Pour motiver ses troupes, Walid Regragui utilisait l’expression «Dirou niya!». Avec les journalistes et l’opinion publique, il disait la même chose.
C’est le genre d’expressions à la musicalité bien connue des Marocains. Nous avons tous grandi avec une telle sommation dans les oreilles. Les mots sortaient de la bouche de nos parents, de nos éducateurs, etc. Parfois, c’est le marchand de poissons ou le revendeur de smartphones qui vous le demande: «Khouya, khti, dirou niya!»
Nous connaissons tellement la formule que nous n’y prêtons plus aucune attention. Nous avons oublié son sens, ce qu’elle voulait dire. Nous avons même fini, par déformation sémantique, par l’interpréter d’une manière diamétralement opposée. Au point que lorsque quelqu’un en appelle à votre «niya» (bonne foi), vous pensez: «Ah! Mais il veut me rouler celui-là?»
Littéralement, l’expression signifie: «Armez-vous de bonne foi». C’est-à-dire: cliquez sur le bouton «en première intention» et arrêtez de vous inquiéter, de vous prendre la tête, de douter de tout et de tous. Faites confiance. Ayez la foi.
Il y a une dimension douce, à la limite angélique, qui nous vient à l’esprit. Dans un monde de bisounours, ou entre enfants de chœur lisses et charmants, le message «Dirou niya» arriverait à coup sûr à destination, mieux encore qu’une lettre à la poste. Dirou niya? Mais bien sûr, tout de suite, tout le temps, par toutes les circonstances et les saisons.
Même si cela peut prêter à sourire, cette forme de naïveté existait bel et bien dans nos sociétés. Nous venons d’une culture ancienne où l’écrit et les codes de la modernité n’existaient pas. Pour passer un accord, un deal, une transaction, on faisait appel à cette «niya». C’était un contrat moral, un engagement mutuel par lequel les deux parties se donnaient l’une à l’autre l’«amane», c’est-à-dire la sécurité et la garantie de respecter ce qui a été dit entre les hommes.
Cette niya, cette parole donnée, étaient plus qu’un chèque de garantie. Mais attention, celui qui brise le pacte peut le payer très cher, parfois de sa vie…
Alors au début, quand Regragui a ressorti cette formule de l’armoire à souvenirs, on prenait un peu ça comme une blague, une formule de grand-mère pour endormir les plus sceptiques et caresser les autres dans le sens du poil. Parce qu’on parle d’une formule qui fleure bon «ayyam zamane», ça pue la nostalgie, le politiquement correct, comme une mémé qui rassure ses petits-enfants avant leur premier bain chaud.
Mais qui peut encore parler comme ça? Qui peut croire encore à ça?
Bien sûr, les succès des Lions de l’Atlas ont tout changé. «Dirou niya» est (re)devenue une formule magique. Mais, aujourd’hui comme hier, derrière le côté lisse de la formule, il y a une injonction: soyez honnête, bossez, ne trichez pas.
Niya, c’est sérieux et ça se mérite. Comme la confiance. Ou le travail bien fait, consciencieusement. On peut remercier Regragui et ses hommes de nous avoir réinventé cette formule qui tient de la meilleure tradition marocaine. Simple comme bonjour. Naïve mais pas trop.