Mardi 12 septembre. Cinq heures du matin. Départ de Casablanca vers Taroudant. L’autoroute et les aires de repos sont bondées de véhicules lourds et légers débordant de dons.
Bifurcation de l’autoroute menant à Agadir. La majorité des véhicules se dirige vers Marrakech. L’autre partie vers Agadir.
Ce tronçon est déjà encombré de véhicules. Beaucoup sortent à Chichaoua.
Fin de l’autoroute. Nous traversons Taroudant, peinées par les dégâts du séisme sur ses prestigieux remparts de 4 siècles.
Nous avons roulé à 50 km/h, pare-chocs contre pare-chocs. Trois heures et 95 km pour atteindre Oulad Berhil.
Dans tous les villages, une activité commerciale dense et chargement de colis dans les véhicules.
Direction Talakjounte, dans les montagnes, commune rurale de plus de 6.000 habitants. Sur notre chemin, désolation, horreur. Irréel!
J’ai connu cette région verdoyante, parsemée d’arganiers, d’oliviers et d’agrumes. La sécheresse l’a impactée. Le séisme l’a achevée. La route est étroite. La circulation est difficile à cause du trafic dense.
Quelques tentes plantées de part et d’autre. Des hommes, des femmes et des enfants nous saluent de la main avec de grands sourires… Comme d’habitude. Le drame n’a pas anéanti leur amabilité.
Partout, des camions de bénévoles et d’associations distribuent des cartons de denrées alimentaires, des couvertures, des matelas…
La route est jalonnée de petits douars. De nombreuses pistes mènent vers ces douars, tous détruits.
Nous empruntons la piste pour le douar Maghzèle, où nous attend Houceine.
Une place. Des tentes bricolées avec les moyens de bord. Sous les arbres, un espace de cuisine rudimentaire où des femmes s’activent.
Je pensais trouver des pleurs, des lamentations, des cris. Je n’ai trouvé que dignité et sagesse.
Une femme qui a perdu 4 membres de sa famille: «Il ne nous reste plus rien, même pas nos larmes pour pleurer nos morts». Un homme: «Nous n’avons que les vêtements sur notre dos, la terre comme lit et le ciel comme couverture!».
Tout a disparu: moutons, chèvres, bœufs, volaille, ânes, mulets… Quelques rares chiens et chats rescapés. Plus de puits. Les potagers qui donnaient des légumes sont couverts de ruines. Plus de vaisselle, de vêtements, de meubles… Plus de souvenirs, plus aucun papier d’identité… En 30 secondes, toute leur vie a été ensevelie!
Les ruraux dorment tôt. Le séisme les a surpris dans leur sommeil.
Mais il leur reste leur dignité et une forte résilience qui les aident à s’adapter au désastre.
Je demande à Houceine de déposer nos dons dans un endroit mastour (discret). Il répond: «Ici, face à la population, pour que tout soit transparent».
Nous craignions d’être assaillis par les sinistrés ou de créer une bousculade.
Mais je découvre une organisation et une discipline étonnantes. Rachid, jeune père de famille, employé d’une coopérative et membre de l’association locale, est le leader, l’Amghar, chef du douar, depuis le séisme. Les habitants ont été répartis en quatre «points» de plus de 50 personnes chacun. Chaque point a une tente bricolée pour les hommes et une autre pour les femmes. Chaque point a un jeune capitaine chargé de stocker et distribuer les dons.
Les dons sont partagés en 4, face à la population. Les personnes à qui nous demandions de quoi elles ont besoin répondaient: «Demandez à Rachid!» Une belle leçon d’organisation et de discipline.
La veille, j’ai appelé Houceine pour l’informer que nous ne mangerions rien chez eux.
Mais l’hospitalité marocaine est un réflexe incrusté dans nos gènes. Aucun cataclysme ne saurait l’anéantir. Thé, gâteaux secs et pain achetés, car les fours traditionnels ont été détruits, et un couscous avec une cuisse d’un des rares poulets rescapés… et pourtant sacrifié pour nous recevoir!
Nous avons refusé de manger. Mais connaissant les codes des ruraux, j’ai demandé à l’équipe de goûter au couscous pour ne pas les offenser.
Le comble de l’horreur! La visite au douar, un peu plus bas. Aucun mot pour décrire l’hécatombe. Un film d’horreur!
«Ici, nous avons sorti 5 personnes». «Ici ont péri mes oncles». «Nous avons sorti 40 personnes des décombres, à mains nues. C’était trop tard pour mon père». Outre les décès du douar, chaque habitant est endeuillé par la perte de plusieurs proches dans les douars voisins.
Une odeur pestilentielle remonte des cadavres d’animaux putréfiés, écrasés par les habitations dans les zribate (enclos). Une ambiance cauchemardesque!
Nous reprenons la route vers le col du Tizi N’Test pour distribuer des enveloppes à Tigouga, dont l’accès venait à peine d’être dégagé. Une des régions les plus touchées, où les survivants et les morts étaient encore ensevelis.
Sur les réseaux sociaux, des internautes dénoncent la «lenteur» des secouristes. Ils ignorent tout de la campagne et de la montagne. Le séisme a provoqué la chute d’énormes rochers qui bloquent les routes.
Toute la route est jalonnée de ruines. Les douars Agguer Ou Fella, Ida Ou Blal, Aafir, Tizi Yegh… se partagent la même épouvante.
Nous n’atteindrons pas Tigouga. Nous faisons demi-tour pour ne pas bloquer les ambulances. Les hélicoptères sillonnent le ciel: les secouristes ont accédé aux derniers douars bloqués par les éboulements.
Au retour vers Casablanca, même embouteillage. Des véhicules couverts à l’avant du drapeau marocain. On a paradoxalement l’impression que le pays est en pleine fête.
L’autoroute d’Agadir à Casablanca, la nuit. Un chapelet ininterrompu de lumières des véhicules qui vont vers le sud.
Des efforts titanesques sont déployés par tous, sans répit, sans relâche et sans exception.
Une fois les secours terminés viendra l’étape de la construction: douars, équipements, infrastructures de base, habitations, moyens de subsistance, création d’emplois, soins de santé physique et mentale…
La liste est bien longue.
Un énorme défi que nous relèverons grâce à Dieu et à cette forte synergie qui rassemble un Roi, un peuple, un État… Et un peu grâce aux organismes humanitaires et au soutien des pays amis. En tout cas, ceux qui ont eu la décence de respecter notre deuil!