Moudawana: une réforme à réformer

Karim Boukhari.

ChroniqueLes progrès de la Moudawana, obtenus de haute lutte et au prix de sacrés compromis avec la composante la plus conservatrice de la société marocaine, demeurent insuffisants. Le chemin parcouru a été important, mais celui qui reste à accomplir est encore plus long.

Le 28/12/2024 à 09h02

C’était dans une autre vie, mais je m’en souviens comme si c’était hier. Le souvenir est encore vif. Et je ne vous parle pas de la trace, de la blessure (du tatouage, comme dirait ce cher Abdelkébir Khatibi) que cette expérience m’avait occasionnée, et que je n’ai jamais oubliée.

J’étais alors en stage au service de gynécologie en tant que médecin «externe». Il y avait une malade que tout le service avait spontanément adoptée. Je vais vous dire pourquoi.

Jeune, jolie et extrêmement gentille, la «patiente» venait à peine de se marier. Elle devait avoir la vingtaine, tout au plus. Admise pour suspicion d’une tumeur maligne, elle a dû subir une batterie d’examens complémentaires. Les résultats se faisaient attendre. Il fallait tout «bilanter», tout vérifier et encore vérifier.

Forcément, cela a pris du temps et son séjour a duré plus longtemps que prévu. Les premiers jours, son mari, la vingtaine lui aussi, campagnard, souriant, venait lui rendre visite. Au bout de la première semaine, il a disparu, seule sa mère continuait de lui rendre visite.

Après deux ou trois semaines, et alors que le diagnostic n’était pas encore établi, et que l’espoir (d’éviter le cancer) existait encore, la jeune malade reçoit une lettre de répudiation. Laissez-moi vous décrire le «spectacle»: de bon matin, tous les stagiaires, les infirmières et ceux qu’on appelle «le petit personnel» (aide-soignants, techniciens de surface, que l’on désignait à l’époque par la vague dénomination ATP), étaient regroupés à la porte du service. Certains étaient en larmes, effondrés, les autres s’indignaient et ne comprenaient pas comment un jeune marié répudie sa jeune épouse au bout de quelques semaines d’hospitalisation…

Mais que s’était-il donc passé dans la tête du jeune homme pour en arriver là? Quelles pressions sociales ou psychologiques avait-il dû subir? Qu’est-ce qui l’a «détraqué» au juste: la peur que son épouse meure précocement? Qu’elle n’enfante jamais? Qu’elle ne soit plus capable d’assumer le fameux devoir conjugal?

Cette histoire, que j’ai plusieurs fois narrée, date d’avant les dernières réformes de la Moudawana, quand une femme pouvait être littéralement jetée à la rue par une simple lettre, sans explication et sans rien. Que pouvait-on bien y faire, la répudiation scandaleuse étant conforme, à l’époque, aux lois en cours.

«Mais c’est une réforme qui attendra d’ores et déjà d’être réformée. Pour le bien de la société marocaine, bien sûr, et pas seulement pour les femmes.»

Beaucoup de progrès ont été faits, depuis. Et c’est tant mieux. Mais pour quel résultat, dirions-nous? Aujourd’hui, la même personne décrite plus haut ne sera pas répudiée. Mais son mari se réservera toujours le droit, en théorie, de prendre une seconde épouse parce que la première est dans l’incapacité, même temporaire, d’avoir des relations sexuelles ou d’enfanter.

Je vous laisse le soin de qualifier un tel état de fait, une telle possibilité…

Cette démonstration n’est qu’un petit reflet des très nombreuses failles et des manques indiscutables qui continuent, malheureusement, de caractériser le Code de la famille et des statuts personnels au Maroc. Le chemin parcouru a été important, mais celui qui reste à accomplir est encore plus long.

La morale, c’est que les progrès de la Moudawana, qui sont réels, voire méritoires, puisqu’obtenus de haute lutte et au prix de sacrés compromis avec la composante la plus conservatrice de la société marocaine, demeurent insuffisants. La réforme actuelle apporte ce plus, notamment sur les questions de garde et de tutelle (en cas de divorce). Mais c’est une réforme qui attendra d’ores et déjà d’être réformée. Pour le bien de la société marocaine, bien sûr, et pas seulement pour les femmes.

Il ne faut pas simplement attendre, mais continuer la lutte jusqu’à la suppression pure et simple de la polygamie, du mariage des mineures, la refonte totale du système dit de Kafala (adoption) et la consécration de l’égalité en matière d’héritage (entre femmes et hommes, mais aussi entre musulmans et non musulmans). Entre autres, bien sûr, parce que la liste est longue…

Par Karim Boukhari
Le 28/12/2024 à 09h02

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Cette réforme ressemble a s'y tromper aux sondages ou micro trottoirs sur des faits de société... cette réformette reflète t elle de façon juste le vouloir de tous ou seulement le bon penser de certains ? quel dommage !!

