Le premier juillet 2024, lors de la finale de la coupe du trône opposant l’AS FAR au Raja Casablanca, une image assez choquante mais malheureusement pas inhabituelle a circulé sur les réseaux, notamment Facebook, Instagram et X. Sur cette image, un groupe d’ultras de l’AS FAR, composé de 8 jeunes hommes, prennent la pose, exhibant différentes armes blanches, et ce, sur l’autoroute vers Agadir. Lorsqu’auparavant, en déplacement, ce qu’il fallait avoir sur soi se résumait à quelques objets souvenirs de son club favori, de nos jours c’est comme ça que certains jeunes se préparent aux matchs de foot. Le pire, dans tout ça, est qu’ils ne s’en cachent pas mais tiennent même à partager ce contenu qui sème la zizanie, d’abord sur les réseaux, puis qui prend plus d’ampleur en face à face lors des rencontres.
Comment les réseaux sociaux participent-t-ils à ce dérapage?
«Les réseaux sociaux jouent un rôle d’amplification et de contagion», déclare d’emblée Moncef Lyazghi, spécialiste en politique sportive. «Une minorité de discours violents, autrefois restreinte et contrôlable, utilise aujourd’hui les réseaux sociaux pour propager ses idées. Cette minorité, souvent violente, intolérante et complotiste, crée l’illusion d’un discours majoritaire, influençant ainsi une autre partie du public et créant un effet boule de neige qui est difficile à stopper», ajoute-t-il.
Selon lui, les groupes de supporters utilisent les réseaux sociaux pour se provoquer mutuellement, et pour ce faire ils ne manquent pas d’imagination: des extraits de vidéos bien choisis dévalorisant l’équipe adverse et ses supporters, des chants comportant des insultes… tout cela participe à créer un climat de tentions propice à des explosions de violences le jour des matchs. Sans oublier que les réseaux sociaux servent d’outils à ces hooligans pour organiser des déplacements en masse, souvent dangereux et sans conditions de sécurité.
Lire aussi : Hooliganisme 2.0: Réseaux Sociaux, les nouveaux gradins du fanatisme sportif
L’expert en politique sportive insiste également sur le rôle crucial des associations dans l’encadrement du public pour contrer les effets négatifs des réseaux sociaux. Une seule page influente peut saboter les efforts de l’État et des autres protagonistes pour combattre la violence. D’ailleurs, la législation existante, comme la loi n° 09-09 visant à lutter contre la violence lors des manifestations sportives, nécessite une mise en application plus rigoureuse. «Certaines dispositions de la loi, comme l’interdiction d’accès des stades aux mineurs non accompagnés, n’ont pas été mises en place», déplore Lyazghi.
Abderrahim Bourkia, auteur du livre «Des ultras dans la ville», analyse de son côté le rapport des groupes ultras à la violence et la manière dont les réseaux sociaux exacerbent ce phénomène. «Les ultras ont un rapport ambivalent à la violence, aucun groupe ultra n’exclut son usage», explique-t-il. En d’autres termes, la violence est à la fois marginale et centrale, codifiée dans leurs activités. Pour asseoir une réputation, les scènes de violence sont filmées puis postées sur les réseaux sociaux. Certains profils comptent des milliers de suiveurs et de commentateurs approbateurs. «Comme ça, la violence est stylisée, et son caractère ritualisé et symbolique donne aux protagonistes un rôle de prestige», souligne le sociologue. Ceux qui subissent l’humiliation cherchent, selon lui, à se venger, déclenchant ainsi un cycle infini de vendetta et de réparation des dommages pour laver l’honneur.
Lire aussi : Football: le virus du hooliganisme est de retour
Marouane Harmach, expert des réseaux sociaux, rejoint ces analyses en expliquant que «les réseaux sociaux ne créent pas la violence mais l’amplifient, agissant comme un miroir déformant de la société». «En effet, ils facilitent la mise en scène et la banalisation de comportements agressifs notamment à travers la rapidité de diffusion d’informations et la mobilisation instantanée des individus, amplifiant ainsi les tensions existantes et transformant parfois les stades en terrains propices à l’affrontement», précise-t-il.
Il y a aussi l’effet cockpit, une donne qui revient dans plusieurs études sociologiques. Il s’agit de l’anonymat qu’offre les réseaux sociaux et qui donne du courage mal placé à certains individus pour ressortir la pire version d’eux-mêmes, ce qui s’étend par la suite jusqu’à la vie réelle.
Lire aussi : Hooliganisme: voici ce qui est attendu des futures commissions locales
«La mobilisation rapide à travers les réseaux, la scénarisation de la violence et le discours de la haine présent dessus constituent les 3 ingrédients du cocktail explosif qui développe ce phénomène de hooliganisme», conclut l’expert des réseaux.
S’il y a bien un point sur lequel nos interlocuteurs sont tous d’accord, c’est que «pour créer un environnement sportif sain et respectueux, il est impératif de renforcer la responsabilité sociale et éducative», notamment parmi les jeunes. Les médias, les clubs et les associations doivent s’impliquer davantage dans le débat sur la violence sportive. Une approche combinant éducation, régulation, et sensibilisation pourrait ainsi atténuer la part de responsabilité des réseaux sociaux dans l’amplification du hooliganisme. Une surveillance proactive en matière de cybersécurité serait sans doute aussi une solution clé pour minimiser l’impact des réseaux sur ce fléau et préserver l’esprit festif des manifestations sportives.