Le Maroc échappera-t-il au piège de la transition?

Fouad Laroui.

Fouad Laroui.

ChroniqueIl faut modifier en profondeur le pays, en portant les efforts sur deux axes en particulier: les infrastructures et le capital humain (scolaire, enseignement supérieur, formation, recherche). L’excellence dans ces domaines n’est pas un luxe: elle est vitale.

Le 26/07/2023 à 11h00

Du temps que j’enseignais la macroéconomie, un cours passionnait les étudiants plus que les autres. C’était celui où l’on traitait de ce qu’on appelle «le piège de la transition», connu aussi sous le nom de «piège du revenu intermédiaire».

Pourquoi ce thème intéressait-il les étudiants plus que d’autres, je ne le sais pas vraiment. Peut-être parce qu’il y avait le mot «piège» dedans? L’économie, «science lugubre» selon Carlyle, ne donne pas tellement d’occasions de voir quelqu’un -fut-ce l’économie tout entière- tomber dans un guêpier ou un traquenard.

Mais de quoi s’agit-il? The middle income trap, pour utiliser son nom anglais, désigne le phénomène suivant: un pays connaît un développement économique robuste jusqu’à atteindre un certain revenu par tête d’habitant, puis reste coincé à ce niveau, comme dans une souricière, sans parvenir à augmenter davantage le revenu.

(On l’appelle aussi «piège de la transition» parce que le pays rate sa transition vers une économie pleinement développée, avec des secteurs secondaire et tertiaire florissants).

Nombreux sont ceux qui sont restés pris dans la nasse, englués à ce niveau de revenu intermédiaire, pendant cinquante ans (!) sans jamais parvenir à rejoindre les pays avancés.

Voici l’explication: un pays «pauvre» amorce son décollage économique initial grâce à sa main-d’œuvre nombreuse et bon marché, qui attire les investissements directs venus de l’étranger. (Encore faut-il qu’il soit ouvert sur l’étranger, bien sûr).

Ces investissements directs lui donnent accès à des technologies de base qui lui permettent d’exporter. Qu’on pense, par exemple, au secteur automobile, devenu le premier poste d’exportation de notre pays. Si ce schéma est appliqué partout, dans de nombreux secteurs, le revenu par tête d’habitant augmente jusqu’à atteindre un revenu dit «intermédiaire» -au-dessus de la pauvreté, en dessous de la richesse.

Mais que se passe-t-il une fois cette étape réalisée?

C’est là que le piège se referme. Peu de pays sont capables de passer à l’étape suivante. Pour augmenter la productivité, aller vers plus de valeur ajoutée par travailleur et franchir le plafond de verre technologique, il faut: a) d’abord voir le problème, b) changer de modèle. On ne peut plus simplement proposer une main-d’œuvre abondante et peu chère à qui en voudra, il faut prendre l’initiative et modifier en profondeur le pays, en portant les efforts sur deux axes en particulier: les infrastructures et le capital humain (scolaire, enseignement supérieur, formation, recherche). L’excellence dans ces domaines n’est pas un luxe: elle est vitale.

Ce n’est qu’ainsi que le pays sera capable d’entrer sur le marché des produits à forte valeur ajoutée, qui sont l’apanage des pays développés, à revenu élevé par tête d’habitant.

Comme exemple de pays qui sont tombés dans le piège, on peut citer le Brésil -et plus généralement l’Amérique latine- et l’Afrique du Sud. En fait, l’ONU compte aujourd’hui une bonne centaine de pays à revenu intermédiaire, représentant 70% de la population mondiale. Le Maroc en fait partie.

Puisque vous m’avez fait l’amitié de suivre mon cours jusqu’ici, voici en guise de récompense une interrogation écrite. Répondez aux trois questions suivantes en argumentant avec précision:

1. La Chine est-elle en ce moment dans le piège et pensez-vous qu’elle en sortira? Comment? (envahir Taiwan n’est pas une option).

2. Ceux qui protestent quand on construit chez nous des lignes TGV et de nouvelles autoroutes savent-ils ce qu’est le piège de la transition?

3. Ceux qui protestent quand on construit des universités d’excellence basées sur la recherche et disposant de coûteux laboratoires de pointe savent-ils ce qu’est le piège de la transition?

Vous avez une heure pour rendre votre copie.

Bon courage.

Par Fouad Laroui
Le 26/07/2023 à 11h00

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De l’art de suggérer d’ingénieuses recettes modulées et moulées dans des tours faussement interrogatifs à l’adresse de certains esprits constamment dans le déni et tout à leur réflexe dubitatif. Bravo cher Fouad Laroui pour la qualité qui ne s’est pas démentie dans le virage pris pour vos derniers articles.

Mostafa. Prof FL passe d'articles d'humeur aux choses sérieuses dans ses 3 derniers écrits (un niveau d'excellence)

Mais j’espère bien qu’il reviendra de temps à autre à ses articles amusants, au ton léger….

