Réforme de la Moudawana: une dépolitisation s’impose

Rachid Achachi.

ChroniqueFin de la tutelle matrimoniale, passage de l’âge du mariage de 15 à 18 ans ou encore coresponsabilité des conjoints, les acquis de cette réforme sont nombreux. Mais, de l’eau a coulé sous les ponts et un nouveau saut qualitatif s’impose.

Le 09/03/2023 à 10h58

Souvenons-nous en 2004, au moment où l’essentiel des forces politiques, autant conservatrices que «réformatrices», semblaient rendre impossible toute réforme de la Moudawana, Sa Majesté le Roi Mohammed VI a permis au Maroc de faire un saut qualitatif quant à la question du statut et des droits de la femme, dans une société marocaine en pleine transformation. Car c’est le propre de toute avant-garde de ne point attendre que la population prenne conscience des transformations profondes dont elle est l’objet.

Fin de la tutelle matrimoniale, passage de l’âge du mariage de 15 à 18 ans ou encore coresponsabilité des conjoints, les acquis de cette réforme sont nombreux. Mais de l’eau a coulé sous les ponts et un nouveau saut qualitatif s’impose.

Cependant, entre-temps, l’échiquier politique autant que la société ont profondément changé. La polarisation idéologique de la société s’est accentuée, et la question de la réforme du code de la famille est désormais prise en otage –d’un côté, par des conservateurs qui défendent une lecture littéraliste et décontextualisée des textes religieux, et de l’autre, par des progressistes qui désirent greffer au Maroc une conception occidentale, dans un déni total de l’imaginaire et des spécificités de notre peuple.

Entre les deux se trouvent les gens sérieux qui, tout en respectant le réel, désirent l’accompagner dans une direction qui est celle du juste milieu. Celle des réformes qui permettent de renforcer la défense de la dignité et des droits de la citoyenne et du citoyen, sans pour autant bouleverser et heurter inutilement l’imaginaire collectif, risquant ainsi de provoquer un rejet massif, de nature à rendre inefficients et impraticables tous les changements qui pourraient être apportés.

Parmi les questions brûlantes qui sont actuellement abordées, figure celle de l’égalité dans l’héritage entre hommes et femmes.

Si la ligne rouge a été clairement tracée, celle de la non-remise en cause des versets explicites du Coran sur la question, il est cependant possible d’adopter une approche herméneutique et exégétique de ces versets, notamment à travers une lecture contextuelle. Cette démarche devrait être activement menée par les Oulémas marocains, seuls habilités à le faire sur le plan religieux, mais aussi par des historiens, sociologues et anthropologues marocains.

Car la liberté testamentaire qui pourrait permettre, si le futur défunt le désire, de répartir autrement son patrimoine, existe en Islam. Et si elle est limitée à un tiers et ne peut concerner une personne déjà désignée par le Coran pour toucher une part d’héritage, ces restrictions ne sont pas mentionnées dans le Coran, mais dans le Hadith. Cela nous offre une marge interprétative et de contextualisation plus importante.

Ceci n’est qu’une piste de réflexion parmi tant d’autres.

Autre aspect problématique, le mariage des mineurs. Ce dernier semble inéluctablement condamné à être prochainement interdit. Cette pratique soi-disant dérogatoire n’a que trop duré. Et voici donc l’occasion idoine d’y mettre définitivement fin.

Sur un autre volet, on peut citer la question de la pénalisation des rapports sexuels hors mariage. Une question compliquée qui se situe à cheval entre la dimension morale et celle du réel concret.

Car ce dernier, le réel, est têtu et implacable, puisqu’au Maroc, l’âge moyen au premier mariage est d’environ 26 ans pour les femmes et de 32 ans pour les hommes. Et comme il m’est arrivé de dire dans une autre chronique, à moins que toutes les Marocaines et tous les Marocains soient des nonnes et des moines franciscains ayant fait vœu de chasteté, il me paraît inconcevable que les rapports sexuels hors mariage soient le fait d’une extrême minorité. Ainsi, soit l’Etat décide de mettre en place une politique et sociale ambitieuse pour promouvoir le mariage à un âge plus précoce, soit il dépénalise les rapports sexuels hors mariage. Mais le plus urgent est d’arrêter d’envoyer des centaines de jeunes en prison. Des jeunes, soumis à des injonctions paradoxales, entre des impératifs biologiques auxquels ils ne peuvent échapper et une impossibilité socio-économique du mariage pour beaucoup d’entre eux.

Par conséquent, le meilleur moyen de mener sereinement les débats autour de la réforme de la Moudawana serait de les dépolitiser, laissant ainsi ceux qui respectent le réel, les démographes, sociologues, psychologues, etc. nous éclairer sur la complexité des phénomènes en œuvre dans notre société.

Sa Majesté le Roi a donné le «la», il revient maintenant au gouvernement, à la classe politique, aux intellectuels et à la société civile de faire preuve de maturité, en étant à la hauteur de l’ambition qu’a notre Roi pour le Maroc de demain.

