Grève nationale des infirmiers: un taux d’adhésion de «80%», les blouses blanches ne comptent rien lâcher

Quelque 4.000 infirmiers et techniciens de santé ont rejoint le sit-in organisé par le Syndicat indépendant des infirmiers, le 11 mai 2023 devant le Parlement.

Le 11/05/2023 à 21h21

VidéoLes infirmiers et techniciens de santé du Maroc ont célébré, ce jeudi 11 mai 2023, leur Journée internationale. Une célébration au goût de contestation, avec un sit-in devant le Parlement et une grève nationale. Ce débrayage intervient sur fond de tensions entre le ministère de la Santé et de la protection sociale et les blouses blanches qui réclament, parmi une longue liste de revendications, «la justice salariale».

Ce jeudi 11 mai, à l’occasion de leur journée internationale, les infirmiers et les techniciens de santé du Maroc ont décrété une grève nationale, en plus d’un sit-in devant le Parlement. Ce mouvement de protestation s’inscrit «dans la lutte de longue date et de longue haleine» que mènent ces cadres de la santé, fait savoir Mustapha Jaâ, président du Syndicat indépendant des infirmiers, l’organe syndical le plus représentatif du secteur.

Si le syndicaliste parle de «longue date», c’est que le dossier des revendications des infirmiers est long. Certaines, relatives à la réglementation de la profession ou encore aux conditions de travail, remontent à plusieurs années. Pour réclamer «leurs droits», 4.000 de ces professionnels de santé ont rejoint le sit-in organisé devant le Parlement, à Rabat.

La grève décrétée par les infirmiers dans l’ensemble des établissements de soins du Maroc a été, selon Mustapha Jaâ, «une vraie réussite». Ce dernier partage ainsi un «premier bilan», selon lequel le taux d’adhésion a atteint 80% à l’échelle nationale et 100% dans certains centres de soins. Le personnel des services d’accueil des urgences, notons-le, n’a pas été inclus dans cette grève.

Le dialogue social dans l’impasse

Ce débrayage n’est que la forme la plus récente des manifestations menées par les blouses blanches, qui ont organisé depuis le 13 avril dernier une série de sit-in devant les Directions régionales de la santé. «Aujourd’hui, nous continuons nos protestations en réponse à la politique des portes fermées du gouvernement face à nos revendications justes et légitimes, et à leur tête la revalorisation des salaires», clame le syndicaliste.

En effet, les pourparlers entre le gouvernement et le Syndicat indépendant des infirmiers portant sur la revalorisation des salaires sont en cours depuis bien des mois. Aucune entente n’ayant été atteinte après de nombreux rounds du dialogue social, les infirmiers ont décidé de recourir à d’autres moyens de pression pour revendiquer l’augmentation de leurs rémunérations, jugées aujourd’hui «maigres» et qui «ne correspondent ni à leurs compétences, ni aux tâches qu’ils exécutent».

«Nous continuerons cette lutte jusqu’à ce que nos demandes soient satisfaites», indique Mustapha Jaâ, soulignant qu’il s’agit de «mouvements de protestations que nous n’avons lancés qu’après que le gouvernement a choisi de fermer la porte du dialogue».

A la recherche d’une entente

«Nous avons tout fait pour essayer de trouver un terrain d’entente et nous avons proposé plusieurs solutions, en vain», regrette encore le syndicaliste. Durant ces multiples rounds de dialogue social avec les représentants des ministères de la Santé et de la protection sociale et de l’Economie et des finances, le syndicat des infirmiers a proposé plusieurs formules pour «sortir de l’impasse à moindre coût». Parmi celles-ci, figure la revalorisation des primes, notamment celles de risque, au lieu des salaires de base, fait savoir Mustapha Jaâ.

Ce dernier estime qu’il s’agit d’une «proposition raisonnable» pouvant faire la base d’un «terrain d’entente», rappelant que les infirmiers ont été exclus de la revalorisation salariale, dont ont bénéficié les médecins et les administrateurs dans le cadre de l’accord signé le 24 février 2022 avec le gouvernement. Un accord que le Syndicat avait, à l’époque, rejeté.

