Meknès au bord de la crise cardiaque

Karim Boukhari.

ChroniqueÀ la mi-temps, un homme avec ses deux enfants circule dans les travées de la tribune d’honneur: «Un but, rien qu’un petit but, ya sidi rabbi amine!». La prière sera-t-elle exaucée?

Le 21/12/2024 à 08h59

Vous voulez retomber en enfance? Allez au stade. C’est l’expérience que j’ai tentée il y a une semaine. Et pas n’importe où, à Meknès s’il vous plaît, l’éternelle cité ismaïlienne. Le stade d’honneur est une boite d’allumette coincée au milieu des immeubles du centre-ville. On y entre par des trous de souris creusés ici et là, à peine visibles, et qui donnent aux gradins un aspect de fourmilière.

Ce n’est pas le Bernabeu ou la Camp Nou, mais c’est mieux encore: vous pouvez faire un sondage autour de vous, les Meknassis (ou M’kansa, comme ils aiment se faire appeler) vous diront que le stade d’honneur est le plus beau au monde. Et ils ont raison, surtout quand le club local, le CODM (prononcez «Codém»), gagne un match couperet.

Le CODM a longtemps végété dans les divisions inférieures du football marocain. Soudain, il s’est réveillé. En deux saisons, il a effectué deux montées express: de la 3ème division à la 2ème, puis en élite, la fameuse Botola. Ce retour en lumière rend les M’kansa littéralement fous. Ils font de l’objectif maintien une question de vie ou de mort. Ils sont comme ce brave homme qui a fait de la prison par accident: il est prêt à tout sauf à y retourner. Tout sauf ça, mon frère.

Pour ne pas retourner à l’étage inférieur, ils doivent gagner des matchs. Comme le début de saison a été décevant, ils ont viré leur coach et l’ont remplacé, comme l’annonce fièrement le speaker du stade, par le «Haj Abdellatif Jrindou», un ancien footballeur reconverti en entraineur très bon, et surtout très pieux. On dit qu’il est réglé comme une horloge suisse : de la mosquée au stade et du stade à la mosquée.

Aujourd’hui, c’est le premier match officiel de Haj Jrindou avec le CODM. En face, c’est l’IRT, le club de Tanger, un concurrent direct pour la course au maintien. C’est un match à six points, selon la formule consacrée. Le petit stade est plein comme un œuf. Les ultras du Codém changent de tifo comme les invitées changent de tenue pendant un mariage. Ils sont déchainés, inarrêtables. En face, un groupe de fans venus de Tanger, avec le sigle de l’IRT frappé de la figure d’Ibn Battouta, tambourinent et chantent à la gloire de la ville du «Boughaz».

Finalement, le spectacle est plus dans ces gradins multicolores, enflammés, que sur l’aire de jeu. Le match est serré, fermé, pour ne pas dire terne. À la mi-temps, le score est nul et vierge et les M’kansa, qui doivent absolument gagner ce match, ont désormais peur de le perdre.

À la pause, donc, un homme avec ses deux enfants circule dans les travées de la tribune d’honneur: «Un but, rien qu’un petit but, ya sidi rabbi amine!». La prière sera-t-elle exaucée?

La 2ème mi-temps sera une copie conforme de la 1ère: sans éclat. Haj Jrindou longe nerveusement la ligne de touche et lève parfois la tête, comme pour implorer le ciel de lui venir en aide. Quand les solutions techniques manquent, il reste la prière. Et cela marche! À quelques minutes du terme, et au bout d’une action anodine, le ballon trouve le moyen de terminer sa course dans les filets tangérois. Inutile de vous décrire le spectacle. Le but fait l’effet d’une bombe.

Rien que pour ce moment de joie et de partage absolument exceptionnel, il fallait se déplacer à Meknès. Les congratulations tombent de partout. Les M’kansa sont au bord des larmes, pour ne pas dire de la crise cardiaque. Mais il faut tenir encore quelques minutes, prier, serrer les fesses à chaque début de tentative tangéroise…

Au bout, bien sûr, il y a la victoire, les trois points. À ce moment-là, celui du coup de sifflet final, tu comprends que c’est la chose la plus importante au monde. Ça vaut un voyage en première classe à Disneyland, le paradis de l’enfance. Carrément, mon frère. Et merci Meknès!

Par Karim Boukhari
Le 21/12/2024 à 08h59

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Le découpage actuel n'a pas tenu compte des paramètres sociologiques . Meknes a été la capitale d'un grand Roi , Moulay Ismail . Elle mérite tout autant que d'autres villes d'être la capitale d'une Région qui comprendrait Ifrane , El Hajeb , Azrou , Midelt , Imouzer , Moulay Driss Zerhoun. La ville aurait mérité qu'elle soit mise en valeur et être une destination pour le tourisme . Pourquoi une telle marginalisation. Meknes ne figure même pas sur les panneaux d'indication de l'autoroute . À la sortie de Rabat on lit Fès , Oujda et c'est tout . Et c'est pareil partout . Même la première capitale politique du Maroc Moulay Driss Zerhoun ne figure sur aucun panneau de direction même pas au croisement qui indique Sidi Kacem . Bizarre

Je vie en Europe mais mon cœur est a Meknassi nous avons souffer des décennies mais en gardant un espoir a Meknès nous avons pas beaucoup de multinationales des sponsors qui font le bonheur des autres clubs de la Botola mais nous avons la volonté et le cœur c'est ce qui fait notre force maintenant nous sommes prêts pour montrer a l'Afrique que nous sommes là comme nos ancêtres l'on fait il y a des siècles et leurs montré que les Maknassi ont une histoire dans tous le domaine cette année sera une année de transition puis le championnat sera a nous inchallah DIMA CODEM♥️🤍 et DIMA MAGHREB✌️🇲🇦

Si Karim c'est sur que vous avez touché le graal en étant au tribune du CODéM, moi qui suis fan d'aucune équipes mais j'assiste au match de foot depuis 35 ans partout au Maroc et j'ai des amis ultras ou juste supporters de leur clubs et je peux vous dire que ceux du CODM sont un cas atypique capable d'interactions et ambiances des plus jouissive.

C'est une très bonne remarque. Essayons d'être toujours optimiste et d'encourager notre belle ville, la capitale ismailienne _ Meknès _

La gloire des Meknassis serait irréversible.

malheureusement il y a une politique nationale de dénigrement de la ville de Meknès, une volonté réelle de l'effacer de l'histoire contemporaine du Maroc, déjà le fait de l'annexer à sa rivale Fès et une humiliation totale pour tout les Meknassi, sans oublier la dégradation des infrastructures, la fermeture de tout les monuments de la ville depuis plus de 5ans la corruption a tout les niveaux, et surtout le mépris total de le part des dirigeants du pays. Moulay Ismaïl doit certainement se retourner dans sa tombe.....

Bsr cher Karim!Très jolie chronique qui me fait penser aux matchs d'antan.Désolé,mais je ne suis plus très foot.Cependant j'ai suivi avec vos yeux et votre belle plume ce grand match.Le CODM mérite cette victoire.Espérons que cela continuera pour le plus grand plaisir des Mkansas et des fans du bon foot.Salut à tous et bon ce qui reste du weekend.

Bonjour, Merci pour votre chronique; j’apprécie beaucoup votre talent et votre humour, vos descriptions a hauteur d’homme.

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