À travers le monde, les épouses sont plus jeunes que les époux. Au Maroc, l’écart d’âge entre les époux est de 7,9 ans (HCP, 2018).
Les hommes fantasmaient sur sattachya, fillette de 16 ans, au corps frais, chargé de promesses érotiques!
La jeunesse c’est aussi une bonne santé pour tenir le foyer et enfanter. Il est également admis qu’une femme vieillit plus rapidement qu’un homme.
Ce qui était vrai lorsque les femmes ne contrôlaient pas leur fécondité. Mariées enfants, sans médecine moderne, elles étaient vite épuisées par la rudesse des travaux domestiques et par les multiples grossesses, fausses couches et accouchements.
Par ailleurs, les femmes vivent plus longtemps que les hommes. Au Maroc, l’espérance de vie est de 75,1 ans pour les hommes et 78,5 pour les femmes.
Une autre explication: contrairement aux femmes, les hommes se remarient facilement après divorce ou veuvage.
L’épouse est vitale pour l’homme, considéré comme doté par Dieu d’une sexualité débordante qu’il doit exercer dans lahlale (légitimité du mariage). Incapable de gérer le foyer et les enfants, même très vieux, on le marie.
On dit que le veuf tayakhtabe mane al âzzayate (il choisit une épouse parmi les femmes présentes aux funérailles de son épouse).
Une des formules de politesse qui fut courante: Allah yjaddade frachèk (Dieu renouvelle ton lit: une nouvelle épouse)!
Les hommes de l’entourage du veuf, et même les femmes, se chargent rapidement de lui trouver une épouse.
Mais pour la veuve, envisager le mariage signifie que c’est une dévergondée, motivée seulement par le vice sexuel. Elle doit se sacrifier, même très jeune, pour ses enfants, sinon elle est critiquée par tous, y compris par les femmes.
Chez les Juifs, le lévirat est une obligation: la veuve doit épouser le frère du mari défunt. Ses enfants nés de ce mariage ont le même statut que les enfants du premier mariage. Une façon de poursuivre la lignée de la famille, mais aussi d’éviter que la veuve ne se remarie hors de la famille et que l’héritage aille ailleurs.
Chez les musulmans, les traditions imposaient ces unions aux veuves, soi-disant pour protéger les orphelins. Mais c’est toujours des intérêts matériels.
Le Coran impose à la veuve une période de viduité, el idda, de 4 mois et 10 jours: elle ne doit pas avoir de relation sexuelle, ni se marier, pour s’assurer qu’il y a ou non une grossesse, afin que l’enfant soit attribué au défunt.
Mais la croyance en l’enfant endormi pouvait fausser ce délai! («Cette étonnante croyance en ragued, le fœtus endormi, validée par le droit musulman» dans Le360 du 3/11/23)
Il y a donc tout un système pour contrôler la veuve de la part de sa belle-famille.
On lui fait porter du blanc durant la période de idda, que l’on nomme hake Allah (le droit de Dieu), sans aucun lien avec la religion. On l’appelle aussi lawkare (respect) afin que les hommes s’en éloignent. Elle ne doit pas sortir de la maison. Si elle sort, elle est escortée et doit rentrer avant le coucher du soleil. On la contrôle afin qu’elle ne tombe pas enceinte. Aujourd’hui, les veuves sortent, mais elles portent majoritairement du blanc.
Et c’est là qu’intervient elbaghla, la mule, née d’un âne et d’al âwda (jument)!
Selon les croyances répandues en milieu rural, les veuves qui ont des relations sexuelles ou ne portent pas le blanc pendant la période d’al idda sont déshumanisées, punies par Dieu, qui les transforme en une créature moitié humaine, moitié mule.
On la nomme baghlate lakboure en arabe dialectal, tagmart n’ismdal ou tassardount n-smd’al en dialecte amazigh: mule des cimetières.
Ces femmes se transforment la nuit en mules. Elles enlèvent les hommes et les enterrent vivants dans les cimetières. Une invention ingénieuse pour effrayer les femmes et mettre en danger les hommes pour qu’ils surveillent les veuves.
À ce jour, la croyance existe dans certaines régions. De nombreux hommes affirment avoir vu la mule, à la campagne, non éclairée la nuit et où les hommes sont obligés de vaquer à des travaux comme l’irrigation des champs. Beaucoup de personnes, à la campagne, disent avoir entendu le bruit métallique de ses sabots.
La mule est effrayée par le fer. S’il la touche, elle disparaît. Il faut avoir de grosses chaînes en fer à faire claquer pour l’éloigner. On peut aussi la piquer avec une aiguille. Elle reprend alors son aspect de femme, mais complètement nue pour être la risée des villageois.
Cette légende effraie les adultes, mais aussi les enfants, que l’on assagit en les menaçant d’appeler la mule.
Aujourd’hui, la société exerce moins de pression sur les veuves. Mais elles trouvent difficilement les candidats au mariage, puisque les hommes se remarient avec des femmes bien plus jeunes qu’eux. Sinon, elles épousent des hommes très âgés, malades et doivent jouer le rôle d’infirmière.
Les veuves doivent faire le deuil de leur vie affective et sexuelle. Elles souffrent de solitude. Toute femme a besoin d’un compagnon avec qui partager des moments de souffrances et de joie.
Les veuves sont sujettes à la précarité car privées du budget essentiel ou supplémentaire d’un époux. Souvent, elles n’ont pas de couverture maladie.
Avec un mari, une veuve partage les charges matérielles du foyer et échappe à la précarité. Sans moyens, elle est ballottée entre ses enfants et perd sa dignité.
Celles qui ont les moyens en profitent pour se faire plaisir, voyager, exercer des activités nouvelles… Mais c’est une infime minorité!
L’espérance de vie a augmenté. Elle a allongé la solitude des veuves. La vieillesse, dernière étape de la vie, doit être vécue dans la sérénité, partagée avec un tendre compagnon, pour le pire et le meilleur...