D’où vient la désinformation?

Fouad Laroui.

ChroniqueElle est spécifiquement associée aux partis populistes d’extrême droite qui la diffusent comme stratégie politique, obtenant ainsi des avantages électoraux significatifs.

Le 23/04/2025 à 11h01

Deux de mes anciens collègues de l’université d’Amsterdam, Törnberg et Chueri, viennent de publier une étude passionnante sur la désinformation dans la revue International Journal of Press/Politics, sous le titre When Do Parties Lie? C’est un travail solide et objectif. Les auteurs ont analysé 32 millions (!) de tweets de parlementaires de vingt-six pays sur une période de six ans, à l’aide de puissants algorithmes, en se concentrant sur les périodes de campagne électorale. Ils ont ensuite utilisé des sources de vérification des faits (les fameux fact-checkers) pour établir la véracité du contenu de ces millions de tweets.

Et voici leur conclusion: la désinformation n’est pas une conséquence indésirable mais inévitable de l’existence des réseaux sociaux, ce n’est pas un ‘bruit’ qui parasite les messages, ce n’est pas un moindre mal qu’il faut accepter en haussant les épaules. En fait, c’est une stratégie politique délibérée et réfléchie, et elle est principalement mise en œuvre par les partis populistes et d’extrême droite.

Bien sûr, on sait depuis Machiavel que le Prince doit utiliser le mensonge, fût-ce par omission, quand la raison d’État l’exige. Edward Bernays a actualisé l’idée dans son essai Propaganda, publié en 1928. On connaît également l’influence qu’ont exercée sur les néo-conservateurs américains (Cheney, Rumsfeld…) les réflexions de Leo Strauss sur le ‘noble mensonge’ platonicien. La candeur et la probité ne servent pas à grand-chose en temps de guerre, quand il s’agit de mobiliser les masses en agissant sur leurs passions.

Mais le fait est que nous ne sommes pas en temps de guerre et que le mensonge et le bourrage de crâne sont pourtant devenus la norme. Les ‘faits alternatifs’ -c’est-à-dire inventés de toutes pièces- sont présentés comme une sorte de réalité parallèle tout aussi légitime que l’autre, celle dans laquelle nous vivons réellement.

«Combattre la désinformation est un impératif, pour sauver la démocratie; et il faut nommer clairement l’adversaire et l’affronter: le populisme d’extrême droite.»

On sait tout cela. Ce qui est vraiment nouveau -et passionnant- dans l’étude de mes collègues est exprimé ainsi par l’un des deux auteurs: «Nos résultats montrent que la désinformation n’est ni universelle ni une condition générale de notre écosystème médiatique. Elle est plutôt spécifiquement associée aux partis populistes d’extrême droite qui diffusent de la désinformation comme stratégie politique, obtenant ainsi des avantages électoraux significatifs.»

Certes, la désinformation est un problème essentiellement lié aux médias sociaux diffusant de fausses informations qui s’y propagent de manière virale, quasi instantanément; mais, insistons sur ce point, Törnberg et Chueri ont montré qu’il y a une dissymétrie inquiétante dans cet état de choses: ni le populisme de gauche, ni la gauche traditionnelle, ni la droite modérée ne pratiquent de façon significative la désinformation. Celle-ci est d’abord et avant tout le fait du populisme d’extrême droite, qui est lui-même un danger pour les institutions démocratiques.

On peut donc tirer deux conclusions de l’étude de Törnberg et Chueri: combattre la désinformation est un impératif, pour sauver la démocratie; et il faut nommer clairement l’adversaire et l’affronter: le populisme d’extrême droite.

Dans le cas particulier de notre pays, où la notion d’extrême droite est ambiguë (il est plutôt question d’un populisme rétrograde), il s’agit de soutenir la droite modérée et d’essayer de ressusciter la gauche démocratique. Vaste programme…

PS: J’espère que notre HACA (Haute autorité de la communication audiovisuelle) se procurera l’étude de Törnberg et Chueri. Elle saura qui il faut surveiller de près…

Par Fouad Laroui
Le 23/04/2025 à 11h01

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