Moins de deux enfants par femme au Maroc: ce que la baisse de la fécondité dit de nous et de notre avenir

Le taux de fécondité au Maroc: un défi démographique et sociétal

Le taux de fécondité au Maroc: un défi démographique et sociétal.

Le 28/12/2024 à 10h28

VidéoVéritable indicateur du changement profond qui traverse la société marocaine, la baisse du taux de fécondité à 1,97 enfant par femme, alors que le seuil de remplacement des générations est de 2,1, laisser présager un renversement imminent de la courbe démographique au pays. Qu’est-ce que cette transformation dit de nous et faut-il s’en inquiéter? Décryptage.

Le Maroc est à un tournant démographique crucial, et ce sont les résultats du dernier recensement de la population, mené par le Haut-Commissariat au plan (HCP), qui en apportent la preuve. En chiffres, le taux de fécondité national est tombé à 1,97 enfant par femme, un niveau inférieur au seuil de remplacement des générations, fixé à 2,1 enfants. Mais qu’est-ce que cela veut bien dire?

Directeur du Centre d’études et de recherches démographiques au sein du même HCP, Mohammed Fassi Fihri explique que ce seuil n’est rien d’autre que «l’effectif qu’une femme doit avoir comme minimum d’enfants pour que la génération remplace exactement la génération précédente». Nous sommes donc définitivement en dessous et la tendance à la baisse est amenée à se poursuivre.

«Cherchez la femme»

Interrogés par Le360, citoyennes, citoyens et experts sont unanimes. À l’origine de cette baisse se trouve une somme de facteurs, tous plus ou moins liés à l’émancipation de la femme marocaine. Parmi les causes immédiates, la hausse de l’âge moyen du mariage joue un rôle central. «Dans les années 1980, une femme se mariait autour de 21 ou 22 ans. Aujourd’hui, cet âge est monté à 25 ans en moyenne», détaille Mohammed Fassi Fihri.

Deuxième facteur: la généralisation des moyens de contraception. Aujourd’hui, plus de 70% des femmes ont recours à des méthodes contraceptives, contre moins de 20% dans les années 1960. Sans oublier la généralisation de la scolarisation et l’allongement de la durée des études chez les femmes et, autre élément clé, la baisse de la mortalité infantile qui a éliminé le besoin, autrefois courant, d’avoir plusieurs enfants pour compenser les décès. Une précision s’impose: nous parlons ici des Marocaines et Marocains résidant au pays, avec un effet d’entraînement quasi insignifiant sur la communauté établie à l’étranger.

Aux facteurs sociaux s’ajoute une mutation des mentalités. Psychosociologue, Mohcine Benzakour souligne à cet égard le changement opéré dans la relation vis-à-vis même de l’institution du mariage. «Auparavant, le mariage était un objectif, une fin en soi dictée par des considérations familiales, religieuses et de reproduction. Aujourd’hui, il signifie tout simplement un accord, de l’amour, un projet de vie», résume-t-il.

Triplement du taux de célibat

Un tel changement explique notamment la progression vertigineuse du taux de célibat définitif, mesuré à 55 ans. Cet indicateur a en effet triplé en deux décennies, passant de 3% en 2004 à 9% en 2024. C’est le cas particulièrement en milieu urbain, où les contraintes économiques et sociales, telles que le chômage des jeunes, le coût élevé de la vie et l’accès difficile au logement, pèsent de tout leur poids et influencent fortement les choix individuels.

L’individualisme croissant et les arbitrages entre vie professionnelle et vie familiale jouent également un rôle. «À son tour, la femme a compris ce que c’est qu’être chef d’entreprise, ce que c’est qu’être chef de parti. Acteur économique et politique à part entière, elle est partout. Et cela lui impose de faire des choix», souligne Mohcine Benzakour.

Une population de 43 millions en 2050

Cette transition démographique redessine certes profondément le paysage marocain. Mais que l’on se rassure: la population marocaine continuera de croître. Les projections du HCP avancent le chiffre de 40 millions de Marocains en 2030, contre 36,8 millions actuellement. Et à l’horizon 2050, nous serons, toujours selon ces projections, 43 millions. Ce qui change, c’est le rythme d’accélération de la progression démographique, appelé à devenir de plus en plus lent.

Parmi les conséquences de cette tendance, et d’ici 2050, le Maroc comptera près de 10 millions de personnes âgées, représentant alors un quart de la population. Une évolution qui pose des défis majeurs pour les systèmes de retraite et de santé, déjà sous grande pression. «Nous verrons une augmentation des maladies coûteuses, comme les maladies cardiovasculaires et le diabète», souligne en illustration Mohammed Fassi Fihri.

Sur le plan économique, une réduction de la population active est attendue. Et un effectif inférieur de travailleurs signifie un impact direct sur la croissance et sur les systèmes sociaux. La réduction du nombre de jeunes pourrait toutefois offrir l’opportunité d’améliorer la qualité de l’éducation et de favoriser l’accès généralisé à l’enseignement secondaire.

Les ménages, quant à eux, deviendront plus compacts: «Si on est pratiquement à 3,9 personnes par ménage, en 2050, on serait autour de 3», ajoute notre interlocuteur. Culturellement, cette transformation marque un éloignement progressif des structures familiales traditionnelles. Le rôle de la famille évolue, passant d’une entité intergénérationnelle soudée à des unités plus réduites et autonomes.

Revoir les politiques publiques

Sans être alarmante, la baisse du taux de fécondité suppose une réadaptation de nombre de politiques publiques, notamment en matière d’enseignement, tenu d’être plus qualitatif, en matière de santé, qui nécessitera bien plus de moyens, et au niveau de l’emploi. À cet égard, des exemples internationaux peuvent également inspirer le Maroc dans le cas d’une baisse radicale à l’avenir.

Ainsi, en Corée du Sud, où le taux de fécondité est inférieur à un enfant par femme, des politiques proactives, telles que des soutiens financiers aux familles et des congés parentaux prolongés, ont été mises en place. De son côté, les gouvernements mexicains ont cherché à réduire les disparités entre les zones urbaines et rurales afin d’encourager la natalité. Mais pour l’heure, nous n’en sommes pas là. Présentement, deux enfants par femme, «Allah yej’el l’baraka», pour paraphraser cette Casablancaise interrogée par Le360.

Par Camilia Serraj et Adi Gadrouz
Le 28/12/2024 à 10h28