultes y ont recours pour prévenir les premiers signes de l’âge, tandis que les personnes plus âgées cherchent à lutter contre le relâchement cutané de manière douce.

Mais comment expliquer un tel engouement, parfois précoce, pour ces actes médicaux? Soumaya Naamane Guessous, sociologue et écrivaine, y voit la traduction contemporaine d’un fantasme millénaire: «L’être humain a toujours cherché à rendre éternelle sa jeunesse. Avant, la vieillesse arrivait plus tôt, donc les ravages du temps se voyaient moins. Aujourd’hui, avec une espérance de vie autour de 80 ans, le temps a tout le loisir de marquer les visages et les corps.»

Ce désir d’échapper aux stigmates de l’âge s’inscrit, selon elle, dans un contexte où l’apparence est devenue centrale: «L’image que renvoie la société de la vieillesse, c’est une image de déchéance. On considère qu’une personne vieillissante est négligée, sans estime d’elle-même.»

Ce regard social est accentué, voire déformé, par l’influence massive des réseaux sociaux, où les filtres et les visages parfaits établissent de nouveaux standards de beauté. «Il y a une pression énorme, surtout chez les jeunes. On voit des lycéennes qui se font déjà gonfler les lèvres. Et parfois, ce sont les parents qui les accompagnent chez le praticien», alerte Soumaya Naamane Guessous.

Cette précocité inquiète d’autant plus qu’on manque de recul sur certains produits: «L’acide hyaluronique, présenté à ses débuts comme miraculeux, commence à être décrié par certains spécialistes», ajoute la sociologue.

Dérives dangereuses

Le succès fulgurant de la médecine esthétique non-invasive a un revers: la multiplication des actes réalisés hors cadre légal, souvent dans des salons de beauté ou même des salons de coiffure. «Au Maroc, seuls des médecins qualifiés inscrits à l’Ordre national des médecins peuvent pratiquer ces interventions», rappelle Hajar Rochdi. «Toute personne non qualifiée réalisant ces actes est en infraction de la loi n°131-13», qui interdit de pratiquer la médecine comme un commerce.

Pourtant, les exemples d’injections ratées se multiplient: abcès, migration du produit, nécroses, voire dans les cas les plus graves, cécité ou paralysie lorsqu’une artère est touchée. «Les patients doivent s’assurer que le centre est certifié, que les produits utilisés sont approuvés, et qu’un suivi post-intervention est assuré. C’est le minimum pour éviter les drames», insiste la cheffe de service médecine esthétique.

La sociologue Soumaya Naamane Guessous confirme: «N’importe qui fait n’importe quoi aujourd’hui. Il y a une réelle explosion des pratiques illégales, et un trafic de produits et de services non contrôlé.»

Derrière l’apparente légèreté d’un «petit soin», se cachent aussi des réalités plus profondes: «Beaucoup de femmes s’endettent pour pouvoir s’offrir ces traitements», explique la sociologue. «Parce qu’elles savent que dans notre société, une femme «fraîche» est valorisée, tandis qu’une femme «ravagée» est perçue comme négligée.»

Cette logique est d’autant plus violente qu’elle creuse les inégalités: «Une femme qui a les moyens peut entretenir sa jeunesse, tandis qu’une femme qui n’a pas accès à ces soins, peut paraître 20 ans plus vieille.» Et cela ne touche plus uniquement les femmes: «De plus en plus d’hommes y ont recours également. L’apparence est devenue un critère de réussite professionnelle, de séduction, de statut social.» Quant au devenir de ces nouvelles pratiques, notre interlocutrice y voit un succès patent: «C’est un marché extraordinaire, devenu agressif, et qui ne peut que s’intensifier», résume la sociologue.

Les deux sources s’accordent: le marché de la médecine esthétique non-invasive va continuer à croître. Les raisons? Une offre toujours plus variée, des prix de plus en plus accessibles et une pression sociale toujours plus forte.

Mais cette croissance rapide appelle une vigilance accrue. Si les technologies évoluent, les risques, eux, ne disparaissent pas. Et dans une société où le culte de l’apparence devient une norme, il est urgent de réfléchir collectivement aux conséquences de cette quête de perfection instantanée.

Par Camilia Serraj
Le 07/04/2025 à 10h00

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