Depuis une semaine, la polémique sur la gestion des chiens errants fait rage. Le communiqué publié le 2 mai par le Collectif des associations de protection animale, de l’environnement et du développement durable, et dans lequel une trentaine d’ONG dénonçait «les abattages inhumains des canidés», a remis le sujet sous les projecteurs.
Depuis, les associations ont décidé de passer à la vitesse supérieure. Contactée par Le360, Laurence Lallement, présidente de l’association Cœur & ACT Ranch Beldi, l’un des porte-parole de ce collectif, révèle que «la déclaration signée par 45 associations de protection animale, a été officiellement déposée le mardi 9 mai au Palais royal, au ministère de l’Intérieur, au ministère de la Santé, au bureau du chef du gouvernement, et dans tous les départements ministériels concernés par cette question».
«Une image déplorable du Maroc»
Selon elle, ces abattages «effroyables» sont notés dans plusieurs villes du Maroc, particulièrement à Casablanca, Tétouan, et Marrakech. «On est en train de donner une image déplorable du Maroc. Les touristes, les organisations et les médias internationaux, informés de la situation depuis la parution de notre communiqué, sont choqués et indignés par cette situation», déplore notre interlocutrice.
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Outre l’arrêt de ces abattages, le Collectif réclame aussi la mise en œuvre de la technique « TNR », pour «Trap-Neuter-Return». Comprendre: attraper le chien, le stériliser, puis le relâcher, une méthode reconnue par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et l’Organisation mondiale de la santé animale (OMSA). «Une femelle non stérilisée peut enfanter une douzaine de chiots par an. L’abattage n’a jamais été une solution. La stérilisation avec la TNR empêchera au contraire la reproduction des chiens errants et limitera leur prolifération, sachant qu’ils vivent entre 4 et cinq ans an maximum», explique Dr Rachid Bagachoul, vétérinaire et président de l’Union marocaine de la protection des animaux (UMPA).
Un programme national de gestion canine
Les avantages de la méthode TNR, le gouvernement marocain en est bien conscient. En 2019, les ministères de la Santé et de l’Agriculture, l’Office national de sécurité sanitaire des produits alimentaires (ONSSA) et le Conseil de l’Ordre des vétérinaires du Maroc (OVM) avaient signé une convention-cadre pour sa mise en place, dans le cadre d’un programme national de gestion canine. Un budget de 60 millions de dirhams était même prévu pour la construction de dispensaires dans toutes les régions du Maroc pour y administrer les opérations de stérilisation.
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Quatre ans plus tard, les choses semblent au point mort. Il y a quelques semaines, des photos montrant des chiens morts dans des conditions horribles dans un refuge pour chats et chiens errants à Rabat, ont circulé sur les réseaux sociaux. Dévoilées par Omar Hayani, élu local à Rabat de la Fédération de la gauche démocratique (FGD), elles interrogeaient l’implémentation dudit programme national.
Lors d’une interview avec Le360, le vétérinaire Youssef Lhor, président de l’Association marocaine pour la protection de la nature et des animaux (AMPANA), avait démenti les accusations de maltraitance et indiqué que le dispensaire où les photos ont été prises, opérationnel depuis le 7 avril 2023, était aux normes.
Badre Tnacheri Ouazzani, président du Conseil national de l’ordre des vétérinaires du Maroc (OVM), assure quant à lui que ce dispensaire, qui doit couvrir les communes de Rabat, Salé et Témara, entre dans le cadre du programme national. Une convention relative à la gestion déléguée de cette infrastructure a été signée en février 2023, entre la Wilaya de Rabat, les préfectures de Rabat, Skhirat-Témara et Rabat, les communes de Rabat, Salé et Témara, et l’AMPA, lors de la session ordinaire du Conseil de la ville de Rabat. Un budget de 6 millions de dirhams a été dégagé pour 2023, soit 2 millions pour chaque commune.
Des expériences pilotes à Oujda, Berkane et Casablanca
Toutefois, il précise que l’OVM n’a pas encore été contacté par les responsables du dispensaire, dans le cadre de la gestion de cette structure. «Nous devons d’abord signer une convention avec les responsables de la structure avant d’y affecter des vétérinaires. Et au moment où je vous parle, cet accord n’a toujours pas été signé», confie-t-il.
