Souvenons-nous en 2004, au moment où l’essentiel des forces politiques, autant conservatrices que «réformatrices», semblaient rendre impossible toute réforme de la Moudawana, Sa Majesté le Roi Mohammed VI a permis au Maroc de faire un saut qualitatif quant à la question du statut et des droits de la femme, dans une société marocaine en pleine transformation. Car c’est le propre de toute avant-garde de ne point attendre que la population prenne conscience des transformations profondes dont elle est l’objet.
Fin de la tutelle matrimoniale, passage de l’âge du mariage de 15 à 18 ans ou encore coresponsabilité des conjoints, les acquis de cette réforme sont nombreux. Mais de l’eau a coulé sous les ponts et un nouveau saut qualitatif s’impose.
Cependant, entre-temps, l’échiquier politique autant que la société ont profondément changé. La polarisation idéologique de la société s’est accentuée, et la question de la réforme du code de la famille est désormais prise en otage –d’un côté, par des conservateurs qui défendent une lecture littéraliste et décontextualisée des textes religieux, et de l’autre, par des progressistes qui désirent greffer au Maroc une conception occidentale, dans un déni total de l’imaginaire et des spécificités de notre peuple.
Entre les deux se trouvent les gens sérieux qui, tout en respectant le réel, désirent l’accompagner dans une direction qui est celle du juste milieu. Celle des réformes qui permettent de renforcer la défense de la dignité et des droits de la citoyenne et du citoyen, sans pour autant bouleverser et heurter inutilement l’imaginaire collectif, risquant ainsi de provoquer un rejet massif, de nature à rendre inefficients et impraticables tous les changements qui pourraient être apportés.
Parmi les questions brûlantes qui sont actuellement abordées, figure celle de l’égalité dans l’héritage entre hommes et femmes.
Si la ligne rouge a été clairement tracée, celle de la non-remise en cause des versets explicites du Coran sur la question, il est cependant possible d’adopter une approche herméneutique et exégétique de ces versets, notamment à travers une lecture contextuelle. Cette démarche devrait être activement menée par les Oulémas marocains, seuls habilités à le faire sur le plan religieux, mais aussi par des historiens, sociologues et anthropologues marocains.
Car la liberté testamentaire qui pourrait permettre, si le futur défunt le désire, de répartir autrement son patrimoine, existe en Islam. Et si elle est limitée à un tiers et ne peut concerner une personne déjà désignée par le Coran pour toucher une part d’héritage, ces restrictions ne sont pas mentionnées dans le Coran, mais dans le Hadith. Cela nous offre une marge interprétative et de contextualisation plus importante.
Ceci n’est qu’une piste de réflexion parmi tant d’autres.
Autre aspect problématique, le mariage des mineurs. Ce dernier semble inéluctablement condamné à être prochainement interdit. Cette pratique soi-disant dérogatoire n’a que trop duré. Et voici donc l’occasion idoine d’y mettre définitivement fin.
Sur un autre volet, on peut citer la question de la pénalisation des rapports sexuels hors mariage. Une question compliquée qui se situe à cheval entre la dimension morale et celle du réel concret.
Car ce dernier, le réel, est têtu et implacable, puisqu’au Maroc, l’âge moyen au premier mariage est d’environ 26 ans pour les femmes et de 32 ans pour les hommes. Et comme il m’est arrivé de dire dans une autre chronique, à moins que toutes les Marocaines et tous les Marocains soient des nonnes et des moines franciscains ayant fait vœu de chasteté, il me paraît inconcevable que les rapports sexuels hors mariage soient le fait d’une extrême minorité. Ainsi, soit l’Etat décide de mettre en place une politique et sociale ambitieuse pour promouvoir le mariage à un âge plus précoce, soit il dépénalise les rapports sexuels hors mariage. Mais le plus urgent est d’arrêter d’envoyer des centaines de jeunes en prison. Des jeunes, soumis à des injonctions paradoxales, entre des impératifs biologiques auxquels ils ne peuvent échapper et une impossibilité socio-économique du mariage pour beaucoup d’entre eux.
Par conséquent, le meilleur moyen de mener sereinement les débats autour de la réforme de la Moudawana serait de les dépolitiser, laissant ainsi ceux qui respectent le réel, les démographes, sociologues, psychologues, etc. nous éclairer sur la complexité des phénomènes en œuvre dans notre société.
Sa Majesté le Roi a donné le «la», il revient maintenant au gouvernement, à la classe politique, aux intellectuels et à la société civile de faire preuve de maturité, en étant à la hauteur de l’ambition qu’a notre Roi pour le Maroc de demain.