Alors que se sont tenues, hier à Rabat, les premières Assises du féminisme au Maroc, organisées par l’Association pour la promotion de la culture de l’égalité (APCE) et réunissant toutes les ténors et seniors du mouvement, le Collectif 490, qui rassemble sous sa bannière les «Moroccan Outlaws», a annoncé ce matin le refus de la justice de reconnaître son statut d’association, alors que ce collectif a tant fait ces dernières années pour les libertés fondamentales et les droits des femmes.
C’est à cette association, portée par des jeunes gens de tous bords, que l’on doit la médiatisation du chantage sexuel qui régnait dans certains établissements d’enseignement supérieur au Maroc, laquelle a abouti à la naissance d’un MeToo universitaire. Grâce à leur travail et à la confiance qu’ils ont su inspirer aux jeunes générations, la parole des victimes a pu enfin être portée auprès du grand public. Grâce, enfin, à leur emploi des canaux de communication actuels, ils ont aussi permis de débusquer les dérives de bon nombre d’influenceurs qui sévissaient sur YouTube, TikTok et autres plateformes et banalisaient la culture du viol, du harcèlement et autres calamités.
Il y a 15 ans déjà au Maroc, les jeunes filles se désintéressaient des discours portés par les mouvements féministes et incarnés par des femmes qui avaient l’âge de leurs mères ou de leurs grands-mères. On remarquait alors ce phénomène dans le lectorat vieillissant des magazines féminins, qui ne sont pas parvenus à capter l’attention des jeunes lectrices et affichent aujourd’hui un électrocardiogramme d’une platitude alarmante. Quant aux jeunes hommes, déjà conscients de la notion d’égalité des sexes, ils ne comprenaient pas pourquoi on les tenait à l’écart de ces combats qui les concernent pourtant eux aussi. Aujourd’hui, le constat est le même. Les associations féministes d’antan sont toujours là, leurs représentantes aussi, militant dans un entre-soi hermétique à la jeunesse, tandis que sur une ligne invisible parallèle, la jeunesse s’est, elle aussi, engagée, mais autrement et sur différents canaux.
Le combat pour les droits des femmes et l’égalité des sexes peut-il évoluer dans le bon sens et survivre sur le long terme s’il continue de défier le temps? C’est la question qu’on se pose.
Car on ne parle plus des droits des femmes de la même manière pour la simple raison qu’on ne se conçoit plus en tant que femme de la même manière. On parle d’égalité des sexes car on a compris que ce combat impliquait autant les hommes que les femmes et qu’il était temps de sortir de ce carcan qui diabolise l’homme pour mieux victimiser la femme.
Aujourd’hui, la jeune génération parle avec autant d’aisance des droits des femmes que de ceux des LGBTQ+. Nous avons beau vivre dans une société majoritairement musulmane, cela n’y change rien, car ce que tait l’éducation à la maison, la cour d’école, les médias et les réseaux sociaux se chargent de le divulguer au grand jour et de le banaliser. Pendant ce temps-là, les doyennes du mouvement continuent de communiquer de la même manière, sur les mêmes sujets, dans des salles de conférence, devant un pareterre réduit de journalistes et d’officiels, alors qu’aujourd’hui, le terrain de jeu du militantisme se trouve sur les réseaux sociaux et mise sur la force de l’image, de l’influence et le pouvoir de la viralité pour faire porter son discours.
Aujourd’hui, si on lutte encore pour remporter des combats toujours pas aboutis – plafonds de verre, inégalités dans les salaires, droit à l’avortement, etc. – nos enfants portent un autre regard sur le monde.
Biberonnés à la culture de l’égalité des sexes, très exposés aux questionnements sur le genre, les adolescents d’aujourd’hui sont particulièrement conscients de sujets qui nous étaient parfaitement étrangers, à nous qui sommes encore nombreux à pouvoir témoigner de périodes pas si lointaines où les femmes n’avaient pas le droit de vote. C’est en fait en éduquant nos enfants que l’on prend la pleine mesure de la place qu’occupe le sexe dans la question des droits et dans la notion même d’égalité.
Grandissant et évoluant dans une société hypersexualisée, où les téléréalités ont participé à la vulgarisation de la culture porno, exposés à des contenus violents dont on ne mesure pas encore l’impact, nos enfants à peine entrés dans la puberté sont sensibilisés dans le même temps à l’importance de la notion de consentement, aux dangers du harcèlement sexuel et du revenge porn, au respect des différents genres sexuels… Cet aspect-là de notre société, qui évolue avec son temps et ses nouvelles technologies, est quasi inexistant du discours militant traditionnel. Pourtant, le sexe et la sexualité ne peuvent en aucun cas être dissociés de la notion d’égalité.
Voilà qui pose problème dans une société marocaine où le sexe est encore considéré comme un tabou par les plus âgés et se trouve de plus en plus banalisé entre jeunes, sans pour autant être pleinement assumé, car toujours frappé du sceau de l’illégalité. Il y a quelques jours, lors d’un micro-trottoir réalisé par un média arabophone, à la question «pourquoi les Marocains se marient-ils de moins en moins?», un jeune homme a donné la réponse suivante, qui en dit long: «Pourquoi voulez-vous que je fasse entrer le wifi à la maison si j’ai une connexion gratuite dehors?»
Certains seront prompts à voir dans cette réponse très franche les dérives de la débauche sexuelle, la fin du modèle familial traditionnel et la diabolisation d’un modèle occidental trop permissif qui va à l’encontre des préceptes de la religion musulmane. Mais, ce dont elle atteste assurément, c’est du changement des mœurs et d’un mode de vie qui ne date pas d’hier.
Comment accompagner ces voix-là, qui ne se taisent plus, sur le chemin de l’épanouissement et non du tabou et de l’interdit? Une question qui se doit d’être à l’ordre du jour des débats actuels, pour ne pas rater le train déjà en marche et continuer à entretenir ce décalage de plus en plus grand entre mentalités et générations.