Par Rachid Achachi
Le 09/03/2023 à 10h58

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Avant de rêver à un héritage égalitaire,il faudrait déjà que les frères aînés ,ne s’approprient pas la totalité des biens des filles .Ma pauvre sœur ,paix à son âme ,est décédée avant de toucher l’heritage de notre père ,paix à son âme,qui est décédé en 2011 . Ni celui de notre mère paix à son âme ,qui est décédée en 2021.Non seulement le partage est sans fin et n’a abouti qu’a des discordes ,il a disloqué notre famille..Mais en plus avec des mécanismes bien huilés les MRE comme nous sont perdus à l’avance .Pour ma part je n’ai même plus l’énergie de faire une procédure pour récupérer mon héritage ni les moyens de payer des années de frais .Voir ma sœur mourante demander de l’aide au service sociaux alors qu’elle aurait pu profiter normalement de ses héritages m’a vraiment dégoûtée !.

La "ligne rouge" relative à la non remise en cause des versets explicites du Coran semble être légèrement glissante 🤔. J'en veux pour preuve deux exemples : le vol et l'adultère. Pour le vol, la sanction prévue dans سورة المائدة est explicite : "couper la main du voleur ou de la voleuse" (là l'égalité est respectée 👿). De même, en cas d'adultère, le châtiment est, on ne peut plus explicite :"100 coups de fouet pour l'homme et 100 pour la femme" (Sourate Annour). On tire un coup, on en reçoit 100 🐒. Pourtant, dans les deux cas ce ne sont pas ces sanctions "explicites" qui sont appliquées 🙄

Rebonsoir Monsieur Driss. Ah! Les années 60! A cette époque, faute de lycée dans le Souss, j'ai pu intégrer un lycée à Rabat comme interne. 200 camarades issus de toutes les régions. Les jours de sortie, c'était bonjour la société. Pour ceux dont la libido débordait, c'était direction la Médina, aucune difficulté! Pour les romantiques et les dragueurs, c'était jardins publics. Les cinéphiles avaient le choix parmi les films internationaux du moment. Pour les footeux, les jours de match,c'était le stade. Pour les amateurs de bière, les bars ne manquaient pas. Pour les petites faims, une délicieuse hrira faisait l'affaire, dans l'un des cafés de Souika où régnait souvent l'odeur enivrante de sebsis en activité. Que de beaux souvenirs dans une liberté naturelle. Cordialement.

Bonsoir Monsieur Omar, Jeune dans les années 60,je n'ai jamais entendu parler d'un homme ou d'une femme poursuivi pour rapports hors mariage!Il y avait même dans plusieurs villes du Maroc des rues,voire des quartiers entiers,"dédiés"au plus vieux métier du monde! Version Marocaine à l'époque, de l'actuel "Bois-de-Boulogne" ou du "quartier rose" d’Amsterdam !Les gens s'y rendaient sans être nullement inquiétés.Votre question renvoie à une situation plus complexe. Il semblerait en effet,qu'il y avait quatre codes de la famille au Maroc:un régi par le "droit coutumier" Amazigh,la Charia dans les tribus arabes ,un troisième pour les juifs établis au Maroc depuis des milliers d'années et un 4è pour les juifs chassés de l'Andalousie à la fin du 15è siècle.Enfin,je peux me tromper. Cordialement

Bonsoir Monsieur Driss. Excellente remarque! En vous lisant, plusieurs questions me sont venues en tête. Ces pratiques ont-elles déjà existé dans notre pays? Si non, pourquoi? Si oui, quand et pourquoi elles ont été abandonnées? Je n'ai aucune idée, cependant la réponse à ces question serait très instructive et ce à plusieurs titres. Cordialement.

Posez enfin une fois la question sans hypocrisie permanente...est ce la politique ou la religion qui bloquent cette évolution de la moudawana ?????

Bonsoir Monsieur Driss. On l'a toujours su, sans la science des Américains et des Suisses. On l'a même chanté sans vergogne "hdi rassek la ifouzou bik el qomane ya flane". Mais, tout n'est pas perdu, il y a heureusement des Marocains bien et ce sont eux qui font avancer le schmilblick! Cordialement.

Excellente question!En guise de réponse,je dirais que c'est le mélange des deux. Ce n'est pas un hasard si les Marocains aient été classés,par des chercheurs Américains et Suisses,en tête du peloton des peuples les plus malhonnêtes de la planète,ex æquo avec les chinois 🤔 🤔

Bonjour Monsieur Mehdi R1. Excellente question! Cordialement.

La première chose que devrait faire la moudawana 'est l' abolitiion du TAASSIB. Une aberration, qui consiste à partager l'héritage à ec des cousins mâles quand la famille du défunt ou de la défunte ne comprend pas de màle. Ces cousins sont parfois ennemis.

Excellent billet,dans lequel le politique l'emporte sur l'intellectuel .On le sent bien,ce dernier est contraint de faire dans le "religieusement correct" d'où sa recherche de stratégie de contournement des obstacles dont il sait pertinemment qu'ils sont infranchissables ! On peut rétorquer que, dans la mesure où les politiques ne proposent rien,il est souhaitable que le vide soit comblé par les intellectuels.Oui,mais la production intellectuelle suppose une véritable liberté de pensée,ce qui n'est pas le cas de la politique, soumise à diverses contraintes. Transformer les intellectuels en politiques reviendrait à tuer la liberté de pensée.D'un autre côté,un intellectuel doit avoir le courage de dire ce qu'il pense,quitte à déplaire!