A mon avis, la MOUDAWNA pourrait être enrichie par un article concernant les mariages endogènes. C'est le cas en France. En effet, les mariages endogènes sont interdits car ils favorisent la transmission des maladies génétiques. Par ailleurs, l'exécutif est tellement rejeté par la plus part des marocains qu'un texte de loi de cette envergure, émanant du département de l'honorable M. Ouhbie, ne passe pas faucillent...

Comme d’habitude vous tapez dans le mille. La montagne a finalement accouché d’une souris. Et les gentes dames et demoiselles marocaines attendront encore quelques décennies pour avoir les mêmes droits que les hommes, le temps nécessaires à nos illustres exégètes de mieux comprendre notre belle religion, qui permet aux uns de faire un testament et pas aux autres, entre autres. Surtout lorsqu’on affirme par ailleurs que l’islam est laïc

Bjr frère Karim!Mais que se passe-t-il donc dans notre cher pays?Tous les jours que Dieu fait, les Marocains se réveillent sur des moudawanas.Est-ce à dire que rien n'allait?Et que lesdites moudawanas sont les recettes magiques pour tous nos maux?Assurément non.Tous nos problèmes viennent de ce qu'on ne nous laisse pas tranquilles.On fait tout pour nous empoisonner la vie.La colonisation pour s'accaparer tous nos biens.Une forte natalité,il faut la diminuer.La population vieillit,il faut encourager les mariages des jeunes pour que cette population continue à se perpétuer et ne s'éteigne pas.(cf:la chronique de Mme Guessous de cette semaine.).Tel modèle économique ne marche pas,à changer...Le Maroc n'est pas une vieille teuf-teuf à laquelle il faut à chaque fois changer de pièces.Merci,salt

Se trompent de combat, ceux qui souhaitent desislamiser le Maroc, l'Islam etant lADN et le ciment du peuple marocain. Il faut lutter contre les vrais problèmes societaux, mettre le doigt là où ça fait mal , comme la pauvreté, le chômage, la corruptions, mauvaises répartition des richesses, les ideologies destructrices etc, et NON pas lutter contre la solution d un système basé sur la Justice et l'équité.Les lacunes proviennent du fait qu'on veuille calquer sur un modèle qui est juste, mais tout en delaissant certaines de ses composantes.Si on procede de cette facon, ll nefaut pas s'étonner de voir,de grosses lacunes, voire des contradictions. Pour illustrer mes propos : un puzzle, lespieces sont assemblées pourformer le mot JUSTICE.Seulement, 3 pieces sont manquantes = lacunes

quelle relation entre égalité et desislamisation?? au contraire l'islam est la religion qui par essence est venue pour établir l'égalité. et je pense que honorer la femme en lui donnant tout ses droits autant que l'homme est au contraire répondre aux préceptes de l'islam. n'en déplaise aux rétrogrades qui vivent encore dans la jahiliya. La femme est tellement honorée dans notre religion que plusieurs hadiths sont attribué à ce qu'a rapporté lalla aicha. ou bien ne faut il pas tenir compte de ces hadiths selon les détracteurs de la nouvelle moudawana??

Je suis entièrement d'accord avec la conclusion de l'article pour ces suppressions proposées. Il ne s'agit pas de "copier l'Occident" comme semble le penser certains, mais de progrès sociétaux importants et surtout d'égalité absolue en droit entre les femmes et les hommes. On peut, par exemple, justifier la polygamie par un tas d'arguments et pas uniquement et strictement religieux, mais l'inégalité sera toujours là même si on durcit les conditions de polygamie. Celle-ci peut être interdite sans contredire le Coran qui l'autorise sous certaines conditions draconiennes qui ne sont pas toujours respectées dans les faits. Quant à l'égalité dans l'héritage, il faut y parvenir bien sûr et ce qui est proposé actuellement ne sera sûrement pas suffisant.

Une position remarquable. Chapeau Mr Boukhari.

Plusieurs sujets sont à approfondir . Le niveau de développement d'une société est un facteur déterminant dans la gestion de ses problématiques sociétales . La situation du monde rural est à prendre en considération pour éviter que les réformes , ne débouchent sur des conséquences sociales désastreuses, surtout s'agissant des filles mineures mais sans aucune occupation que les travaux champêtres Une des pistes est peut être aussi de permettre d'opter dès le mariage pour l'organisation de l'héritage .

La disposition la plus choquante concerne le rejet du test adn qui ne prend pas en compte la situation d’un enfant dont le père refuse de reconnaître le lien de parenté. Pourquoi pénaliser de la sorte un enfant innocent ?

Jamais Dieu n'a demandé la reconnaissance d'une paternité non avérée quand on peut en avoir la preuve. C'est une honte que de forcer un homme à élever un enfant qui n'est pas le sien. L'interdiction du test ADN (copié-coller du droit francais) qui vise en réalité à cacher l'adultère de la femme est un indigne.

Bonsoir Monsieur chraïbi. Bien sûr, un enfant sans paternité est une victime, mais çà risque d'engendrer une pagaille sans pareille! Ils ont donc appliqué le principe des bénéfices/risques. Cordialement.

Bonjour, Référendum ? Il n'y a plus qu'à trouver les bonnes questions 😇

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