L’affaire du hamster kidnappé à Azemmour

Fouad Laroui.

ChroniqueQuant à moi, assis sur une chaise au fond du riad, silencieux, observant tous ces va-et-vient, je me posais in petto une seule question: comment tous ces gens-là, les mioches, Brahim, les flics, etc., savaient-ils que nous nous trouvions dans le riad Bendahou?

Le 21/02/2024 à 11h00

On évoque souvent dans ces colonnes des sujets graves, la guerre, le réchauffement climatique, l’effondrement de la biodiversité, l’avenir de l’univers, etc. Mais il n’y a pas que ça dans l’existence. Il y a aussi des anecdotes a priori sans importance, des choses à peine entr’aperçues, des ‘vies minuscules’, comme dirait Pierre Michon; et de chacun de ces non-évènements, il y a pourtant des leçons à tirer.

À propos de vie minuscule, parlons donc d’un hamster à peine plus gros qu’une balle de tennis et qui fut kidnappé samedi dernier à Azemmour.

Or donc, la famille était réunie pour fêter l’anniversaire de ma petite nièce Lina (8 ans) dans le joli riad Bendahou. Ma sœur, ayant fait l’acquisition d’un hamster pour l’offrir à Lina, le laissa dans sa voiture, sous les remparts, pour ne pas gâcher la surprise. Elle prit garde à ce qu’une vitre restât entr’ouverte pour que le cricétidé ne mourût pas avant même que d’avoir réjoui l’enfant.

Mais voilà qu’on toque à la porte du riad. Trois mioches braillent à qui mieux mieux:

Médème, médème, le gardien du parking, Brahim, a volé ta souris!

Il appert que ledit Brahim a passé le bras par la vitre entr’ouverte et a embarqué la petite cage ainsi qu’une paire d’espadrilles roses qui était posée dessus.

Mon frère aîné va immédiatement au poste de police signaler le larcin. Les archers connaissent tous les gardiens de parking et tiennent donc à rectifier: Brahim est le gardien de nuit. Mon frère s’étonne:

- Il garde la nuit et vole le jour?

C’est dit poétiquement -on dirait du Rimbaud- mais les policiers acquiescent; et ils promettent qu’ils vont débusquer l’individu, fût-il planqué dans une tazota.

Entretemps, ignorant que la force publique est à ses trousses, ledit Brahim toque à son tour à la porte du riad. À ma sœur médusée, qui lui a ouvert, il annonce fièrement:

- Médème, des sales gosses avaient volé ta souris, je les ai attrapés, voici l’animal.

Et il tend la cage d’une main tout en allongeant l’autre, d’un geste qui suggère que son acte héroïque doit être récompensé. Ma sœur, sidérée, murmure:

- Il y avait aussi des espadrilles roses…

- Je les ai mises à l’abri, je file les chercher, répond l’autre, sans bouger d’un millimètre.

Mon frère cadet lui allonge un billet de 50 dirhams, le preux s’en va vers son destin, on referme la porte. Pas pour longtemps. Toc toc! Cette fois-ci, c’est un brigadi:

- Nous venons de mettre la main sur Brahim, en flagrant délit puisqu’il se dirigeait vers ici avec, à la main, les tennis roses dont vous aviez signalé le vol. Les voici.

- Oui, m’sieur l’agent, mais nous avons aussi récupéré le hamster (bien traumatisé, le pauvre), nous retirons notre plainte. Oublions toute l’affaire.

- C’est noté. Mais nous n’en avons pas fini avec lui, nous.

Comme dans un roman d’Agatha Christie, le déjeuner d’anniversaire fut entièrement consacré à l’élucidation de la ténébreuse énigme que nous venions de vivre. Brahim le gardien avait-il tout manigancé dès le début? (Je kidnappe cette bestiole puis je la rends, contre récompense, en faisant croire que je l’ai libérée des griffes d’un sinistre gang de mioches.) Ou bien avait-il changé de plan en route? (Hé, hé, il doit y avoir une fortune dans cette voiture… Oh là? Juste une souris et des pointes roses qui ne sont même pas de ma taille? Hmmmm… Je vais leur rendre le rongeur en réclamant une rançon.) Ou bien s’était-il aperçu que des enfants l’avaient dénoncé et avait-il élaboré un plan machiavélique? (Damned! Je suis foutu… Mettons tout sur le dos de ces sales morpions.)