Merci pour l'article. Je vis aux USA et la tendance ici est l'abstention sexuelle avant le mariage. Dans le midwest et le sud est beaucoup plus conservateur que l'est ou l'ouest des USA. Les américains commencent à aller vers la direction de l'abstention et nous on veut aller vers l'autre direction. Bravo!!!. Le Maroc a des problèmes plus sérieux que ce sujet de sexe pas de sexe avant le mariage. Si des jeunes le font ils vont le faire mais comme l'islam est la fondation de notre constitution on va entrer en contradiction avec nous même.

Au-delà des envolées lyriques, la problématique est simple. Il y a le croyant, la croyance (censée être immuable) et l'environnement. Notre environnement est essentiellement structuré et pensé de manière occidentale : Lois, modèle économique (incluant l'usure), mode de vie, culture etc et nous prétendons ou voulons être des musulmans authentiques. Or cela est paradoxal. Sachant que le statut quo est impossible il n'y a que 2 directions possibles 1 adopter les lois à la réalité de notre vie socioéconomique (qui est autant islamique que zen bouddhiste) et ainsi progressivement à force de réformes on finira par être des clones des occidentaux non musulmans (c mécanique) ou 2 repenser complètement notre système, notre éducation et progressivement le rendre éthiquement plus "islamico-compatible

on ne peut pas aborder l'héritage sans aborder les autres obligations qui devrait être appliquer à la femme en toute égalité à titre d'exemple : - la guerre il faut qu'elles soient les premières dans les fronts au Sahara marocain - les zones pénibles il faut y affecter des femmes sans discrimination positive - les métiers pénibles qui reviennent aux hommes doivent êtres répartis équitablement avec les femmes les sapeurs pompiers pourquoi uniquement les hommes qui éteignent les feux des forets les femmes on les voit pas . - le dol et les dépenses 50/50. - la sécurité 50/50....... - le pouvoir le héritier du trône est nécessairement un garçon donc s il faut raisonner globalement . les femmes veulent juste un enseignement digne des concours transparent santé et logement décent

plutôt il serait judicieux de faire une évaluation de la réforme de la moudawana ça fait 20 ans .la société marocaine est de plus en plus disloquée à cause du taux de divorce élevé les enfants en sont les premiers victimes. les maladies transmissibles sexuellement et le sida sont également aussi dangereuses pour la société marocaine que le fait d ’envoyer des centaines de jeunes en prison compte tenu du niveau du système de santé marocain, es bébés jetés dans la rue ces comportements ont certainement des coûts supplémentaires que le contribuable doit assumer un contraste ,on constate que les femmes marocaines acceptent volontairement le mariage à un très jeunes ages et la polygamie avec les citoyens des pays du golf et les turcs ...sans aucun problème il faut concerter les femme

La question de l'héritage est essentielle. Sans même trop se focaliser sur l'égalité des parts entre hommes et femmes. Commençons déjà par virer des règles comme le "Ta3sib". Cela donne des situations burlesques et aberrantes qui compliquent inutilement les successions en désavantageant au passage les femmes. C'est plus épineux de dépénaliser les relations hors mariages, car quid de la prostitution qui deviendra de facto quasiment légale. Il faut aussi protéger les marié(e)s trompé(e)s car ils se retrouveront lésés sans avoir un recours juridique. cela peut mener à des drames familiaux. On peut limiter certaines dispositions aux marocains adultes et célibataires mais n'ouvrons pas la porte grande ouverte.

Le Maroc évolue au rythme de l'évolution de son voisinage et du contexte international. Continuer d'appliquer des textes vieux de plusieurs siècles qu'avaient interprétés certains religieux de Khourassane et ailleurs est à mon avis le déni aux réalités de notre époque et de degré de maturité de notre société. Père de deux filles et de deux fils, je ne vois aucune raison de discriminer mes filles par rapport à mes fils. Adoptons les lois civiles d'égalité et de liberté et clôturons ce débat pour toujours.

l'occident est en crise car les européens ont abandonné la prière du dimanche à l' église, le respect des parents et de la tradition et sont sans croyance excessivement trop athée Une société laique est une société en crise . Car homme et une femme sont 2 genres différents l' atheisme n 'est pas une solutiion ni inclusive ni durable pour une société prospère Il y a encore des exceptions encore aux USA mais en Europe non

je suis d'accord avec Si Rachid, la priorité c'est de dépolitiser ce sujet et laisser l'ijtihad dans le fiqh aux savants comme l'ordonnance médicale est aux médecins sinon il peut y avoir des dégats. ensuite oui il faut arrêter de vouloir greffer une conception occidentale à ce pays qui a ses spécificités et valeurs ou on finira par jeter nos parents en maison de retraite . pour l'amour de Dieu gardez vos valeurs parce que c'est la décadence totale en occident (je precise que je suis né en france de parents marocains)

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