Ce n’est pas la faute des économistes

Fouad Laroui.

Fouad Laroui.

ChroniqueLe vrai problème est celui de la faible influence des économistes hétérodoxes sur les décisions des politiques et sur les choix effectués par les citoyens.

Le 24/05/2023 à 11h06

En première page du journal Le Monde daté de samedi dernier, je lis avec perplexité ce titre: «La science économique sommée de se réinventer».

De quoi s’agit-il? Du fait que les modèles des économistes et leurs outils théoriques ne prendraient pas assez en compte les écosystèmes et leur destruction.

Pas d’accord. Le vrai problème, me semble-t-il, est celui de la faible influence des économistes hétérodoxes sur les décisions des politiques et sur les choix effectués par les citoyens.

Prenons comme exemple ce qu’on nomme «la tragédie des communs». Aristote, déjà, avait souligné ce problème, il y a plus de deux mille ans: «Ce qui est commun à tous fait l’objet de moins de soins, car les hommes s’intéressent davantage à ce qui est à eux qu’à ce qu’ils possèdent en commun avec leurs semblables».

Garrett Hardin avait repris ce thème en 1968 dans un article intitulé «The Tragedy of the Commons». Il s’agit du phénomène de surexploitation d’une ressource commune. Les économistes ont amplement montré que si on laisse faire les gens, le résultat sera un désastreux perdant-perdant.

Eh bien, regardez ce qui se passe sur nos plages -le sable, ressource commune, disparaît-, dans nos campagnes -on construit sur des terres arables-, dans nos villes -les espaces verts, quand il y en a, sont salis, dénaturés, grignotés par des constructions anarchiques. En quoi est-ce la faute des économistes? Ce sont les décideurs qui ne décident rien ou qui décident mal.

Pardon de faire ici une parenthèse personnelle. Le 7 janvier 1994, j’ai soutenu à Paris ma thèse de doctorat en sciences économiques avec l’intitulé suivant, bien explicite: «Modèles macroéconomiques et variables d’environnement». J’avais pris des modèles existants et les avais transformés pour tenir compte du fait que la pollution a un coût, que l’air et l’eau -les plus essentiels des «communs» -ne devraient pas être considérés comme gratuits, etc. Avec mes modèles modifiés, on pouvait constater que la croissance et le développement de certains pays ne sont pas positifs, comme l’affirment les statistiques du produit national, mais négatifs.

Qu’est-ce que ma thèse et des dizaines de travaux analogues ont changé? Rien. Les politiques ont continué de se gargariser avec les chiffres de la soi-disant croissance économique.

Depuis Veblen et Galbraith, les économistes ne cessent d’attirer l’attention sur la consommation ostentatoire et les travers de la société de consommation. Est-ce qu’on les a écoutés? Il suffit d’ouvrir un placard au hasard à Manhattan, Anfa ou Neuilly. A-t-on vraiment besoin de tous ces habits, de tous ces bijoux? J’ai connu quelqu’un(e) qui jetait chaque saison sa garde-robe pour en acheter une autre avec un taux effarant de turnover dans son dressing. Et cette même personne se désolait de la destruction de la planète sans voir le lien de ce désastre avec sa propre pratique et la fast-fashion. Un jour, je lui fis remarquer qu’au Moyen-Âge, on usait au maximum deux ou trois chemises au cours d’une vie. Elle me jeta un regard noir et me rétorqua:

- Heureusement qu’on n’est plus au Moyen-Âge.

Et puis, il y a la démographie, le grand tabou… Les économistes ont beau faire le lien entre l’explosion démographique et la destruction de notre environnement, personne n’écoute. Quel politique aurait le courage de dire que nous ne pouvons pas être plus de quarante millions dans ce pays sous stress hydrique et dont les sols s’épuisent -et donc qu’il faudrait prendre des mesures énergiques pour que nous ne dépassions jamais ce chiffre? L’économiste avertit, les décideurs regardent ailleurs.

Dans la mythologie grecque, Cassandre, la fille de Priam et d’Hécube, avait le don de prédire l’avenir mais personne ne l’écoutait. C’est un peu pour ça que j’ai quitté le domaine de l’économie de l’environnement. Même mes chats avaient fini par me surnommer «Cassandre»…

C’est le nom collectif de beaucoup d’économistes.

Par Fouad Laroui
Le 24/05/2023 à 11h06

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Pour bien connaître les rouages de l’économie d’un pays, il faut y vivre. D’abord, l’économie n’est pas une science exacte. Ensuite, c’est comme en pédagogie où plusieurs facteurs interagissent et peuvent fausser les résultats, surtout les intervenants malhonnêtes et ils sont légion chez nous. Et le malheur, c’est qu’ils composent la majeure partie du parlement. Vivement sa dissolution !