Le Maroc a toujours, depuis l'indépendance, brandi la devise de l'enseignement, de l'infrastructure...et le résultat est toujours nulle !

‘Nul' vous voulez dire. Avoir réduit l’enseignement du Français à peau de chagrin (langue du colonisateur et autres flonflons) est une faute. Une grosse et bête décision appauvrissante pour le pays! Kateb Yacine disait “Le Français est notre butin de guerre”. C’est un enrichissement, pas un déficit. L’Arabe aussi est la langue de l’envahisseur. Quel héritage pour le Maroc!

Cher Zahid Amjad, Si vous pensez que dans le domaine des infrastructures, le résultat est nul, c’est que vous n’avez pas connu l’époque où il fallait mettre deux heures en voiture pour rallier Casablanca à Rabat et six heures en train pour rallier Casablanca et Tanger….

Pour l’enseignement, le résultat n’est pas brillant, pour de multiples raisons. Sur ce point, vous avez raison. En revanche, pour les infrastructures, vous avez tort: en 1970, il n’y avait pas un seul kilomètre d’autoroute. Comparez avec aujourd’hui.

On peut très bien former des scientifiques, des ingénieurs ou des médecins brillants mais si c'est pour qu'ils quittent le pays juste après, on aura fait du surplace. Le développement d'un pays est un tout. L'éducation, la santé, la justice...Le Maroc a encore besoin de réformes structurelles pour passer à la vitesse supérieure.

En somme, un pays ressemble à une entreprise avec des ‘’immobilisations ‘’ et des ‘’ressources humaines’ ’Pour produire de la valeur, ces facteurs doivent faire l’objet d’une organisation efficiente, ce qui correspond pour l’Etat à la ‘’gouvernance’’ Il me semble que cet élément, qui ne coûte rien au contribuable ,est aussi déterminant pour le développement. S’agissant des universités d’excellence et du TGV ,j’ai le sentiment que nous avons mis la charrue devant les bœufs !Nous formons des profils surqualifiés eu égard aux besoins actuels de l’économie, du coup, tous les lauréats partent à l’étranger. Quant au TGV, rien que pour atteindre le seuil de rentabilité, il faut multiplier par 5 le prix actuel des billets.

Bonjour Monsieur Driss. Une école de qualité, accessible et obligatoire partout, est la première marche vers l'espoir et le développement. Les universités d'excellence est une bonne chose. Elles finissent toujours par fournir à leur pays, de grands capitaines d'industrie. Cordialement.

Bonjour. Mais cher Fouad les réponses sont dans les questions. avec une nuance concernant la Chine qui a énormément investi dans la formation et la recherche. Je suis d’accord avec les 2 personnes qui ont attiré l’attention sur : la corruption, le poids du secteur informel et le risque que la massification accélérée du système éducatif ne nuise à la qualité de la formation. Il faut ajouter que les formations scientifiques et techniques devront désormais être dispensées en anglais ce qui facilite l’insertion de toute activité productive dans le marché mondial. Mais tout cela suffira-t-il? Je l’espère.

La Chine a atteint sa vitesse de croisière et il semble que son model basé justement sur les infrastructures et le capital humain va propulser l'économie chinoise parmi les pays riches. Seul bémol la Chine est confronté à des velléités indépendantistes et une bronca populaire contre un système bureaucratique et une idéologie politique monochrome Pour ce qui est du Maroc, bien qu'il existe une réelle volonté de, de propulser le pays parmi les pays développés, les moyes mis à disposition et l'environnement politico-social ne suivent pas. Il y a toujours ceux qui mettent les intérêts personnels au dessus de l'intérêt général encouragés par la politique de la rente, par la corruption, la prévarication, la faiblesse de la justice et l'absence de la reddition des comptes.

Désolé, j’ai pris plus que le temps imparti, c’est à cause de la torpeur provoquée par la chaleur de l’été. Votre questionnement est très intéressant : comment dépasser un certain seuil pour rejoindre le club des pays avancés ? Certes, il nous faut une élite qui tire le pays vers le haut. Certes, il nous faut des infrastructures qui font en sorte que l’espace ne soit pas un obstacle devant le citoyen et le développement du pays. Mais, pour intégrer la société de la connaissance et être au rythme de l’évolution en cours, il faudrait que tout un chacun atteigne un niveau minimum d’instruction : une école d’excellence certes, mais à côté d’une école publique forte. Il faudrait aussi un projet de société avec des valeurs modernistes certes, mais aussi humanistes. Soyez indulgent Cher Prof

Cher Mos, Vous méritez un 18/20.

4eme question (en option) Peut-on sortir du middle income trap avec la corruption sévissante et l'informel qui represente 80 pour 100 de l activité éconolique en plus de l'èconomie de la rente

Bonne question.

Je commence à bien connaître le Maroc, j aime ce pays et je lui fait confiance. La France elle, a abandonné l excellence, son déclin a commencé et l amènera au chaos.....et cela n a rien à voir avec le piège de la transition.