«Après les sacrifices et les efforts consentis pendant la pandémie de la Covid-19, nous nous attendions à la reconnaissance du rôle et des compétences des infirmiers et des techniciens de santé, mais ce ne fut malheureusement pas le cas», se remémore-t-il, non sans amertume. «Les infirmiers ont fait toutes les concessions possibles, afin de continuer à exécuter leurs missions et servir les citoyens.»

Un écart «injustifiable» et «inacceptable»

Pour le Syndicat indépendant des infirmiers, l’écart entre la prime de risque allouée aux infirmiers et aux techniciens de santé et celle perçue par d’autres catégories de professionnels de la santé est «aussi injuste qu’injustifiable», explique Abdellah Mairouche, membre du bureau national de la même organisation syndicale. «Toutes les personnes qui travaillent dans un hôpital sont exposées de la même manière aux risques sanitaires. Pourquoi alors les infirmiers, qui sont en première ligne, perçoivent-ils une indemnité largement inférieure à celle des médecins par exemple?», tonne notre interlocuteur.

Et d’illustrer par les chiffres l’écart entre les deux catégories: la prime de risque mensuelle versée aux médecins peut aller jusqu’à 5.900 dirhams, alors que celle perçue par les infirmiers et les techniciens de santé ne dépasse pas les 1.400 dirhams. «Cet écart de 4.500 dirhams, passant du simple au quadruple entre les deux montants, n’a aucune explication légitime», s’indigne Abdellah Mairouche.

Outre la revalorisation de leur prime de risque, les infirmiers réclament l’augmentation de l’indemnité de garde et d’astreinte. «La majorité des infirmiers et des techniciens de santé remplissent trois autres rôles en plus de leurs fonctions officielles. C’est une charge additionnelle de travail qui doit être mieux rémunérée», affirme Abdellah Mairouche. Idem pour la prime d’encadrement, limitée à 400 dirhams une fois que le professionnel accède à l’échelle 10, échelon 6, alors que «tout au long de son parcours, un infirmier peut former des centaines d’étudiants en soins infirmiers», proteste-t-il.

700 millions de dirhams pour sortir de l’impasse

Ces revalorisations des primes «ne changent pas grand-chose» pour les infirmiers mais rapprocheront leurs salaires des niveaux «acceptables», commente, pour sa part, Mustapha Jaâ, avant de souligner que «l’acceptation de cette proposition constituera surtout un signe de bonne volonté de la part du gouvernement».

Mais le gouvernement n’a pas accepté cette proposition. Si le ministère de la Santé et de la protection sociale était prêt à aller de l’avant, afin de mettre fin à la «congestion» dans les rangs de ces blouses blanches, celui de l’Economie et des finances a «opposé son veto». Et pour cause: la revalorisation générale des primes des infirmiers et des techniciens de santé coûterait aux caisses de l’Etat environ 700 millions de dirhams. «Versée sur deux ans, ça coûtera 350 millions de dirhams par an pour augmenter les salaires d’un effectif de plus de 31.000 infirmiers et techniciens du ministère», souligne Mustapha Jaâ.

Pour nos deux responsables syndicaux, «le gouvernement n’est pas prêt à payer ce coût pour rendre aux infirmiers leur dignité et acheter la paix sociale». Ils rappellent ainsi que la revalorisation des salaires des médecins et d’autres catégories des effectifs du ministère, en vertu de l’accord du 24 février 2022, a coûté à l’Etat 1,5 milliard de dirhams.

Alors que la grève de ce jeudi touche à sa fin, le syndicat assure qu’infirmiers et techniciens de santé sont plus que jamais déterminés «à continuer leur mouvement de protestation et à utiliser tous les moyens légaux pour faire valoir leurs droits».

Par Lina Ibriz
Le 11/05/2023 à 21h21