Le piège du sadaq dans le contrat de mariage

Karim Serraj.

ChroniqueUn vieux proverbe sanskrit affirme que «l’amour donne l’esprit aux femmes et le retire aux hommes». Si le mariage s’avère socialement utile et nécessaire, et un moment de bonheur familial, il n’en demeure pas moins que le contrat d’alliance réalisé devant les adouls marocains est une vraie souricière pour les hommes.

Le 06/08/2023 à 10h59

Plantons le décor: le futur mari, les bras chargés de cadeaux et accompagné de ses parents, ses oncles et tantes, se rend à la maison de sa fiancée qui l’attend aussi avec ses parents, oncles, tantes. La future mariée patiente longtemps dans une pièce jusqu’à ce qu’on l’appelle pour être présentée aux hôtes spéciaux de la journée.

Il y a là, venus pour entériner le contrat de mariage, deux adouls, mais ils peuvent être trois ou quatre selon le désir des familles. Les adouls sont des hommes de loi musulmans qui ont des prérogatives juridiques. Ils sont différents des juges qui siègent au tribunal et rendent des verdicts. Le domaine d’intervention des adouls couvre l’acte d’allégeance, les actes relevant des contrats immobiliers, fonciers et de fonds de commerce, les actes de vente des titres de participation et actions dans les entreprises, en plus des actes d’état civil comme la succession, le mariage ou le divorce.

Dans l’heureuse maison de la fiancée, les familles discutent pour faire connaissance, boivent le thé et mangent des gâteaux au miel avant de passer aux choses sérieuses: unir définitivement, devant Dieu, les deux tourtereaux. On appelle dès lors la promise qui sort de la pièce pour rejoindre les invités. Youyous, applaudissements joyeux, etc. Tout le monde est content.

Puis, solennellement, les adouls demandent silence, et lisent la sourate fatiha pour lancer le travail. Ce qu’ils s’apprêtent de conclure, c’est le «Akd nikah», nom musulman du contrat de mariage qui signifie littéralement... «Acte d’accouplement» ou «Acte de rapport sexuel». Certains désormais le traduisent plus joliment par «Acte du lit». C’est l’autorisation suprême pour que le couple entame une vie privée, au su de tous.

Cet acte est un document qui comporte moult informations sur les deux mariés, tel un état civil, mais il y a une partie réservée à la dot (sadaq en langue arabe) apportée par le futur mari, ou qu’il compte donner ultérieurement à sa femme. En général, le sadaq est constitué d’une somme d’argent, d’or et de bijoux, de biens immobiliers ou fonciers si ces derniers font partie de la dotation. C’est même «le clou de la soirée» dans la formalisation de l’acte du nikah, lorsque la belle-mère présente, aux yeux des familles, ce que le généreux marié a offert à sa fille.

Pour aider celui-ci, les adouls tolèrent l’endettement, avec un paragraphe destiné à la somme d’argent et aux biens promis et non encore récupérés par l’épouse.

Le parchemin marital recèle un numéro d’archivage et les noms des adouls qui ont procédé au mariage. Il est gardé comme un bien précieux par le couple, car il permet d’obtenir des attestations de mariage ou de divorce. Or, il peut devenir une poisse pour le mari, voire un danger.

On sait que l’amour rend aveugle. Bien des hommes mettent de la fougue dans leur relation avec leurs fiancées et s’endettent auprès de la belle-famille, promettant monts et merveilles pour la dot pécuniaire ou les biens qu’ils offriront. Le paragraphe dédié au sadaq est un fourre-tout. On peut y trouver la promesse de sommes d’argent faramineuses, le serment de mettre l’appartement ou la villa au nom de l’épouse, l’engagement de l’achat d’une voiture à celle-ci, etc.

Psychologiquement, l’homme est conditionné par la culture marocaine pour donner le maximum. Il est le héros du moment, il vit son quart d’heure de gloire en tant que futur époux. La belle-famille le surnomme d’ailleurs pendant quelques jours le «prince», et s’empresse de louer ses qualités de mâle en quête d’amour. Bien souvent, les parents de la mariée interviennent sur la question du sadaq et exigent des montants exorbitants. Les exemples et histoires sur l’endettement de l’époux sont légion dans notre entourage à tous.

Le contrat de mariage peut être un guêpier ou une trappe où s’enfoncent les Marocains, provoquant, un jour, leur chute judiciaire.

Car il faut savoir que ledit document signé devant les adouls dans l’ivresse de l’attachement, dans un cadre privé, dans la maison de la future épouse au milieu de sourires de gens sympathiques qui font partie de la famille, devient officiel pour la justice marocaine. L’acte du nikah a valeur de droit, et engage devant le tribunal les hommes signataires. On peut lire dans le Code de la Famille: «Les droits dus à l’épouse comportent le reliquat du sadaq» (article 84). L’épouse peut exiger avec force -jusqu’à porter plainte- le reliquat de sa dot durant le mariage. Les choses se corsent en cas de divorce. La dette en liquide ou en nature devra être réglée obligatoirement. Et nous savons qu’au Royaume, un couple sur trois finit dans la désunion au bout des premières années. Il est rare que le mari, à ce moment-là, ait soldé la créance contractée durant la belle journée de l’acte de mariage.

