Enseigner, au péril de sa vie

Mouna Hachim.

ChroniqueElle avait 29 ans, la tête sûrement pleine de rêves, l’esprit animé par la passion. Désormais, elle n’enseignera plus… Ce silence brutal laisse derrière lui une onde de choc. Et une question lancinante: comment en est-on arrivé là?

Le 19/04/2025 à 11h00

Hajar n’est pas un fait divers. Elle a un nom, un visage, une vocation. Originaire de Khémisset, ancienne étudiante de l’École normale supérieure de Rabat, professeure de langue française, elle enseignait à l’Institut de formation professionnelle d’Erfoud. Dimanche dernier, elle a succombé à ses blessures à Fès, où elle avait été transférée d’urgence, le 27 mars, à l’unité de soins intensifs de l’Hôpital universitaire Hassan II, après avoir été violemment agressée sur la voie publique par l’un de ses élèves, armé d’une hache.

Les réseaux sociaux ont relayé des vidéos insoutenables, captées par des caméras de surveillance ou par les téléphones de témoins, retraçant les instants tragiques de l’agression, jusqu’à l’instant où l’on voit Hajar s’effondrer, emportée dans un coma inéluctable…

La communauté éducative et les citoyens de tous horizons ont exprimé leur douleur et leur indignation. Les syndicats du secteur sont montés au créneau, annonçant une grève générale nationale. Des sit-in ont été organisés devant les directions provinciales et les académies régionales.

Dans un communiqué au ton grave, la Fédération nationale de l’enseignement a appelé à une mobilisation forte et immédiate, tout en dénonçant «le manque de volonté des autorités ou leur incapacité à garantir la sécurité et la dignité des enseignants».

De leur côté, les employés de l’Office de la formation professionnelle et de la promotion du travail (OFPPT) ont réclamé une révision des conditions d’inscription des stagiaires, incluant une évaluation psychologique, afin de prévenir les comportements déviants et d’éviter que les établissements de formation ne deviennent des centres de redressement déguisés.

Ce type de violence, extrême et injustifiable, n’est pas un cas isolé: il témoigne d’un malaise profond aux multiples dimensions. C’est le signal d’alarme d’une École, autrefois foyer d’éveil, sanctuaire du savoir et de l’autorité bienveillante, aujourd’hui transformée en un champ de tensions, d’insécurité et de désillusions.

C’est un cri silencieux poussé par un corps enseignant jadis respecté, pilier de la société, aujourd’hui fragilisé, au statut dégradé, qui, loin de réclamer des privilèges, demande simplement le droit de transmettre en paix, dans le respect de sa fonction et avec la sécurité nécessaire à son engagement quotidien.

Nous ne le rappelons peut-être pas assez: chaque professeur est un phare, un bâtisseur d’avenir, un gardien de civilisation. L’oublier, c’est déjà, collectivement, commencer à sombrer…

«L’heure est à la sincérité, à une prise de conscience lucide et partagée, à une approche humaine des problèmes, loin des discours convenus et des statistiques froides.»

Sans rien excuser ni justifier, cette tragédie est également le reflet d’une jeunesse désorientée, en quête de repères, souvent livrée à elle-même dans un monde où les cadres traditionnels vacillent, y compris la famille, parfois impuissante à encadrer, apaiser et reconstruire les liens intergénérationnels.

Au-delà, elle met en lumière un effondrement plus vaste: celui d’une société dans son ensemble, et de notre échec collectif à offrir un horizon clair.

D’aucuns minimiseront à volonté, évoqueront un élève troublé, un acte regrettable, voire inviteront, sur un ton péremptoire, à ne pas trop dramatiser. Il est pourtant grand temps de dépasser cette cécité confortable et de confronter la réalité, aussi dérangeante soit-elle.

Cette semaine encore, le périmètre du collège Salah Eddine Al-Ayyoubi à Meknès a été le théâtre d’un nouvel incident choquant: une élève de 15 ans a agressé quatre de ses camarades à l’arme blanche, semant la panique dans l’établissement.

Quelques jours seulement après le meurtre de Hajar, un agent de sécurité a été violemment agressé par un élève au collège El Aroui, dans la province de Nador.

Chaque jour, sur le groupe «Save Casablanca», qui compte plus de 350.000 membres sur Facebook, circulent des images d’agressions, banalisées à force de viralité, souvent perpétrées par des jeunes armés de sabres ou de couteaux, soulevant mille questions et pointant notre responsabilité collective, tous autant que nous sommes: familles, institutions, politiques, société, médias…

L’heure est à la sincérité, à une prise de conscience lucide et partagée, à une approche humaine des problèmes, loin des discours convenus et des statistiques froides.

Hajar n’était pas seulement une enseignante. Elle était une jeune femme dans la fleur de l’âge, une citoyenne engagée dans l’exercice de sa mission, porteuse de promesses d’avenir, fauchées en plein jour. Elle croyait, sans doute, au pouvoir des mots, au miracle de la transmission, à l’idée que chaque élève peut s’élever, dépasser ses limites et trouver sa voie…

Aujourd’hui, ce rêve s’est brisé, emportant avec lui une part de notre conscience, bien qu’il nous incombe, envers et contre tout, de faire en sorte qu’il continue de vivre.

Par Mouna Hachim
Le 19/04/2025 à 11h00

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