Deux nouvelles récentes concernant les mathématiques et notre beau pays.
Tout d’abord, la reine africaine de la discipline est Marocaine. La rosissante Hiba El Ferchioui -car tel est son nom– nous a fait honneur. Qu’elle en soit, une fois de plus, remerciée.
D’autre part, vous avez sans doute vu la vidéo, il y a ce professeur français qui a décidé de passer les épreuves de mathématiques du bac proposées dans plusieurs pays du vaste monde.
Verdict: le bac marocain est le plus difficile du monde. Devant tous les autres et en particulier le redoutable Gaokao chinois qui a pris la suite des concours impériaux d’autrefois, censés fournir à l’Empereur ses hauts fonctionnaires parmi les têtes les mieux faites de ses sujets. Américains, japonais, coréens, tous ces bachots pâlissent en comparaison de notre imtihan si bien nommé– puisqu’il désigne en arabe aussi bien la torture ou l’ordalie que l’épreuve.
Ça m’a rappelé des souvenirs. Lorsque j’ai commencé la classe de mathématiques supérieures au lycée Lyautey de Casablanca, il y a longtemps, nos camarades qui venaient de l’enseignement public étaient beaucoup plus forts que nous autres ‘oulad la Mission’, comme on disait. Ils avaient dû trimer dur en terminale pour réussir au bac ‘sciences maths’.
C’est peut-être pour cela qu’il y a tellement de nos compatriotes dans les meilleures écoles d’ingénieurs françaises, à commencer par Polytechnique.
Revenons à nos moutons, ou plutôt à nos équations. Après un moment d’euphorie sur le mode ‘on est les meilleurs’, je me suis pris quand même à douter. Est-ce vraiment une bonne chose que de mettre la barre si haut?
Plus précisément: notre obsession concernant cette discipline, dite ‘la reine des sciences’, ne joue-t-elle pas au détriment des autres sciences, à commencer par celles dites ‘humaines’?
Ayant certains de ces cracks devant moi pendant mes cours d’épistémologie, je m’aperçois qu’on a oublié de leur enseigner les ‘humanités’ et même, curieusement, l’histoire et la philosophie des mathématiques, qui sont si passionnantes.
Savoir manipuler le calcul différentiel est une bonne chose, mais il est également très formateur, pour l’ouverture d’esprit, de bien connaître ceux qui l’ont inventé, Pascal, Leibniz et Newton, ainsi que leurs conceptions philosophiques.
Savoir calculer le zéro et l’infini, comme dirait Koestler, est une bonne chose mais il est également essentiel de suivre la réflexion et les controverses concernant l’infini– potentiel, actuel…– depuis Aristote jusqu’á Cantor et Hilbert en passant par Ibn Sina et Descartes.
Et puis il y a la culture générale, tout simplement.
Ayant eu la chance de côtoyer au sein d’une commission de l’Unesco un des plus grands mathématiciens vivants, Cédric Villani, je puis témoigner que c’est un homme de grande culture, qui s’intéresse à bien d’autres choses que l’équation de Boltzmann ou la théorie synthétique de la courbure de Ricci, qui lui ont valu la médaille Fields en 2010.
Aucun de nos matheux n’a encore reçu la médaille Fields, le Nobel de la discipline. On peut se demander s’il ne faudrait pas alléger le programme de nos classes de sciences maths pour faire un peu de place à la philosophie, à la culture générale, aux soft skills.
Et si notre bac devient un peu moins dur, ce n’est pas grave. Il restera toujours comparable au Gaokao chinois et c’est déjà remarquable…