Le juge n’a pas le choix. Il tient entre ses mains un papier légal, bien que rédigé en dehors des murs du tribunal, et dans des conditions douteuses d’amour et de désir.

Débute alors le parcours du combattant de l’homme face à la justice. Il doit remplir ses engagements pris jadis par sa langue fourchue. Il est rattrapé par la réalité. L’amour se transforme en peine. Les beaux sentiments se disloquent. Les preuves d’amour d’antan du couple deviennent un lointain souvenir brumeux emporté par le principe du réel: la dette se doit d’être liquidée.

Tant qu’on y est, chargeons davantage la mule. Il faut rajouter moult transactions financières dont l’époux devra s’acquitter. En cas de divorce judiciaire (l’un des deux conjoints demande le divorce), il a à sa charge la pension alimentaire des enfants, de leur mère et le loyer de leur nouvelle habitation, ainsi que «les droits dus à l’épouse [qui] comportent (...) la pension due pour la période de viduité (idda) et le don de consolation (mout’â) qui sera évalué en fonction de la durée du mariage, de la situation financière de l’époux et des motifs du divorce» (article 84, op. cit.).

Si les deux époux conviennent du principe du divorce par khol’ (par consentement mutuel), sans se mettre d’accord sur la contrepartie que l’homme devra payer à la femme, «l’affaire est portée devant le tribunal en vue d’une tentative de conciliation. Au cas où celle-ci s’avère impossible, le tribunal déclare valable le divorce par khol’, après en avoir évalué la contrepartie financière, en tenant compte du montant du sadaq, de la durée du mariage, des causes de la demande du divorce par khol’ et de la situation matérielle de l’épouse» (article 120, op. cit.).

Très peu d’hommes se révèlent assez fortunés pour s’en sortir rapidement. Et très peu de femmes acceptent d’abandonner leur demande, surtout si la vie nuptiale a fini dans les hostilités. L’esprit des représailles, voire du châtiment, peut l’emporter, hélas!

L’épouse, elle, n’est pas inquiétée par de telles considérations d’argent. Elle sait que les lois du divorce sont strictement faites pour elle. La justice est de son côté, au moment où cette dernière va fustiger l’époux et le traiter comme un bon à rien, un mauvais payeur, une tare sociale qui n’arrive pas à rembourser.

Les traditions peuvent s’avérer scélérates. D’abord pour la femme qui a son chemin de croix et des démons anciens à combattre, mais cela est une lapalissade bien défendue par les associations et fondations féministes. Ensuite ces traditions codifiées en lois n’épargnent aucunement l’homme qui apparaît plus esseulé, non représenté dans la théorie du genre à la sauce marocaine. Il en pâtit, taciturne, sans comprendre les lois de l’amour qui le guettent et le clouent au pilori.

Alors, tournez messieurs, votre langue sept fois dans la bouche avant de parler le jour de l’Acte du nikah...

Par Karim Serraj
Le 06/08/2023 à 10h59

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VOS RÉACTIONS

Bonsoir Monsieur Karim Serraj. Vivement la réciproque: que les femmes puissent aussi demander les hommes en mariage. Je suis sûr que beaucoup de femmes seraient ravies et les hommes aussi. Cordialement.

Bonsoir Monsieur Jamal. Khadija a proposé le mariage au prophète, ce qu'il a accepté et vous me dites que je fais l'éloge de comportements contraires à notre religion! Quand l'ignorance devient la norme, la vérité quant à elle devient un péché, disait Kateb Yacine. Cordialement.

Mr Omar , ce pseudo argument de modernité que vous avancez ne veut rien dire si ce n'est qu' en gros les occidentaux font pareils et que donc on doit faire comme eux pour être moderne. Il faudrait donc se mettre à la mode sans s'intèrroger sur la déviance de certains comportements qualifiés de progrès par ceux qui ont fini par dénigrer l'institution du mariage. pourquoi pas l'homosexualité et le changement de sexe tant que vous y êtes? Vous faites l'éloge de comportements contraires à notre religion avec des arguments irrecevables sauf pour les francs maçons!

