Au moment de partir, l’ancien ouvre ses bras pour enlacer le nouveau, un sourire radieux éclairant son visage que l’on voit de face. L’ancien le repousse. Nous ne le voyons que de dos. Il est donc impossible de lire l’expression de son visage. Mais notre sens de l’interprétation a décidé qu’il était mécontent, scandalisé par ce geste amical.
Grâce (ou à cause) d’Internet, la vidéo fait le tour de la Toile, accompagnée de généreux commentaires. Tous véhiculaient la Vérité incontestable puisque l’image ne ment pas: je te jure que je l’ai vu de mes propres yeux. Le nouveau a repoussé l’ancien. Wily, je ne vais pas te mentir!
Ce geste est une atteinte profonde à la dignité. Une humiliation, un affront, une chouha, une honte…
La polémique enfle et divise les internautes et les commentateurs. Il y a ceux qui ont sympathisé avec l’ancien: le nouveau est impoli. La’dawa tabta ou souwab ykoune (la courtoisie même dans la haine). Ce qui suppose que haine il y a.
D’autres connaissent la motivation du nouveau, comme s’il s’était confié à eux: le nouveau était président de l’Université de Kénitra. Dès que l’ancien a été ministre, il l’a licencié. Donc le nouveau s’est vengé.
Un président d’université ne peut être licencié, sauf faute grave. Il répond à un appel ouvert aux candidatures, avec un projet de développement de l’université. Trois candidats sont sélectionnés et reçus individuellement par un comité. Le président retenu fait un mandat de 4 ans, renouvelables une fois s’il le désire.
Les commentaires les plus courants ont été liés à la rigidité de l’ancien face aux étudiants de médecine. Il devient le méchant dont le gouvernement s’est débarrassé et qui a été remis à sa place par le nouveau. Meziana fihe (Bienfait pour lui)! Jabha firassou (il l’a bien cherché)!
Cet affront a redonné espoir: tu vois, il lui a signifié qu’il a eu tort de maltraiter les pauvres étudiants. C’est sûr, le nouveau va régler tous les problèmes. Il a l’air très humain, pas comme l’ancien!
Le dicton marocain dit: elmanedba kbira oulmyate fare (Le deuil est grand. Le défunt est une souris)!
En fait, tout cela n’est que la puissance de l’image et de l’interprétation.
Le geste de l’Ancien a tellement occupé les réseaux sociaux que des médias ont publié des articles pour rétablir La Vérité, la seule, l’unique… Mais les interprétations ont continué chez ceux qui pensent détenir La Vérité.
Quelle est la vérité? Au moment de partir, l’ancien a ouvert ses bras pour une accolade. Le nouveau a refusé pour l’informer qu’il allait l’accompagner à la sortie avant de se saluer.
Malgré cette vérité, les sceptiques, influencés par une autre image, ont continué: Waalou, ana li âarafe. Mataddarche bya (c’est moi qui sais). Il l’a accompagné et salué, mais froidement, juste avec une poignée de main protocolaire. Je vous jure, c’est pour lui dire qu’il a raté sa mission.
Et voilà comment une vidéo devient virale. Un exemple de l’importance de l’image et son impact sur nous. Les fausses informations qui se répandent et impactent fortement sont celles qui utilisent le visuel.
L’image devient importante depuis la télévision et la publicité. Avec Internet, l’image a pris le pouvoir sur nos cerveaux, nos émotions et parfois notre sens du discernement.
L’image crée une communication munie d’une énorme puissance qui transmet une information en très peu de temps, plus rapidement qu’une phrase, qu’un texte. Un seul coup d’œil et la mémoire enregistre.
Cette puissance peut nous induire en erreur, nous tromper, si elle a été conçue dans cet objectif.
Les plateformes électroniques, tels Facebook, Instagram, Snapchat en font leur commerce. Le danger est que la manipulation des images est accessible à tous et le partage les diffuse instantanément.
Les réseaux sociaux diffusent des images utiles, enrichissantes. Ils peuvent aussi nous manipuler en trafiquant les images ou en les sortant de leur contexte. La décontextualisation permet d’inventer un sens nouveau à une image.
Les montages modifient l’origine de l’image.
Le deepfake permet, grâce à l’intelligence artificielle, de remplacer le visage d’une personne sur une vidéo en gardant les paroles.
L’image est plus impactante qu’un texte. Nous en saisissons le sens en moins d’un dixième de seconde. Selon des statistiques, elle est traitée par le cerveau 60.000 fois plus vite qu’un texte. Chaque image vaut au moins 1.000 mots.
C’est pourquoi elle est devenue l’outil de communication des réseaux sociaux, du marketing et de diverses plateformes.
Son impact rapide touche nos émotions. Elle peut donc affecter notre capacité à traiter l’information de façon rationnelle, factuelle et nous rendre subjectifs.
Même quand elle ne vise pas à manipuler ou à tromper, chaque personne va l’interpréter différemment, en toute bonne foi. C’est le cas de la vidéo de l’ancien et du nouveau.
L’être humain raconte souvent un fait par son interprétation et non de façon neutre, factuelle. Et ce, inconsciemment. Pour tromper, il le fait consciemment.
Moi-même qui enseigne à mes étudiants la prudence face à la diffusion d’une information, d’en chercher la fiabilité, la source, la pertinence en maitrisant ses émotions, en étant factuel… Moi-même j’ai dérapé face à la vidéo de nos deux ministres.
Je l’ai regardée plusieurs fois pour m’assurer qu’elle correspondait bien aux commentaires des internautes. Et j’ai glissé dans l’erreur! Je l’ai partagée avec 4 amis, concernés par le problème des facultés de médecine.
Une image en dit plus long qu’un long discours, dit le dicton. Oui, mais prudence!