La gérascophobie est la peur de vieillir. Nous sommes tous gérascophobes.
En 2021, j’ai assisté au centième anniversaire d’Edgar Morin, sociologue et philosophe français. Il nous parlait de ses projets pour ses 103 ans. Quelle belle leçon! Parfois tu demandes à une personne de 40 ans ce qu’elle fera pour sa retraite, elle te répond: «Pas sûr de vivre jusque-là!»
Vieillesse ou vieillissement ?
Le vieillissement ne débute pas avec les premières rides. Ses signes dépendent de différents facteurs: héritage génétique, mode et hygiène de vie, environnement… Un processus lent et progressif de dégradation de l’organisme qui faiblit. Le vieillissement des cellules commence chez le fœtus.
La sénescence, dégradation de nos organes, débute entre 20 et 30 ans: foie, reins, cœur, systèmes sanguin et immunitaire...
La vieillesse est un état d’esprit, indépendant de la dégradation du corps, lié à l’histoire de vie de chacun. L’âge de la vieillesse est difficile à déterminer.
Il dépend des cultures, des individus: une personne se sent vieille à 40 ans, une autre à 70 ans, une autre, jamais! Elle garde l’esprit jeune.
L’OMS divise la vieillesse en 3 étapes: jeune senior de 60 à 75 ans, senior de 75 à 90 ans, et grand senior à partir de 90 ans.
La vieillesse est gentiment nommée automne de la vie, âge mûr, troisième âge, seconde jeunesse, âge d’or. En dialecte arabe marocain, un mot rude: ach-charfe!
Dans les représentations collectives, la vieillesse est un corps ravagé par le temps: chibani, charèfe, mchakkaf (en débris), mfouti (usé), mdagdague (pillé)…
L’âge de la vieillesse dépend de l’idée que l’on s’en fait et du regard de chaque société sur la vieillesse.
Il n’y a pas une vieillesse, mais des vieillesses souvent liées à des raisons socio-économiques: une femme rurale pauvre de 35 ans paraît avoir plus de 20 ans qu’une citadine riche du même âge.
La vieillesse impacte plus les démunis pour des raisons d’hygiène et de dureté de la vie qui consume le corps et l’esprit. Le confort retarde les signes de la vieillesse. La pénibilité de la vie et du travail accélère la vieillesse.
On vieillit quand on décide qu’on l’est. Quand notre environnement le décrète.
Chaque société fixe la limite de la jeunesse de sa population, avec une distinction entre les deux sexes!
Les femmes vieillissent plus vite que les hommes, dit-on! Ce qui était vrai lorsque l’espérance de vie était de 35 ans: les femmes enfantaient de la puberté à la ménopause, dos courbé, esquintées par les corvées, visage hachuré par le soleil…
Leur jeunesse dépendait de leur utérus. Ménopausées, elles rejoignaient le rang des charfate.
En 1998, j’ai publié «Printemps et automne sexuels: Puberté, ménopause, andropause et vieillesse au Maroc» (éditions Eddif). J’ai demandé à 360 hommes quel était l’âge de la vieillesse des femmes. Réponse: à partir de 35 ans.
Aujourd’hui, pour les hommes, les femmes vieillissent à partir de 50 ans. Quand je demande aux hommes à quel âge les hommes vieillissent, ils sont généreux: 70 ans! Beaucoup répondent: «Non, les hommes, c’est pas comme les femmes. Tant qu’un homme est viril, il reste jeune.»
Le Viagra, un des médicaments les plus vendus au Maroc, a renforcé la longévité de nos hommes!
Un homme est toujours homme, dit-on. Même si le Viagra n’a plus d’effet sur lui, sa poche le sauve. S’il a de l’argent, sa vieillesse est atténuée.
La femme doit rester jeune pour séduire et conserver son époux. Sa beauté et sa féminité résident dans sa jeunesse. Ses cheveux gris la vieillissent. Chez l’homme, des tempes grisonnantes lui donnent du charme.
La société renvoie à la femme l’image d’une vieillesse antichambre de la mort. Passé les 50 ou 60 ans, elle doit se comporter en charfa, sinon elle est ridiculisée: «Wiiili, à son âge elle se comporte comme ses filles!»
«Elle devrait arrêter sa folie», «choufe akhti, elle sautille comme une gamine. Elle devrait s’assagir et revenir à Dieu». C’est-à-dire abandonner ses désirs et ses projets pour se consacrer à la prière. Aucun lien avec l’islam!
Elle doit adopter une allure morose et commencer son naufrage pour gagner du respect.
Des stéréotypes en cours de destruction par des femmes courageuses dont la vieillesse s’inscrit dans la continuité et non la finitude.
La vieillesse effraye par son aspect physique, mais aussi par les maladies et les risques de dépendance physique.
L’homme a toujours rêvé de rester indéfiniment jeune. La fontaine de Jouvence, dans la mythologie romaine, a nourri ce fantasme.
Outre les pratiques et les produits utilisés, il y a toujours eu la recherche du miracle anti-vieillesse. Aujourd’hui, il y a des soins cosmétiques, des régimes, des protocoles d’hygiène, du sport… Mais pas encore de miracle.
La médecine a énormément évolué et propose des solutions douces, telles que le botox, les comblements... Ou radicales: la chirurgie esthétique.
L’industrie cosmétique permet de camoufler l’ennemie, telles la coloration des cheveux, courante même chez les hommes. Ils utilisent aussi les soins anti-rides et esthétiques.
Si la vieillesse était une fatalité, aujourd’hui, femmes et hommes luttent pour vivre longtemps et jeunes.
En attendant que la science invente le miracle de la jouvence, jouissons de l’instant présent et savourons chaque seconde de notre vie, tant que nous sommes en bonne santé. Le rire et la joie aident à se maintenir jeune.
«L’âge n’est qu’un chiffre, on vieillit quand on ne s’intéresse plus à la vie», a dit Giorgio Armani.
Vivons alors pleinement 2024. Prions et agissons pour la paix universelle, car la morosité accélère la vieillesse et le vieillissement.