"Nikah" signifie "Mariage" dans le Coran et pas "accouplement" ou "acte sexuel". La preuve : الأحزا - الآية 49 يَا أَيُّهَا الَّذِينَ آمَنُوا إِذَا نَكَحْتُمُ الْمُؤْمِنَاتِ ثُمَّ طَلَّقْتُمُوهُنَّ مِن قَبْلِ أَن تَمَسُّوهُنَّ فَمَا لَكُمْ عَلَيْهِنَّ مِنْ عِدَّةٍ تَعْتَدُّونَهَا ۖ فَمَتِّعُوهُنَّ وَسَرِّحُوهُنَّ سَرَاحًا جَمِيلًا. Pour désigner l'acte sexuel, le Coran utilise le mot لامستم وَإِن كُنتُم مَّرْضَىٰ أَوْ عَلَىٰ سَفَرٍ أَوْ جَاءَ أَحَدٌ مِّنكُم مِّنَ الْغَائِطِ أَوْ لَامَسْتُمُ النِّسَاءَ فَلَمْ تَجِدُوا مَاءً فَتَيَمَّمُوا صَعِيدًا طَيِّبًا فَامْسَحُوا بِوُجُوهِكُمْ وَأَيْدِيكُمْ ۗ إِنَّ اللَّهَ كَانَ عَفُوًّا غَفُورًا. (النساء 43) Dieux est indulgent et pardonneur

Pardon akhi. Jamais le mot nikah n'a été utilisé dans les pays arabes pour parler du mariage. Nakaha est même devenu un mot vulgaire.

Combien sont-ils les couples qui se séparent à l'amiable au Maroc ?! ... Un des lecteurs ds son commentaire sur la Chronique précédente avait dit à juste titre que les divorces conflictuels sont favorables aux femmes une sorte de jack pot. Donc puisque c'est matériellement gagnant pourquoi voulez-vous que les femmes acceptent la séparation à l'amiable ? Même les avocats les en dissuadent... Moralité nos lois créent les Conflits dans les couples en difficulté !!! ... Merci

Je confirme ce qu a dit Omar, c'est l'un des rares articles objectif, audacieux, pertinent que j'ai lu ds toute la presse marocaine. Chapeau.

Article truffé de contre vérités. Si la loi était aussi favorable aux femmes ça se saurait. Je ne vois qu'une explication à cet article, et c'est que la réflexion est engagée pour une révision de la Moudawana. Certains hommes montent au créneau pour demander que les quelques droits qui ont été reconnus aux femmes leur soient retirés.

Je suis d'accord avec vous, Nadège. Voilà un article qui nous explique que les hommes marocains ont tous les devoirs et les frais à leur charge, alors que la femme marocaine et sa famille ne pensent qu'à le plumer. Et nous découvrons que les lois sont faites en faveur des femmes. Question: l'auteur de cet article vit où? Et autre question: nous vivons donc dans un pays où les femmes sont protégées, et nous ne nous en rendions pas compte?

Akd nikah, tout est dit, quand une société institutionnalise la prostitution et la vente d’être humains, quand une famille valorise le marié en fonction de la somme payée et quand l’homme pense acheter son épouse c’est la recette pour la catastrophe. On aura soit des femmes objets soumises à l’acheteur , soit des putes déguisées qui demandent toujours plus soit des divorces programmés. Dépénalisation des relations hors mariage ( pas une autorisation mais la fin de la prison pour cela ) , interdire le mariage des mineurs et reformer le contrat du mariage pour qu’il devienne un vrai accord d’association et non une transaction argent contre sexe, c’est la seule façon de pérenniser une société au lieu d’assister a sa désintégration dans les faits en la cachant derrière le maquillage actuel.

Bonsoir Monsieur Jamal. Ce sont vos arguments qui sont insultants pour les Marocains. Les Marocains ne sont pas des dévergondés irresponsables. Ils sont dans leur époque et vous, vous êtes dans la votre. Cordialement.

Dépénaliser les relations hors mariages c'est assurément faire exploser la prostitution qui va s'étaler au grand jour sous couvert de relation consenti. Vous avancez des arguments fallacieux et absurdes pour faire la propagande d'une idéologie contraire à nos valeurs.

Monsieur le rédacteur. La prochaine fois écrivez sur les histoires des femmes battues par leurs maris et divorcées avec une dot de 0dhs. Et regardez les sur les bordels... la loi est appliquée pour leurs droits.

Bel article

Très bon article, il traduit la soufrance du prince devant les tribunaux, surtout lorsqu'il est pris par le piège de sa belle famille.

Le piège n'est nullement un sadaq. C'est aussi et avant tout un moyen de protéger financièrement la femme qui ne sera plus à la charge de sa famille. Le "piège" c'est lorsque le mari se lasse influencer par une belle famille qui réclame un sadaq au montant clairement déraisonnable ou pire lorsque le futur époux promet une somme qu'il sait ne pas avoir les moyens de débourser pour influencer le choix de celle qu'il convoite et ou avoir l'approbation de la belle famille.

Le "principe du divorce par khol’ (par consentement mutuel)". Désolé, mais je ne suis pas sûr que ce soit la définition exacte de Khol'.

C'est l'un des meilleurs articles que j'ai Lu sur le 360. Pertinence et réalisme absolus.

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