Quant à moi, assis sur une chaise au fond du riad, silencieux, observant tous ces va-et-vient, je me posais in petto une seule question: comment tous ces gens-là, les mioches, Brahim, les flics, etc., savaient-ils que nous nous trouvions dans le riad Bendahou?

Question subsidiaire: l’intense contrôle social (la famille, les voisins, l’épicier, le m’qaddem, les mouchards...), qui est l’une des caractéristiques de notre beau pays, est-il une bonne ou une mauvaise chose?

Par Fouad Laroui
Le 21/02/2024 à 11h00

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J'ai toujours pensé qu'un roman est : un peu de réalité et beaucoup d'imagination. En lisant les billets du Professeur Laroui , traitant de notre quotidien,je deviens presque convaincu que,chez nous,on peut écrire un roman fantastique rien qu'en transcrivant la réalité dans des mots ! A la limite, l'auteur n'a pas besoin de beaucoup d'imagination pour rendre son récit accrochant ! La réalité brute offre des scènes que même l'imagination,pourtant réputée être sans contrainte,ne peut produire.

Bonsoir Monsieur Driss. Bien vu! Cordialement.

Si Laaroui sans le vouloir, nous conte une anecdote d’une scène à Azemmour digne d’une nouvelle romantique à la Victor Hugo. Celebration dans les riads et magouilles dans les parkings. Il aurait du allonger sa Nouvelles aux ferrachas et aux mendiants agresseurs devant les guichets des distributeurs automatiques.

Merci pour cette anecdote aux multiples rebondissements. C’est divertissant mais c’est aussi instructif..,

Bjr professeur!Votre beau récit me rappelle le film"Life of Pi:l'odyssée de Pi"où le narrateur propose différentes versions de son histoire au journaliste et au spectateur médusés.Votre anecdote me fait penser aussi au monsieur qui venait faire une déclaration de perte de son...chiot qui était sorti sans revenir.Le policier qui l'écoutait calmement au début,le renvoie en vociférant:"On a fini de chercher les personnes disparues,il ne nous que les cabots!"C'était vraiment à mourir de rire.Mais plaisanterie à part,le nombre de voleurs et d'escrocs ne cesse d'augmenter.Qelles en sont les raisons?La chèreté de la vie?Le chômage?La passivité,la paresse ou la recherche de l'argent facile?Who knows?Quant aux"Bergagas",il y en a de plus en plus,et on ne peut rien y faire.Merci de nous amuser.Salut

Excellent ; comme d'habitude... Quel Humour, quel finesse

👍 🤣 Un dicton marocain dit " ديرها غير زينة " très difficile à traduire, pour une raison simple, aucune traduction ne peut traduire fidèlement le sens ! ... c'est exclusivement marocain et ça ne peut être compris que par les Marocains ! ... qui veut dire : quoi que tu fasses ça se saura ... d'où "fais-la au moins bonne" qui est la traduction littérale du dicton ! ... Merci

Rebonsoir Monsieur Hamdaoui. Je suis né et j'ai grandi dans une ville du Sud où tout le monde savait tout sur tout le monde, et c'est toujours le cas aujourd'hui malgré le renouvellement de génération. Ce qui est amusant, c'est que tout le monde s'en fout et vit sa vie, mais tout le monde y participe. C'est une véritable passion, un réseau social avant l'heure et sans moyen technologique, juste le fameux téléphone arabe. Mais comme dit Amélie Nothomb, il y a pire que l'indiscrétion, il y a ceux qui se croient autoriser à châtier les indiscrets. Cordialement.

Faut vivre sa vie et ignorer les "qu'en dira-t-on" , les intrusions forcées dans votre vie privée et la Mouchardise ! ... Mais, pour ça, faut avoir l'esprit je-m'enfoutiste local ! Tous ceux qui ont vécu longtemps ailleurs, vont bcp souffrir ! Merci

Bonsoir Monsieur Hamdaoui. D'après Nietzsche, celui qui ne veut agir et parler qu'avec justesse finit par ne rien faire du tout. Cordialement.

Bjr Hamdaoui!Une proposition de traduction au fameux dicton intraduisible:"Que ton action,si action il y a, soit au moins bonne." Cordialement!

Désopilant… mais posant une vraie question.

Ne dit-on pas chez nous : "une once d’encens vaporise tout le quartier", pour ne pas dire toute la ville 😊 Joyeux anniversaire à la nièce. Ça devrait être un jour mémorable son 8ème 🎊🎉

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