À mesure que les politiques européennes flirtent, de plus en plus, avec l’idéologie d’extrême droite et que les discours islamophobes se sont confortablement installés dans les médias, de plus en plus de témoignages de binationaux vantant les atouts du retour à leur terre d’origine abondent sur les réseaux sociaux.
«J’ai quitté ça… pour ça. Et je ne regrette rien», c’est l’unique message écrit d’une vidéo postée sur le réseau social TikTok par une utilisatrice qui illustre ce qu’elle a quitté par une carte postale idyllique de Paris, et ce qu’elle a trouvé à la place, par un stand d’épices dans un souk. Un peu cliché, direz-vous? Et comment! Mais le message, aussi enjolivé et léger soit-il, passe comme une lettre à la poste. Après tout, ce que l’on retient du Maroc quand on y passe uniquement ses vacances d’été, tient en deux mots: soleil et bonne bouffe.
Sur un ton plus sérieux, d’autres discussions animent les réseaux sociaux qui tiennent aujourd’hui le rôle de forums de discussions entre membres de la diaspora. «Faut-il rentrer au Maroc?», «Comment entreprendre au Maroc?», «Retour au Maroc: quels sont les points positifs et négatifs?»… Ici, on débat de tout et on se conseille. Plusieurs constats ressortent de ces échanges. D’une part, le retour au Maroc n’est plus le fait des retraités qui, après une vie de labeur en Europe, décident de passer leurs vieux jours sous le soleil du bled.
Cette volonté-là s’exprime également par la voix des nouvelles générations, nées en France principalement. Derrière leurs commentaires transparaît l’image d’un Maroc que l’on dépeint comme un Eldorado, une terre promise pour ceux qui voudraient se lancer dans l’entrepreneuriat, ou encore mieux l’immobilier car, sont-ils nombreux à penser, être Marocain avec des compétences et un savoir-faire acquis en Europe est le gage de la réussite assurée dans un pays «où tout est à faire» et où, pense-t-on à tort, les compétences et le sérieux manquent. D’ailleurs, poursuit-on, le retour au Maroc ne sera possible qu’en contrepartie d’un excellent salaire et d’un cadre de vie ultra confortable.
Cette volonté d’apporter «sa pierre à l’édifice» est toutefois teintée de craintes qui ont tôt fait de se transformer en freins pour d’autres. Le grand retour, oui, mais encore faut-il que l’administration publique suive, tempèrent ceux qui ne sont pas encore déterminés à sauter le grand pas. Et quid de l’enseignement, de la santé, de la justice… ? énumèrent les autres, qui en mettant tout cela dans la balance ne sont plus si sûrs de vouloir quitter leur terre de naissance, somme toute pas si mal en termes de politiques publiques, pour la terre de leurs ancêtres où les manques sont souvent palliés par la foi et une bonne dose de fatalité optimiste.
Autre frein à cette envie de tout plaquer pour tout tenter au Maroc, la barrière de la langue que l’on ne maîtrise pas et le regard des autres, celui que les Marocains «du bled» posent sur une communauté étrangère mais marocaine. Enfin, la perception que l’on se fait de la pratique de la religion au Maroc est aussi un sujet à part entière car nombreux sont ceux qui rêvent de vivre et de mourir sur une «terre musulmane», et considèrent ce nouveau départ comme une «hijra».
Toutes ces réflexions mises bout à bout sont des vraies mines d’informations sur les différentes composantes de la diaspora marocaine et sur les raisons du choc culturel et sociétal qui se produit souvent chez ceux qui décident d’immigrer au Maroc. Déjà, sur les réseaux sociaux, les dents de certains nationaux grincent. On ne voit pas forcément d’un bon œil cette arrivée en masse de MRE qui se qualifient, avec une certaine arrogance, de «Marocains ++». On se méfie aussi d’une lecture plus rigoriste de l’islam acquise en Europe et qui ne correspond pas à celle que l’on prêche au Maroc. On redoute l’importation au Maroc d’une pensée occidentalisée qui ne colle pas avec notre vision des valeurs du Maroc.
À contre-sens des cerveaux qui quittent le Maroc en quête d’un ailleurs où ils espèrent trouver mieux que ce que ne leur offre leur pays, l’immigration des binationaux au Maroc, qu’il est à ce stade difficile de quantifier, soulève de nombreuses interrogations quant à leur intégration. Car une chose est sûre, la nouvelle loi immigration qui vient d’être votée en France risque fort d’accélérer ce phénomène et c’est tant mieux pour le Maroc, à condition qu’il saisisse l’occasion de cette porte, qui se referme au nez de ses élites intellectuelles, pour mieux se mettre au diapason de leurs attentes. Vivre au Maroc doit être un choix et non une contrainte.
En évoquant ce sujet avec d’anciens membres de la diaspora établis de longue date au Maroc, un conseil revient souvent, celui de ne pas se poser en donneur de leçon, car l’appartenance à une double culture et les compétences acquises ailleurs ne représentent pas, dans le Maroc actuel, un coupe-file, ni un surclassement. À l’unisson, ces voix expérimentées invitent aussi et surtout à faire preuve d’humilité mais aussi de patience, car tout n’est pas parfait (encore) dans le plus beau pays du monde. Beaucoup de choses restent à faire et ce ne sont pas les places qui manquent pour entreprendre, à condition toutefois que l’on partage la même vision de ce pays, de ses valeurs et de son développement.