Nadim Sadek est à la tête de Shimmr AI, une startup spécialisée dans l’automatisation publicitaire par l’Intelligence artificielle (IA). Sa technologie propose notamment des outils innovants pour maximiser la visibilité des produits artistiques et des créations en ligne. Entrepreneur irlando-égyptien, il se définit comme un «citoyen du monde». Spécialiste du marketing des nouvelles technologies et de l’IA, il partage dans cet entretien avec Le360 son expertise en marge du Débat-rencontre organisé par la Fédération des industries culturelles et créatives (FICC), au siège de la CGEM. Sous la présidence de Neila Tazi, présidente de la Commission des affaires étrangères à la Chambre des conseillers et de la FICC, cette rencontre a mis en lumière les enjeux éthiques de l’IA, les risques de standardisation et la menace qu’elle fait peser sur la diversité culturelle. Dans cet entretien, Nadim Sadek explore les bouleversements que l’Intelligence artificielle est sur le point d’apporter aux domaines de la création, des pratiques artistiques, médiatiques et culturelles.
Au-delà de son engagement dans les nouvelles technologies, Nadim Sadek a également marqué les esprits en participant à l’émission britannique «Le millionnaire secret». Le temps d’une semaine, il a abandonné le confort de son île privée pour plonger dans la précarité, s’inventant une nouvelle identité afin d’infiltrer les espaces sociaux de la ville de Cork. Son objectif: comprendre les réalités des plus démunis et identifier une cause noble à soutenir. À travers ses projets, il incarne une vision où innovation et engagement social s’entrelacent.
Le360: lors de votre intervention, vous avez mentionné l’IA comme une force de transformation...
Nadim Sadek: nous devons être conscients que cette technologie est omniprésente dans de nombreux aspects de la société et dans nos flux de travail comme jamais auparavant. L’IA permet de faire les choses à moindre coût, plus rapidement, et de repenser la composition de la main-d’œuvre. Les tâches répétitives peuvent être simplifiées et automatisées. Son premier niveau d’adoption concerne l’efficacité, notamment en entreprise, cet impact est facile à accepter et ne soulève pas vraiment de controverse.
Et au-delà de l’efficacité?
Ce qui se produit ensuite s’appareille à une forme d’émancipation créative. Si je pousse cette idée à l’extrême – ce qui est un exercice utile – nous devrions reconnaître qu’avec huit milliards d’êtres humains sur Terre, il y a probablement huit milliards de créatifs.
Pouvez-vous illustrer cette idée?
J’étais récemment à Mumbai et je marchais dans la rue. En passant sous un pont, j’ai aperçu une femme, qui y vivait manifestement. Je me suis demandé: est-elle une créative? Je testais ma propre théorie. Puis j’ai pensé: elle remarque probablement que le reflet du soleil, sur les roues des carrioles qui passent, est plus beau le matin qu’en fin d’après-midi. Elle y réfléchit sans doute, même si elle ne l’exprime pas sous forme d’histoire, de peinture ou de musique. Mais c’est une impulsion créative, ce regard singulier sur le monde.
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Les artistes, qu’importe la nature de leur art, s’appuient généralement sur leur intuition pour créer. Comment voyez-vous l’IA remodeler leur processus créatif?
Ce que l’IA peut apporter, c’est la possibilité, à mesure qu’elle devient plus accessible à tous, d’aider ces individus à articuler leur créativité d’une manière qui n’était jamais possible auparavant.
Quels sont les principaux défis que vous anticipez alors que l’IA continue d’infiltrer les domaines créatifs?
Je pense que c’est une réalité humaine et une réalité commerciale légitime que nous aimons être reconnus pour ce que nous apportons au monde. L’un des problèmes actuels de l’IA réside dans le débat houleux autour du droit d’auteur: est-ce que des œuvres ont été volées par l’IA? Y a-t-il une reconnaissance adéquate des créateurs derrière la propriété intellectuelle?
Dans ce cas, quelles considérations éthiques devraient être prises en compte dans l’intégration de l’IA dans le processus artistique?
