Installée dans un train entre Paris et Amsterdam, je sors mon attirail habituel: ordinateur, téléphone portable, sandwich, bouteille d’eau et livre. Un peu comme tous les voyageurs… sauf mon voisin, un blond aux yeux bleus, la quarantaine. De son sac à dos, il extirpe de la laine et des aiguilles et se met à tricoter une écharpe.
J’ai beau essayer d’échapper aux stéréotypes du genre, qui attribuent des tâches aux hommes et d’autres aux femmes, je n’ai pu m’empêcher d’écarquiller les yeux par étonnement. Awwah! Un homme tricote, en public, sans complexe. Du jamais vu.
J’ai beaucoup tricoté depuis mon enfance. J’affirme, avec certitude, que ce blond tricotait très bien. Il faisait des points compliqués, en regardant les paysages par la fenêtre. Curieuse, j’engage la discussion avec lui. S’en est suivi une longue discussion sur les bienfaits du tricotage pour lutter contre le stress.
Dans la rangée d’en face, une femme de près de 60 ans était occupée, l’air sérieux, à faire des coloriages sur de grandes feuilles de papier. Le blond me la désigna du doigt, m’expliquant que, comme il prend souvent le train, quand il ne tricote pas, il fait des coloriages.
À la fermeture des portes, la voix du conducteur du train annonça le départ et demanda aux voyageurs de respecter le silence pour faire des compartiments des lieux de quiétude. Une phrase m’interpella: «Soyez aimables et souriez à vos voisins.» Mon Dieu, ce qui est censé être naturel est devenu une recommandation!
Durant le trajet, j’ai médité sur l’évolution des relations humaines dans les lieux publics. Hier encore, des personnes qui se retrouvaient ensemble cherchaient à communiquer pour passer le temps et tisser des liens. Aujourd’hui, les gens ont les yeux fixés sur leur smartphone, l’index répétant des gestes mécaniques, de bas en haut et de haut en bas, pour faire défiler les vidéos. Chacun est isolé dans sa bulle. De temps en temps, ils esquissent un sourire, poussent un éclat de rire, froncent les sourcils, font un rictus de dédain. Allah iastarna: on dirait des fous!
Dans les trains, il règne désormais un silence de plomb, qu’interrompent par moments les sonneries des téléphones de voyageurs… aussitôt réprimandés du regard par d’autres voyageurs. Telle est la seule interaction.
Avant, les voyageurs discutaient entre eux. Certains lisaient des livres et se faisaient parfois questionner sur l’auteur, la qualité du récit. D’autres parcouraient des journaux qu’ils échangeaient entre eux, commentant parfois ensemble les informations. Aujourd’hui, tout cela a disparu! L’individualisme gagne du terrain et les smartphones imposent un autre mode de relation, du style «Je veux attiqaaaaare (la distance)».
«Les activités manuelles stimulent notre cerveau et améliorent la coordination entre nos mains et notre cerveau, et donc notre motricité.»
Une autre habitude disparaît. Dans notre culture, l’acte de manger n’est pas individuel, mais collectif, et s’inscrit dans la générosité du partage. On ne mange pas devant une personne sans lui proposer de goûter. La personne peut avoir faim, manquer de moyens pour s’offrir l’aliment qu’elle voit, ou en désirer et s’en retrouver frustrée. Une femme peut être enceinte et avoir cette envie pressante de goûter le mets qu’elle voit. D’ailleurs, on considère que partager ses aliments est une hassana, une bonne action.
Combien de fois ai-je été obligée de manger ce que me tendaient des mains, surtout féminines, généreuses, alors que je n’en avais aucune envie, simplement pour ne pas vexer.
Mais revenons à notre tricoteur. Grâce à lui, j’ai fait des recherches: de nombreuses études révèlent que les activités manuelles sont bénéfiques pour notre cerveau et notre bien-être, activités pourtant négligées au profit des écrans. Selon le magazine néo-zélandais The Listener, une enquête menée auprès de 3.500 personnes a révélé que 73% d’entre elles se sentaient bien moins stressées quand elles tricotent trois fois par semaine.
Ces activités ne sont pas seulement un passe-temps. Elles nous placent dans un état mental appelé le flow (flux), qui procure une sensation de sérénité et d’apaisement, avec une concentration qui éloigne des soucis quotidiens. Une sorte de méditation qui diminue l’adrénaline et le taux de cortisol, les hormones responsables du stress. Le rythme cardiaque ralentit et la tension artérielle baisse.
Les activités manuelles stimulent notre cerveau et améliorent la coordination entre nos mains et notre cerveau, et donc notre motricité. C’est également un moyen de se détendre, de relâcher la pression, de s’éloigner des pensées négatives, de l’angoisse, et de se relaxer et profiter de l’instant présent. Enfin, ces activités poussent à la création, à faire travailler l’imagination. Le résultat final procure une satisfaction et augmente l’estime de soi.
Elles permettent aussi de réguler les émotions telles que la colère et la tristesse, et d’éviter de prendre des médicaments. Un des exemples est l’art-thérapie, en soins psychiatriques, qui utilise des matériaux artistiques avec des personnes victimes de traumatismes ou ayant des troubles du comportement, y compris parmi les enfants.
Malheureusement, les écoles marocaines ont cessé de former à des activités comme la poterie, le dessin, la peinture, la couture ou le tricot… Les parents devront combler cette lacune pour l’équilibre de leurs enfants.
Aujourd’hui, les enseignants remarquent que les enfants ont du mal à utiliser leurs mains, y compris pour tenir un stylo et écrire. Ils ont du mal à former des lettres parce qu’ils passent trop de temps sur les écrans et ne développent pas assez l’agilité de leurs mains et de leurs doigts. Dans notre époque d’addiction aux écrans, veillons à occuper différemment nos mains pour notre mobilité, notre dextérité manuelle, notre équilibre et notre sérénité.
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