Et la vie reprend ses droits. Imbattable, irréfutable, inévitable, la vie prend le dessus sur l’effroi, sur l’émotion, le désarroi, l’incompréhension et l’immense chagrin, sur le désespoir et le choc.
Voltaire écrivait en 1755, au lendemain du séisme qui avait frappé Lisbonne (séisme ressenti au Maroc): «Ces débris, ces lambeaux, ces cendres malheureuses (…) quel crime, quelle faute ont commis ces enfants? (…) Ces femmes, ces enfants l’un sur l’autre entassés / Sous ces membres rompus, ces membres dispersés / Cent mille infortunés que la terre dévore…»
Quelle que soit l’époque, nous avons tous besoin de consolation, et comme Voltaire le précise: «Ma plainte est innocente et mes cris légitimes». Telle est la fonction du philosophe et du poète.
On se souvient de l’extraordinaire et long poème qu’écrivit Mohammed Khaïr-Eddine, intitulé «Agadir», publié d’abord dans la revue Esprit, puis en volume aux éditions du Seuil en 1967.
Né à Tafraoute en 1941, ce fut sa réponse, lui, enfant de la région meurtrie, avait trouvé les mots pour dire «Agadir» et la catastrophe.
La lecture aujourd’hui de ce texte prend une dimension symbolique. Khaïr-Eddine témoigne. Il fait fonction de poète. Il a écrit ce poème dans l’urgence de dire et de réfléchir. Ce texte le hantera jusqu’à sa mort en 1995.
Kahina Hammoudi, écrit sur le site Agadirnet.com une analyse de ce texte qu’elle qualifie de «roman»:
«Touché par le séisme, le jeune poète fait de son œuvre le symbole majeur de toutes les remises en question et de tous les chaos individuels et collectifs. La trame de cette œuvre raconte, sans surprise, l’histoire d’un fonctionnaire chargé, lui aussi, d’enquêter auprès de la population de cette ville.
De décrire l’état des lieux et de regrouper les requêtes des habitants. Le narrateur, qui se définit dans le roman comme “moi”, s’établit entre ces gravats et ces ruines. Il a pu, ainsi, voir la souffrance de ces gens, leur désarroi et leur révolte.»
Et la vie reprend ou doit reprendre.
Ce qui a été détruit en quelques secondes demande des années pour se reconstruire. C’est l’occasion de revoir l’habitat rural dans les autres régions du pays. Difficile de convaincre les paysans de changer d’habitudes et de coutumes. On sait à présent que tout le pays, du nord au sud, est traversé par des failles pouvant à tout moment provoquer un séisme.
Les constructions en ville sont faites en principe selon les règles antisismiques. Mais les constructions dans les campagnes ne sont ni solides ni confortables.
C’est une révolution qu’il faudrait opérer: réinventer un habitat qui soit de qualité et surtout avec des fondations qui se consolident avec le système antisismique.
Il en est de même pour toutes ces maisons aux alentours des villes, construites à la hâte, n’importe comment, remplaçant souvent des bidonvilles. Voyez les environs de Tanger. Des maisonnettes entassées les unes sur les autres. Souvent illégales, souvent improvisées.
La solidarité de tous a été, de l’avis des observateurs, extraordinaire. Tel est le génie des Marocains. Non seulement ils sont attachés à leur pays, mais dès qu’il est blessé, ils accourent de partout pour le soigner, l’aider à se relever. Qu’ils soient des MRE ou vivant sur place, ils ont tous participé d’une façon ou d’une autre aux secours.
À présent, il va falloir que la solidarité persiste et suive les efforts de reconstitution. L’humain, surtout, a besoin d’être réparé. Je pense aux orphelins, aux veuves, aux hommes qui ont survécu tout en ayant perdu tous les membres de leurs familles. Une dame disait dans un des reportages: j’aurais dû mourir que de vivre aujourd’hui sans mes enfants, sans leur père, sans notre foyer.
Le malheur du séisme est que, malgré la fulgurance de sa brièveté, il laisse des blessures physiques et morales que l’être humain met très longtemps à fermer, à oublier, à accepter. L’onde de choc se perpétue à l’infini. Elle n’épargne personne. C’est ce que déplorait Voltaire et aussi Jean-Jacques Rousseau après le tremblement de terre de Lisbonne. Les deux auteurs ont dialogué sur la fatalité, sur l’injustice, sur l’incompréhension du drame.
Deux cent soixante-huit ans plus tard, nous nous posons les mêmes questions et nous n’avons pas de réponses.