Badre nous révèle que l’Ordre a signé une convention avec la commune d’Oujda pour la vaccination et la stérilisation des chiens dans les cabinets vétérinaires qui ont pu traiter 400 chiens en 2022. «Nous avons aussi paraphé une convention avec la commune de Berkane pour traiter les chiens errants dans des blocs de chirurgie et de stérilisation aménagés dans la fourrière de la ville, et avons entamé des négociations avec le Conseil régional d’Agadir qui est en train de construire un dispensaire», indique M. Tnacheri. L’OVM a également été contacté le 5 mai 2023 par la Société de développement local (SDL) Casa Baia pour l’aménagement de locaux de chirurgie et de stérilisation des chiens errants dans la fourrière de Casablanca.
Au passage, notre interlocuteur dédouane les vétérinaires de toute responsabilité dans le retard accusé du déploiement du programme national de gestion canine, et renvoie la balle aux autorités compétentes. «Nous sommes prêts et engagés pour faire réussir cette opération. L’Ordre a échangé avec les autorités sur les aspects juridiques et sanitaires de cette convention pendant deux ans, de 2017 à 2019», souligne-t-il.
Après les dénonciations, le Collectif des associations de protection animale propose des solutions pour accélérer la cadence. «Puisque tous les dispensaires ne sont pas encore opérationnels, nous demandons aux autorités de nous donner la possibilité de collaborer avec elles pour avancer dans ce programme. Beaucoup d’entre nous ont développé des programmes de stérilisation et des expériences qui faciliteront sa mise en œuvre», propose Laurence Lallement.
Des initiatives du tissu associatif
Effectivement, depuis plusieurs années, nombre d’associations ont initié des projets dédiés à la protection des animaux, principalement les chiens errants. Ainsi, l’UMPA, association d’utilité publique crée en 1907 vient en aide aux animaux en détresse, et dispose d’un refuge à Bouskoura, qui abrite une centaine de chiens. «Les personnes démunies ramènent leurs chiens pour des opérations de stérilisation. Nous recevons en moyenne une trentaine de chiens par semaine», révèle Dr Bagachoul.
Le Sanctuaire de la faune de Tanger (SFT), association créée depuis 2015 par Salima Kaddaoui, se dédie également au sauvetage des animaux, s’occupant notamment des chiens blessés qu’elle équipe de chariots roulants. Outre ses actions de sensibilisation dans les écoles, quartiers et universités de la ville du détroit, SFT récupère aussi des chiens errants, les vaccine, les stérilise et les déparasite dans le cadre d’un programme opportunément nommé «Hayat». «Depuis 2016, nous avons pu réaliser ce type d’opérations sur plus de 3.500 chiens. Des boucles jaunes, avec des numéros d’identification et le logo SFT, sont fixées à leurs oreilles, afin d’indiquer qu’ils ont subi la méthode TNR», indique-t-elle.
Un danger réel, mais évitable
Si les chiens des rues s’invitent régulièrement dans le débat public, c’est parce qu’ils peuvent constituer un réel danger pour la santé des populations. L’un des derniers faits divers confirmant cette réalité: le décès d’une fillette de 5 ans, dans la nuit du mardi 13 au mercredi 14 septembre 2022, après avoir été attaquée par une meute de chiens errants dans la commune de Drarga, dans la banlieue d’Agadir.
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Un mois plutôt, Sophie Hamada, une touriste française de 44 ans décédait des suites de blessures causées par des morsures de chiens des rues, dans la commune d’El Argoub, dans la région de Dakhla.
«Nous sommes conscients du danger et de la gravité des nuisances que peuvent constituer les chiens errants. Mais il faut expliquer à la population qu’un chien vacciné et stérilisé ne présente plus de danger pour la santé humaine. L’agressivité des chiens et la plupart des bagarres et aboiements sont liés à leur reproduction. Ces nuisances diminueront de manière considérable une fois que le programme de TNR sera mis en œuvre», rassure Laurence Lallement.