C’est l’une des plus emblématiques mosquées de Casablanca, considérée comme un repère urbain à la jonction du boulevard 2 Mars et du boulevard Modibo Keïta.
Sa caractéristique première est d’être différente sur le plan architectural des courants antérieurs, dépourvue qu’elle est des ornements décoratifs traditionnels de l’architecture marocaine, avec son aspect massif et son design minimaliste, fidèle en cela au style moderniste brutaliste pour témoigner d’un métissage original dans une ville voulue, depuis le début du 20ème siècle, comme un laboratoire expérimental grandeur nature et un musée à ciel ouvert.
Elle est réalisée en 1966 par l’un des architectes du roi Mohammed V, Emile-Jean Duhon, auquel nous devons, rien que dans la ville de Casablanca, plusieurs immeubles sur l’avenue Hassan II ou sur le boulevard Rachidi; l’hôtel El Mansour (dont la collection Royal Mansour vient de signer remarquablement la renaissance après huit ans de travaux), l’hôtel Marhaba (en voie de destruction, après avoir offert pendant de longues années une image délabrée indigne de sa splendeur d’antan), l’extension du défunt Hôtel Anfa ou encore, en 1960, le pavillon de la Foire, en collaboration avec Jean-François Zévaco.
Cette présentation s’impose pour situer le cachet architectural d’une mosquée édifiée dans la nouvelle ville à une époque où les grands édifices du genre n’étaient pas légion, à quelques notables exceptions près, dont la mosquée Moulay Youssef au quartier des Habous, signée en 1923 par les architectes Edmond Brion et Auguste Cadet, ou celle de la cité de Aïn Chock, construite en 1945-46 par Edmond Brion, toujours dans un souci d’actualisation des modèles historiques et de concordance avec la tradition marocaine authentique.
Alors, on peut aimer ou pas le genre brutaliste, né au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, adhérer ou pas à l’usage du béton brut, critiquer à volonté la rupture radicale avec le raffinement de l’ancien style. Il n’en reste pas moins que la Mosquée Assounna témoigne d’une fusion créative et revêt une valeur patrimoniale indéniable qui fait d’elle une des clés de voûte sur lesquelles repose l’argumentaire pour l’inscription de Casablanca sur la liste indicative de l’Unesco en tant que ville carrefour, riche d’un échange considérable d’influences et d’une synthèse d’éléments issus de différentes cultures, époques, modèles ou idéaux, justifiant sa valeur universelle exceptionnelle.
Et voilà qu’un beau jour du mois de novembre 2021, les Casablancais découvrent le lancement de ce qui ressemble à des travaux de démolition d’une partie de la Mosquée Assounna, sans instruction préalable ni panneau sur les lieux indiquant la nature des travaux ou la maquette finale, ouvrant ainsi la voie à toutes les spéculations, d’autant qu’il y a de quoi être échaudé après toutes les destructions touchant le patrimoine de la ville blanche sous toutes ses formes possibles.
Faut-il rappeler le sort de l’Hôtel Anfa, qui porte le nom médiéval de Casablanca, lieu du déroulement de la conférence du même nom réunissant les alliés et scellant le sort de la Deuxième Guerre mondiale; le Théâtre municipal, qui aurait été construit rapidement sur un ancien bunker militaire et qu’on aurait pu reconstituer idéalement en ces mêmes lieux; le cinéma Vox, l’un des plus grands du monde avec ses 2.000 places, ses trois balcons superposés, son toit ouvrant, qui servait de cinéma, de théâtre et d’opéra, conçu en 1935 par le grand architecte Marius Boyer; la Piscine municipale, la plus grande du monde avec ses 300 mètres de long; les Arènes de 3.500 places, qui ont accueilli les plus grands toréadors, dont El Cordobes, des matchs de boxe avec Marcel Cerdan et des galas enchantés par la présence de Jacques Brel, Ray Charles ou Oum Keltoum?
La liste est longue.
Dans un communiqué aux accents indignés -cela se comprend!-, l’association Casamémoire dénonce vigoureusement les travaux de démolition en cours d’une partie de la mosquée, mettant en avant la singularité de son style, ses qualités architecturales intrinsèques et la diversité culturelle qu’elle symbolise comme valeur fondamentale pour le Maroc moderne.
La presse s’empare de la thématique. Les réseaux sociaux donnent une tonalité encore plus enfiévrée à la polémique.
Enfin, le ministère des Habous et des Affaires islamiques communique. Les propos se veulent rassurants ce 19 novembre 2021 : «Il ne s’agit pas d’une démolition, mais d’une réfection». La restauration se fait avec un minimum de modifications, sans atteinte à son intégrité architecturale et en toute conscience de sa valeur patrimoniale inestimable.
Une date est même donnée, en plus du coût de l’opération, annonçant ainsi la réouverture des portes de la mosquée aux fidèles avant le mois de ramadan 2023 et un budget de 4,625 millions de dirhams.
Les architectes, professionnels, militants et citoyens n’en démordent toujours pas. Pour ce qui s’avère être une réfection de la toiture de la salle de prière réservée aux femmes, fallait-il nécessairement procéder par démolition? Comment justifier cette absence de communication et de concertation et s’étonner en outre, pour certains, de voir les Casablancais s’alarmer alors que des murs sont en train de tomber?
Depuis lors, les 14 mois de travaux annoncés sont passés à 35. Le panneau indiquant le chantier a été retiré. Les travaux semblent bel et bien arrêtés. Les Casablancais n’en peuvent plus de s’interroger devant un silence de pierre.
Pendant ce temps-là, résonnent à nos oreilles les mots poétiques de l’artiste et architecte Le Corbusier: «Puissent nos bétons si rudes révéler que, sous eux, nos sensibilités sont fines».