Pas mal de beaux discours. Les responsables et les gouvernements successifs mènent une visions et des politiques qui n’ont rien à envier à l’exploitation et les destructions de Far West américain. Après moi le déluge, sauf que dans le cas du Maroc c’est après moi la sécheresse et les destructions des écosystèmes. L’urbanisme est sous tutelle du ministère de l’intérieur. L’aménagement du territoire et l’urbanisation de nos villes est à l’image de nos cimetières. Les responsables du ministère de l’intérieur sont les premiers à blâmer pour le laisser-aller.

Toujours est-il que l’Économie relève du social et n’est pas une science exacte. Ses modèles empiriques s’appuient sur les données du contexte. Or, les matières premières provenant de l’Afrique et de l’Amérique latine ne sont plus gratuites; la révolution numérique provoque une mutation substantielle de la production; la prise en conscience de l’écologie dicte un changement de paradigme des procédés; les élites formés le siècle dernier sont inopérationnels et leurs compétences, obsolètes. Par conséquent, l’Économie est sommée d’élaborer de nouveaux modèles à la hauteur des défis d’aujourd’hui. De même, les cadres à se perfectionner et mette à jour leurs compétences, rompre avec les pratiques vicieuses et dégradantes de l’environnement, et s’engager dans la voie du développement durable.

Eu égard au niveau de notre développement industriel, et aux besoins d’investissement, je trouve certains discours sur la protection de l’environnement relativement disproportionnés ! Quand on fait la route Tanger/Lagouira , on n’est quand même pas étouffé par la fumée des usines qui s’alignent tout au long de l’Atlantique ,sur plus de 2 300 km ! Et je ne parle pas de l’intérieur du pays où l’on peut faire 200 km de route sans croiser un oiseau, même mort👹 . Qui pourra expliquer à nos jeunes que l’on ne peut pas leur créer des opportunités d’emploi, car nous devons protéger les glaciers de l’Antarctique,du Groenland ou de la Patagonie ?

"...Et je ne parle pas de l’intérieur du pays où l’on peut faire 200 km de route sans croiser un oiseau..." Cher Ssi Driss, je prends cette phrase au sens propre ! Et je rajouterais sans trouver 1 arbre ni eau naturelle qui coule comme jadis ni terres fertiles verdoyantes... Ssi Driss nous n'avons pas de Glaciers... mais sachez que les effets du réchauffement climatique se manifestent de différentes manières sur la terre entière... Respects et Merci

Quand un modèle économique ne fonctionne pas , est-ce la faute aux économistes qui l’ont élaboré, ou aux politiques et aux citoyens ? C’est un peu l’histoire de cette boule qui ne passe pas dans un tuyau . Est-ce parce qu’elle est grosse ou c’est le tuyau qui est étroit ? Si c’est la boule qui a été conçue pour passer dans le tuyau et ne passe pas, c’est qu’elle est trop grosse. En revanche si c’est le tuyau qui a été fabriqué pour recevoir la boule ,c’est qu’il est étroit. Par analogie : est-ce le modèle économique qui a été conçu pour les hommes , ou ce sont les hommes qui ont été ‘’fabriqués’’ pour seoir au modèle économique ?

La question qui se pose : qu’est-ce qui prime : les valeurs ou les catégories de pensée ? Doit-on changer nos valeurs pour mieux penser la réalité ou plutôt notre pensée ? En tout cas, une chose est sûre : avoir une vision à long terme et ni passéiste ni catastrophiste, serait un bon début…

Vous devriez publier votre thèse plus que jamais d'actualité. Je viens de lire 2 articles sur 2 travaux qui vont dans le sens de ce que vous dites : 1- " La Théorie du Donut" de Kate Raworth Chercheuse Anglaise qui défend 1 analyse circulaire pour rendre compatibles les besoins humains avec les limites planétaires. Il semblerait que la ville d'Amsterdam s'en inspire déjà... 2- un travail collectif publié dans Presses des Mines en 2023. « Le Changement climatique comme péril commun. Réconcilier action climatique et justice sociale », séduisant car il s'inspire d'1 ancien droit maritime en cas de naufrage qui stipule que les propriétaires des lourdes marchandises jetées à la mer pour sauver le bateau ne doivent pas être les seuls à payer les frais du sauvetage... Merci

L'environnement est le parent pauvre de la politique de développement dans notre cher pays. Avec une activité économique et touristique concentrée sur le littoral, on s'est donné à cœur joie à bétonner à tout va; L'axe Tanger-Agadir en est le parfait exemple. Par rapport à la démographie, même si les chiffres montrent des taux de fécondité en net recul par rapport aux générations précédentes, on doit encore faire des efforts. L'essor économique doit toucher toutes les régions pour que la population ne se concentre pas que sur le littoral atlantique nord. Les grandes villes de l'intérieur doivent renaitre de leurs cendres (Marrakech, Fès, Meknes...).

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