L’une des premières choses à mettre en place est un véritable système global de reconnaissance et de récompense. Il faut pouvoir dire: cette idée vient de telle personne, c’est son travail, et nous le reconnaissons. Cela doit se traduire par des citations et des paiements. Si une IA est le fruit de la combinaison de nombreuses œuvres issues de divers créateurs et disciplines, il est logique que tous ceux qui ont contribué à ce formidable réservoir de connaissances soient reconnus et rémunérés.
Est-ce que ce genre d’initiative existe déjà?
Je vois déjà apparaître des plateformes intéressantes, comme «Created by humans». Cette plateforme permet à tout créateur de proposer son travail aux entreprises d’IA, qui peuvent alors choisir d’utiliser son œuvre pour l’entraînement, pour la citer, ou encore pour la transformer, générant ainsi au créateur un revenu. C’est une première fenêtre sur le futur, où chaque production sera mise en valeur. Mais je pense que cela doit toujours être un choix: personne ne devrait voir son travail utilisé par défaut.
«Il y aura sans doute des suppressions de postes dans les tâches répétitives où la valeur ajoutée humaine est difficile à percevoir.»
— Nadim Sadek
Pourquoi les entreprises d’IA actuelles ne se penchent pas plus sur cette problématique?
Jusqu’ici, la rapidité avec laquelle l’IA évolue fait qu’elle ne suit parfois aucun précédent. Si vous êtes une entreprise et que vous devez entraîner votre modèle d’IA sur un immense volume de données, savez-vous comment négocier avec 10.000 éditeurs? Avez-vous les ressources humaines et les outils pour le faire? Probablement pas. Si vous êtes un éditeur et qu’une entreprise d’IA vous contacte, répondrez-vous en une semaine ou un mois? Qui sait. Aujourd’hui, la prise de conscience augmente et nous sommes plus vigilants. Nous devons exiger une rétribution équitable. Plus tôt nous mettrons en place un système global de droits et de rémunération, mieux ce sera. Et à mon avis, plus tôt nous pourrons intégrer tout ce qui a déjà été créé dans le modèle d’apprentissage de l’IA, mieux ce sera.
Pouvez-vous donner un exemple concret où l’IA a déjà amélioré le processus créatif?
J’ai discuté avec des auteurs qui utilisent l’IA pour enrichir leur travail. Par exemple, l’un d’eux voulait écrire un livre sur un personnage qui se suicide dans une chambre d’hôtel. Il ne savait pas comment un médecin légiste analyserait la situation, quels médicaments le personnage pourrait prendre, ou combien de temps toute la scène prendrait. Il a donc travaillé avec une IA pour obtenir des informations sur les impacts pharmaceutiques et les détails réalistes de la scène – des questions qui seraient difficiles à poser dans un contexte normal.
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Et vous, quelle place a l’IA dans votre processus créatif?
Personnellement, chaque fois que j’écris une chronique pour un média, je la soumets à une IA et je lui demande de me contredire, de me montrer où j’ai tort. L’IA trouve toujours de bons contre-arguments et m’aide à améliorer mon raisonnement en pointant mes faiblesses. Il y a une infinité d’exemples où l’IA peut être un outil précieux pour les créateurs. J’utilise une dizaine d’IA différentes, parfois pour des usages distincts, parfois juste pour obtenir des perspectives variées.
À mesure que l’IA s’intègre davantage dans les industries créatives, quelles compétences seront essentielles pour que les créatifs prospèrent dans ce nouveau paysage?
L’aspect formidable de cette technologie, c’est que je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’avoir des compétences spécialisées. Il suffit d’avoir un esprit ouvert, de la curiosité et l’énergie nécessaire pour s’impliquer. Il faut interagir et expérimenter avec l’IA. Essayez de poser la même question de cinq manières différentes. Faites des demandes absurdes juste pour voir ce qui en ressort.
Certains craignent que l’IA ne remplace des emplois dans les industries créatives. Comment voyez-vous son impact sur l’emploi dans ces secteurs?
Comme pour toute technologie, les emplois les plus routiniers et fonctionnels sont menacés par l’automatisation. Il y aura sans doute des suppressions de postes dans les tâches répétitives où la valeur ajoutée humaine est difficile à percevoir. Si le travail d’une personne se résume à une exécution purement mécanique, son poste est vulnérable. En revanche, si ce que fait une personne apporte une dimension humaine qui enrichit le processus, alors ce rôle restera essentiel.
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