Depuis l’avènement du féminisme au Maroc, la notion de laïcité s’est toujours invitée dans le débat, rendant ardu le dialogue entre défenseurs de la foi musulmane et défenseurs des libertés et de la modernité, comme si ces deux notions étaient contradictoires.
Mais le sont-elles vraiment? Peut-on être une femme, musulmane, non laïque et pour autant féministe?
Une question qui divise et qui fâche aujourd’hui encore. Quand on mentionne le féminisme islamique, le scepticisme est de rigueur tant ces deux termes semblent antinomiques.
Comment peut-on être féministe et musulmane?Pour Asma Lamrabet, essayiste et ancienne Directrice du Centre des Etudes Féminines en Islam au sein de la Rabita Mohammadia des ulémas du Maroc, la réponse est oui. Ce sujet qui lui est cher, elle ena parlé avec brio lors d’une Conférence donnée en marge du Premier Congrès Mondial des Musulmans Hispanophones à Séville.
«Le féminisme en question ici est différent idéologiquement parlant de celui prônée par une occidentalisation forcenée de la féminité… Il sera similaire par contre en terme de revendications de droits… C’est que nous sommes obligées d’utiliser le vocabulaire déjà en vogue pour pouvoir être comprises…», annonce-t-elle d’emblée mettant le doigt sur un problème sociétal majeur au Maroc et dans les pays arabo-musulmans.
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Comment adhérer à un mouvement féministe quand celui-ci a été créé selon un modèle de société laïc? Comment se revendiquer une appartenance féministe sans pour autant adhérer à la laïcité? Et de fait, peut-on parler de féminisme quand on prône des valeurs religieuses qui vont à l’encontre des fondamentaux du féminisme?
Au Maroc, les féministes se divisent en plusieurs mouvances.
-D’un côté, les intellectuelles musulmanes qui se revendiquent d’un universalisme féministe commun qui, comme le souligne Lamrabet, «s’aligneront sur un mouvement pro-occidental forcément laïque et qui se veut, libéré de toute connotation religieuse».
-De l’autre, les féministes islamiques dont le but «sera de militer pour les droits des femmes musulmanes, de l’intérieur de l’Islam en tant que religion, mode de vie, selon une vision globalisante et contemporaine…».
Pour ces femmes religieuses, l’Islam n’est pas considéré comme une religion machiste et liberticide, bien au contraire, elles voient dans la religion musulmane un message émancipateur. Ce qui pose problème, c’est sa lecture patriarcale.
Les mal-aimées d’une société en mal de repèresLa foi affichée et incontestable de ces femmes n’en fait pas pour autant des femmes intégrées dans leur entourage. En effet, si elles ne correspondent pas à la définition de la féministe laïque, elles ne correspondent pas non plus à celle que l’on attribue à une femme musulmane pieuse et donc soumise selon la vision machiste et culturelle que se font certains de la religion musulmane.
La nouvelle problématique qui se pose alors est de taille. Comment ne pas confondre «soumission au Créateur avec la soumission aux êtres et respect des principes religieux avec respect des principes relevant de la tradition culturelle», souligne Lamrabet.
Unique solution, une nouvelle lecture de l’Islam pour mettre en lumière les droits des femmes qui y figurent.
Et d’expliquer au passage que «toute la littérature religieuse islamique abonde d’exemples de femmes qui à la lumière de notre modernité seraient des "féministes" d’avant-garde: Aicha épouse du prophète, femme savante, exégète, politicienne, qui en plus d’avoir réglementé une grande partie de la Sunna a exercé durant 40 ans la fonction de Mufti, notons en passant que le terme au féminin n’existe pas en arabe, alors qu’elle a été parmi les premières à l’avoir personnifié…».
Et des exemples tels que celui-ci, l’histoire religieuse en regorge, témoignant de femmes fortes, importantes, qui traitaient d’égales à égales avec les hommes.
Aujourd’hui, il s’agit donc pour les féministes islamiques de revisiter leur histoire en faisant preuve d’esprit critique.
«La foi passive ne sera d’aucune utilité à notre émancipation islamique. Il faudrait savoir lutter activement pour ces droits islamiques inaliénables qu’on ne cesse de rabâcher mais qui ne seront concrets que lorsque ces mêmes femmes feront l’effort de les revendiquer haut et fort…», poursuit Asma Lamrabet.