Chaque étape dépendra de l excellence et de l intelligence des êtres qui mèneront le pays et l essentiel est qu ils aiment leur pays. Les ennemis sont les REQUINS DE LA FINANCE INTERNATIONALE qui détruisent tout.

Le plus grand piège c est de considérer que tous les concepts économiques de l'occident sont valables pour tous les pays, y compris le dit "piège de la transition".

Bonsoir Madame Angie. Vous avez raison, mais il y a tellement d'exemples concrets à travers le monde, qu'il serait totalement absurde de ne pas s'en inspirer. L'imitation est la voie royale vers la compétence. Cordialement.

Qt à la 2 et 3 Q Non ne savent pas que l infrastructure (tgv) et les universités d excellence (enseignement, recherche, etc) sont nécessaires pour la transition à un autre model économique

Exact. Ils ne le savent pas. En lisant cet article, ils l’apprendront peut-être… 😊

La Chine est actuellement en train de faire face au piège du revenu intermédiaire, qui est une situation où la croissance économique ralentie après avoir atteint un certain niveau de développement. Cependant, il y a des débats et des incertitudes quant à savoir si la Chine pourra sortir de ce piège et continuer à progresser vers un revenu élevé. La transition de la Chine vers une économie bas carbone et résiliente au climat est également un défi majeur auquel le pays est confronté. . La Chine est l'un des plus grands émetteurs de CO2 et de gaz à effet de serre au monde, et sa transition vers une économie sobre en carbone est essentielle pour atteindre les objectifs climatiques mondiaux. . Cela entraînera des changements massifs en termes de ressources, d'innovation et de nouvelles.

1/je penses que la Chine a dépassé le cap en se dotant par exemple d'une station spatiale fabriquée localement ou encore de ses avancées dans les véhicules électriques et les énergies renouvelables 2/ je crois que le Maroc maîtrise aujourd'hui la construction et la gestion des autoroutes et j'espère qu'on atteindra la même autonomie pour le TGV 3/j'ai un avis partagé sur les universités d'excellence car le piège est de tomber dans une logique de volume au détriment de la qualité, voir ce qui s'est passé pour les cycles d'ingénieurs...

Le Maroc a une magne financière qui est encore quasiment inexploitée qui sont les femmes Marocaines .Seulement environ 30% des femmes ,travaillent actuellement.Si elles cotisaient rien qu’à 70% ,cela donnerait beaucoup plus de moyens pour investir dans les infrastructures et les projets de développement.Cette transition à tout point de vue se fera avec les femmes marocaines.Qui sont un sacré atout pour le Maroc !.Aussi bien économique que sociale!,

IL faut bâtir un modèle marocain quitte à faire un effort de 360° pour s’éloigner le plus possible des prototypes de cabinets de consulting mondiaux préétablis, penser le Maroc marocain avec un référentiel marocain historiquement et culturellement et immatériellement en premier et matériellement en secundo D’abord le capital humain qu’il faut vacciner contre les idées prêt à porter qui circulent dans l’atmosphère des canaux et supports de la com au sens large En suite et parallèlement réfléchir l’infrastructure adapté à ce capital humain car ce capital humain vacciner, éduquer et former excellemment sont ceux qui sauront produire le modèle de vie et d’infrastructure dans une optique de durabilité et de prospérité 1. La Chine fera ce que bon lui semble tant qu’elle ne nous ca

Merci professeur. Votre cours est à la hauteur.

Oui, c’est sûr: pour ne pas tomber dans le piège que vous décrivez, il faut des infrastructures sophistiquées- donc le TGV de Tanger à Agadir - et des universités d’excellence pour former des chercheurs et des scientifiques de très haut niveau. C’est la réponse au questions 2 et 3.

Bonnes réponses, Salwa.

"... il faut prendre l’initiative et modifier en profondeur le pays, en portant les efforts sur deux axes en particulier: les infrastructures et le capital humain ..." ... Cher Professeur, je ne suis pas économiste mais je vais essayer d'utiliser votre texte ci-dessus pour répondre à vos questions : 1- Ceux qui n'ont pas misé dès le début sur les Infrastructures et le Capital Humain auront bcp de problèmes... je crois que la Chine n'en fait pas partie ! ... 2- Les enfants qui veulent aller à l'école à la campagne ont besoin d'accès sécurisés et de moyens de transport bcp plus simples que le TGV ! ... 3- Bâtir des Universités d'excellence voudrait dire que TOUTES les autres n'ont rien à voir avec l'excellence ! ... Respects et Merci

... Je ne suis pas contre le TGV et les Universités d'excellence bien au contraire ! Mais ce que je veux dire c'est que le Poids des erreurs passées risque de rendre le succès de la transition coûteux et très difficile ! Merci

Effectivement, les universités d’excellence sont indispensables si on veut échapper au ‘middle income trap’. Voir le cas de la Corée du Sud et de Singapour.

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