Un petit passeport pour Chama

Fouad Laroui.

ChroniqueEt si nous donnions la nationalité marocaine à toutes les espèces animales et végétales avec qui nous partageons notre pays?

Le 18/12/2024 à 11h05

Nous sommes submergés, chaque jour, par une marée tellement folle de chiffres et de statistiques qu’au moment où le soleil se couche, quand nous enfilons notre pyjama et chaussons nos charentaises, il n’en reste plus rien si ce n’est une bouillie d’où n’émerge aucun fait concret. Bonne nuit.

Et pourtant, il y a des chiffres qu’il faudrait garder en tête, dont il faudrait s’obséder pour acquérir une vision à peu près nette de ce qui se passe autour de nous.

Cette semaine, essayons de n’en retenir qu’un: 70. C’est une statistique que vient de publier l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture, cette agence spécialisée des Nations unies qu’on désigne par les premières lettres de son nom anglais: FAO.

Voici donc une estimation proprement effarante que la FAO a publiée il y a quelques jours: l’Homme a déjà transformé plus de 70% des terres émergées de la planète par rapport à leur état naturel.

Si vous venez de hausser les épaules en grognant «et alors?», en vous curant l’oreille, vous êtes prié(e) de passer votre chemin. Retournez à l’hébétude de l’écran où défilent les influenceuses têtes de linotte, les jeux vidéo abrutissants et les pubs qui vous incitent à consommer encore, encore et encore plus.

Maintenant que nous sommes entre nous, continuons.

On estime qu’il existe près de 8 millions d’espèces animales sur notre planète, parmi lesquelles il y en aurait environ 65.000 pour les vertébrés. Même si on réduit le champ de la réflexion aux seuls mammifères, nos cousins, il s’agit quand même de plus de 5.000 espèces. Dans ce foisonnement, une seule espèce, la nôtre, s’est arrogé le droit de détruire systématiquement (et stupidement) la nature. On le savait, bien sûr; mais on a maintenant, grâce à la FAO, le chiffre, glaçant, effrayant: 70%.

«Homo sapiens aurait tous les droits. Il serait ‘supérieur’ aux huit millions d’espèces qui peuplent notre planète. Pourquoi? Pourquoi?»

Détruire la nature, sous prétexte de la maîtriser: on fait communément remonter à Descartes cette ambition, qui s’est transformée en fureur, de l’espèce homo sapiens. Il écrivait, il y a quatre siècles, dans le Discours de la méthode: «Sitôt que j’ai eu acquis quelques notions générales touchant la physique, (…) elles m’ont fait voir qu’il est possible de parvenir à des connaissances qui soient fort utiles à la vie; et qu’au lieu de cette philosophie spéculative qu’on enseigne dans les écoles, on en peut trouver une pratique, par laquelle, connaissant la force et les actions du feu, de l’eau, de l’air, des astres, des cieux et de tous les autres corps qui nous environnent, (…) nous les pourrions employer (…) et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature.»

Maîtres et possesseurs de la nature… En réalité, cette folie vient de loin. On trouve dans presque tous les textes dits sacrés l’équivalent de ce qu’on peut lire dans la Bible (Genèse 9, 7): «Croissez et multipliez-vous; dispersez-vous sur la Terre, et remplissez-la.» La catastrophe est en germe dans cette injonction si mal inspirée.

Certains estiment qu’il n’y a là rien que de très normal. Homo sapiens aurait tous les droits. Il serait ‘supérieur’ aux huit millions d’espèces qui peuplent notre planète. Pourquoi? Pourquoi? Personnellement, je préfère ma petite chatte Chama à beaucoup de mes congénères.

Le résultat de cette démesure de l’Homme, nous le vivons aujourd’hui: bouleversement climatique, ouragans, pollution, notamment par le plastique.

Il n’y a pas de gouvernement de la planète et c’est bien dommage. Mais peut-être pourrions-nous faire quelque chose à l’échelle de notre pays, pour donner le bon exemple? Et si nous donnions la nationalité marocaine à toutes les espèces animales et végétales avec qui nous partageons notre pays? Ça favoriserait une prise de conscience générale: la nature n’est pas la propriété de l’Homme. Il n’a pas le droit de la détruire.

Avantage annexe: Chama, avec son petit passeport vert, pourrait voyager partout avec moi.

Par Fouad Laroui
Le 18/12/2024 à 11h05