Un positionnement qui déplait, tant sous nos cieux qu’en Occident, où ce type de militantisme pose problème du fait qu’il ne se plie pas aux stéréotypes exotiques dans lesquels on se plaît à enfermer la femme musulmane et qu’il ne cherche pas une solution, une échappatoire dans un modèle occidental.
Un petit tour du côté des médias français s’avère probant. Médiatisées à souhait, des femmes arabes qui rejettent l’Islam en l’assimilant à une religion rétrograde, liberticide et anti féministe, de l’autre, des exemples de femmes musulmanes, voilées, soumises et donc victimes.
Et ce débat sur fond d’opposition entre femmes se joue tout au long de l’année. A la rentrée scolaire pour fustiger les mères voilées qui accompagnent leur enfant à l’école, en été, dans les piscines publiques, où des hordes de femmes voilées prennent d’assaut les bassins pour revendiquer leur droit de se baigner.
Mais cette vision négative à l’encontre des femmes, nombreuses sont celles qui vont s’y rallier, faute de débat ouvert dans une société où on continue d’opposer modernité et sacré.
L’affaire Hajar Raissouni: débat sociétal ou crise de foi?L’avortement médiatisé de la journaliste Hajar Raissouni en dit long sur le sujet du féminisme, qu’il soit laïc ou islamiste, et se fait l’écho de cette guerre sourde entre modernistes et protecteurs de la foi.
Reniée non sans surprise par la jeunesse du PJD, parti dont elle partage pourtant l’idéologie, lâchée par les partis politiques dits modernistes murés dans le silence à l’exception du PPS, la jeune femme a pourtant trouvé un soutien de taille, et pour le moins inattendu, du côté d’Amina Maelainine, députée Pjdiste.
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Outre leur filiation idéologique, les deux femmes ont en commun d’avoir vu leur vie privée exposée sur les réseaux sociaux, et de ce fait d’avoir subi la violence des commentaires de parfaits inconnus sur ce qui relève de la vie privée. Mais au-delà de ça, ces «fuites» ont surtout mis en lumière, bien malgré ces jeunes femmes, une vie privée qui tranche sérieusement avec des comportements et des propos de façade.
Amina Maelainine, libre et dévoilée en France, voilée et conservatrice au Maroc, a donc volé au secours de Hajar Raissouni en se fendant d’un post sur facebook pour le moins surprenant dans lequel elle prône l’importance des libertés individuelles en invitant les membres de son parti à se pencher sur la question.
«Je suis convaincue aujourd’hui que ces lois, qui datent des années 60, sont obsolètes et doivent être réexaminées en profondeur, à la lumière des principes d’un Etat des droits et des libertés. L’ouverture d’un dialogue cadré doit se faire loin de certaines accusations concernant la loi islamique», explique-t-elle en ajoutant que l’abrogation de ces lois n’est pas contraire à la religion et n’encourage d’ailleurs pas pour autant la débauche.
Et d’exprimer sa consternation face à ceux qui considèrent que le débat sur lois régissant les libertés individuelles est un complot contre l’islam, voire un appel à la dépravation.
«Pourtant, l’islam n’a jamais encouragé l’indiscrétion et l’envahissement de l’espace privé. Le débat autour de ce sujet est encore tabou chez les islamistes qui se mettent en colère à chaque fois que le sujet fait surface. L’égalité entre hommes et femmes, au Maroc a été, elle aussi censurée, et pendant plusieurs années. Aujourd’hui, ce sujet est désormais sur toutes les langues» ajoute-t-elle avant d’inviter le PJD à «s’armer de courage et de responsabilité pour ouvrir ce genre de débats sans attendre une intervention royale».
Amina Maelainine, nouvel apôtre du féminisme islamique?C’est la question qui se pose à la lecture de son post… Il semblerait que oui, contre toute attente. Après tout, tout le monde a le droit de changer à condition que ce changement ne soit pas un énième retournement de veste à des fins politiques.
Mais quelles que soient ses visées, la députée a le mérite, cette fois-ci, de tenter de faire bouger les choses dans un parti réfractaire à l’idée du changement, notamment quand celui-ci concerne les femmes.